Le mot « intervention » vient du latin intervenire, qui signifie venir entre. 1854 Le premier sens est celui d’arriver, se produire, à propos d’événements ou au cours d’un procès, d’une affaire (on dit qu’un jugement intervient.) Ce premier sens se double d’un second qui renvoie non plus à une situation mais à ses acteurs : prendre part à une action, à une affaire en cours, dans l’intention d’influer sur son déroulement. L’intervention désigne en ce cas l’acte – et souvent, l’acte juridique – par lequel un tiers, qui n’était pas originairement partie dans une contestation judiciaire, y prend part pour faire valoir ses droits ou soutenir ceux d’une partie principale. Deux acceptions sont à distinguer en ce cas, selon qu’il s’agit d’intervenir dans les affaires d’autrui (s’ingérer, s’immiscer), qui prend facilement une connotation péjorative, ou d’intervenir comme intermédiaire (intercéder), qui revêt une connotation positive. Le troisième sens, dépourvu de la connotation juridique, renvoie au fait d’agir énergiquement pour interrompre l’évolution spontanée d’un état pathologique. Cette action peut prendre un sens médical ou un sens militaire, corrélé à son application : sur une personne, il s’agit d’une intervention médicale voire chirurgicale (opérer), sur une situation politique, il s’agit d’entrer en action, en conflit ou en guerre, interne à la nation (intervention de la police, guerre civile) ou externe (guerre entre des nations.)
L’intervention peut en définitive se définir comme action d’une tierce personne, extérieure a priori et qui va s’impliquer volontairement dans une situation. La notion d’intervention renvoie donc toujours à celle de médiation. Et la distinction entre le sens militaire et sens médical correspond peu ou prou à une évolution historique du théâtre d’intervention, qui, de théâtre de lutte, directement hérité du théâtre d’agit-prop, autour de Mai 68, est devenu dès la fin des années 1970 et surtout durant les années 1980 un théâtre de réinsertion. Cette évolution ne doit cependant pas conduire à négliger des pratiques d’un théâtre d’intervention politique radical à l’heure actuelle, comme nous le verrons lors de l’étude de la cité du théâtre de lutte politique.
Le sens militaire renvoie à une situation de conflit voire de guerre, et donc à des camps opposés. Il importe dans cette acception de définir les forces en présence, les enjeux de la lutte, ainsi que les modalités de l’action des intervenants et les raisons de leur action. Si l’on transpose cette acception à la sphère qui nous occupe, le « théâtre d’intervention » est donc conçu comme une arme, et l’artiste est placé en situation d’allié, qui combat aux côtés de ceux auprès de qui, avec qui et pour qui il intervient, dans une position d’égalité et d’implication identique, et non dans une position de surplomb et de compétence. C’est toute la différence avec l’intervention de type médical. Cette acception renvoie en ce cas à une situation pathogène et à un corps malade – le corps d’un individu, mais peut-être aussi au sens métaphorique le corps social, que l’intervenant va soigner. Si l’on transpose cette acception médicale au théâtre, on voit émerger l’idée d’une pratique qui va vers des populations malades dans leur corps et/ou dans leur esprit, pour tenter de les guérir par le théâtre. Si l’on pousse la métaphore, on peut considérer que ce théâtre vise, à travers la guérison de ces corps individuels, à panser les plaies du corps social. L’artiste est alors mis en position de guérisseur, ce qui amène une série de questions : En premier lieu la question de l’intronisation de l’artiste dans cette fonction de guérisseur (qui le met dans cette position, lui-même ou le reste du corps social, l’ensemble de la société ou le Ministère de la Culture. ) Deuxièmement la question de la compétence de l’artiste : s’agit-il d’un don inné, en tant qu’artiste, ou cette compétence est-elle acquise par le biais d’une formation ou d’une expérience spécifique ? Troisièmement se pose la question des médicaments utilisés par l’artiste, qui débouche sur une autre : en quoi le théâtre peut-il aider à guérir le corps social ? Sur quelle définition du théâtre cette ambition s’appuie-t-elle ? Pour répondre à ces questions, il importe de les contextualiser, d’autant que la distinction entre le sens militaire et le sens médical correspond peu ou prou à une évolution historique du « théâtre d’intervention », qui, de théâtre de lutte héritier du théâtre d’agit-prop autour de Mai 68, est devenu vers la fin des années 1970 et surtout durant les années 1980 un théâtre qui panse les plaies du corps social.
Article « Intervention », Dictionnaire Le Robert de la Langue Française, op. cit., Tome V, p. 696.