C’est par cette citation, extraite de La Communauté désoeuvrée de Jean-Luc Nancy 1885 , que s’ouvrent immanquablement les Passerelles du Théâtre du Grabuge, qui s’achèvent parfois sur une autre citation, extraite de l’œuvre de Marguerite Duras cette fois :
‘« Pour beaucoup de gens, quand ils parlent d’apolitisme, ils parlent avant tout d’une perte ou d’un manque idéologique. Je ne sais pas pour vous ce que vous pensez. Pour moi la perte politique c’est avant tout la perte de soi, la perte de sa colère autant que celle de sa douceur, la perte de sa haine, de sa faculté de haine autant que de sa faculté d’aimer, la perte de son imprudence autant que celle de sa modération, la perte d’un excès autant que la perte d’une mesure, la perte de sa folie, de sa naïveté, la perte de son courage comme celle de sa lâcheté, la perte de son épouvante devant toute chose autant que celle de sa confiance, la perte de ses pleurs comme celle de sa joie. C’est ce que je pense moi. » 1886 ’Le texte de Jean-Luc Nancy pose clairement le pouvoir rassembleur de ce que nous appellerons le « récit théâtral », qui envisage le théâtre en tant que récit fait par un homme à d’autres hommes, qui transforme en une communauté unie la masse de ceux qui n’étaient avant cet événement que des individus « dispersés », voire « s’affrontant » les uns avec les autres. Et le texte de Duras, intitulé La perte politique, indique que pour la directrice artistique du Théâtre du Grabuge, Géraldine Bénichou, ce « récit théâtral » est considéré comme une réponse nouvelle à un besoin que ne permettaient plus de combler les instances politiques traditionnelles, tant en termes d’idéologie que de partis : « c’est un texte qui a été écrit dans les années 1970, et c’est une réponse à la question du politique, après l’écroulement des idéologies communistes, comme une réponse à la perte d’une vision globale de la société… » 1887 Chez Géraldine Bénichou, le théâtre vient en quelque sorte se substituer à l’idéologie marxiste, à sa vision globale du monde comme à son projet révolutionnaire.
Jean Luc Nancy a donné une conférence le 14 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon, dont le titre dit bien le double contexte dans lequel s’inscrit sa réflexion sur la notion de communauté : « Quelle(s) communauté(s) après l’effondrement du communisme et à l’heure du réveil des communautarismes ? »
Marguerite Duras, « La perte politique », extrait des Yeux verts, édition spéciale des Cahier du cinéma, 1980.
Géraldine Bénichou, entretien personnel, Paris, 27 octobre 2006.