Introduction : Les Passerelles, emblème d’un « théâtre sans murs ».

Le nom même de la compagnie, collectif fondé en 1996 et réunissant deux metteurs en scène dont un auteur, ainsi qu’un comédien, et sous la responsabilité artistique de Géraldine Bénichou est évocateur : « Théâtre du Grabuge. Pour un Théâtre sans murs. » Ce nom impose d’emblée deux remarques : le terme de « théâtre » est préféré à celui de « compagnie », ce qui témoigne de l’ambition du projet, et le choix de la formule «  sans murs » au lieu de celle plus habituelle de théâtre « hors les murs » dit la volonté non pas de s’opposer au théâtre de salle mais de décloisonner le théâtre et d’articuler théâtre de salle, dans l’institution, et théâtre hors des théâtres :

‘« Le Théâtre du Grabuge expérimente un rapport au public à travers des démarches de création qui s’initient dans des lieux qui n’appartiennent pas aux réseaux traditionnels de la création artistique et se développent en partenariat avec des institutions culturelles. Hors des théâtres et dans les théâtres : c’est ce que nous appelons un théâtre sans murs. » 1888

Le parcours et l’activité de Géraldine Bénichou sont d’ailleurs révélateurs eux aussi de cette volonté : elle a suivi une formation à l’Unité Nomade de Mise en Scène du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et joue ses spectacles dans des théâtres aussi reconnus que le Théâtre de la Croix-Rousse ou le TNP, et côtoie donc les plus hautes sphères de l’institution théâtrale. Mais, depuis 1998, les spectacles de Géraldine Bénichou constituent l’aboutissement de Passerelles qui correspondent à un travail de longue haleine mené à chaque fois sur plusieurs mois avec des populations peu habituées à la fréquentation ou à la pratique du théâtre, dans des lieux tels que des foyers pour travailleurs immigrés, foyers d’urgence pour l’accueil de nuit des SDF, ou encore des foyers pour femmes battues. Ces deux sphères et ces deux démarches ne sont pas vécues sur le mode de la dualité, au contraire, elles s’intègrent l’une à l’autre pour constituer le projet théâtral du Grabuge, et cette combinaison se retrouve en termes de subventions. En 2006, la compagnie a ainsi été subventionnée par la DRAC Rhône-Alpes à la fois au titre de ses spectacles et au titre des Passerelles, qui sont également subventionnées par le biais de la politique de la ville, par la Région Rhône-Alpes, la Ville de Lyon, la Ville de Villeurbanne, le FIV (Préfecture du Rhône) et le Conseil Général du Rhône mais aussi par les lieux accueillant les spectacles (le TNP notamment). Géraldine Bénichou insiste d’ailleurs sur le fait qu’elle ne répond en général pas à des commandes que pourraient lui soumettre des pouvoirs publics locaux 1889 , et que chaque projet de Passerelle est le fruit d’un désir artistique de la compagnie, qui débouchera à terme sur un spectacle, tout autant que de la revendication de la notion de service public. Cette volonté de décloisonnement des missions sociales et artistiques du théâtre tant dans les institutions qu’au sein du travail des compagnies est ainsi manifeste dans la lettre de candidature de Géraldine Bénichou à la direction du Centre Dramatique National des Alpes :

‘« Alors que le souci de renouvellement des publics se trouve au centre de nombreux discours de politique culturelle, les moyens de financement et les outils de travail mis à disposition de démarches artistiques ancrées dans une relation aux territoires demeurent toujours très modestes voir marginaux. Tout se passe comme si ce qui se risquait artistiquement à naître d’une relation de proximité aux habitants ne pouvait produire que des objets artistiques "impurs". Aujourd’hui, de nombreux artistes de ma génération dont le travail passe initialement par une confrontation aux réalités sociales renoncent à leur démarche pour privilégier un travail plus conventionnel, mais qui leur assure une reconnaissance institutionnelle plus certaine. Je veux croire que l’exigence et l’excellence artistiques peuvent être partageables par le plus grand nombre et que prendre le risque d’une confrontation aux réalités sociales d’aujourd’hui n’est pas une compromission de l’exigence artistique. Dans cette perspective, il me semble aujourd’hui nécessaire d’inventer un Centre Dramatique National qui accorde toute sa légitimité artistique à des démarches qui prennent le risque de se concevoir et de se réaliser dans une confrontation aux réalités sociales de notre temps. » 1890

La proposition de candidature – refusée – de Géraldine Bénichou pour le CDN des Alpes consistait donc à « développer ce théâtre "sans murs" au cœur d’une maison de théâtre » 1891 par le biais des Passerelles, que nous souhaitons donc analyser tant dans leur fonctionnement esthétique que dans leur finalité politique, et que la directrice artistique du Grabuge décrit ainsi :

‘« A la croisée de textes fondateurs et de paroles contemporaines, à la recherche d’une parole à la fois intime et politique, les créations du Théâtre du Grabuge s’expérimentent et se développent par étapes et par détours à travers ce que nous appelons aujourd’hui les Passerelles.
Conçues comme autant d’étapes dans les processus de réalisation de nos projets, les Passerelles sont des formes en devenir qui représentent pour nous des temps de partage et de mise à l’épreuve de nos désirs artistiques et de nos matériaux de création.
Hors des théâtres, pour éprouver au jour le jour la nécessité d’inscrire la parole et l’imaginaire au cœur du quotidien et au plus près des gens, en prenant le risque d’être sans cesse détournés de nos envies premières, questionnés sur notre engagement et notre parole, bousculés par la confrontation de notre imaginaire aux réalités sociales, et à l’écoute de ce que ce dialogue nous apprend de nous mêmes et des autres.
Dans les théâtres, en tentant de redécouvrir la nécessité de ces lieux comme espaces d’interrogation et de dialogue indispensables de l’imaginaire et du réel, de l’art et de la cité. » 1892

Notes
1888.

Source : Site de la compagnie Théâtre du Grabuge : www.theatredugrabuge.com

1889.

Géraldine Bénichou, entretien personnel, Paris, 27 octobre 2006.

1890.

Source : Géraldine Bénichou, Lettre de candidature à la direction du CDN des Alpes, adressée au Directeur de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles 14 juin 2007.

1891.

Même source.

1892.

Source : site de la compagnie. Document disponible à l’adresse : http://theatredugrabuge.com/theatreduGrabuge.swf