a. La création d’un « récit théâtral » commun.

i. De la lecture d’un récit commun…

Comme les Rencontres de Boîtes et les ateliers en milieu carcéral de Armand Gatti, les Passerelles comportent deux étapes, que nous préciserons par l’emploi de deux termes distincts, contrairement à G. Bénichou, qui intègre ces deux temps sous la dénomination Passerelle 1893  : le temps de ce que nous nommerons « l’atelier », puis la « présentation », événement qui marque l’aboutissement du travail dans un lieu et avec une population spécifiques. A l’origine, Géraldine Bénichou invitait « des gens non seulement à écouter une histoire commune à tous, mais à la lire ». 1894 Cette histoire commune renvoie donc toujours à un grand texte fondateur qui fait partie du patrimoine littéraire ou culturel occidental, puisé dans la mythologie gréco-latine, la littérature antique ou classique, ou les textes fondateurs des religions monothéistes : « que ce soit l’Odyssée, ou l’histoire d’Antigone, ou même d’Abraham, c’est des histoires qu’on croit connaître mais qu’on connaît pas, c’est des « lieux communs » mais au sens fort du terme, mais en même temps oubliés. » 1895 Les Passerelles s’inspirent de l’un de ces trois récits et s’intitulent ainsi Odyssées, Antigone, ou Sarah, Agar et les autres. Ces récits sont choisis parce qu’aux yeux de G. Bénichou, ils constituent une référence commune, un lieu commun partagé y compris par ceux qui ne sont pas familiers de la fréquentation des grands textes, et parce qu’ils sont donc susceptibles de créer un lien entre les artistes de théâtre et ces populations exclues de la chose théâtrale. 1896 Outre leur potentiel fédérateur supposé, ces textes sont également choisis parce qu’ils ouvrent sur un imaginaire susceptible de faire voyager hors des frontières d’un quotidien difficile, comme le souligne Géraldine Bénichou : « Je racont[e] une histoire aux gens, ça leur parle, ça les touche, il y en a qui ont les yeux qui brillent, t’es dans un foyer pourri et puis en même temps tu vois bien qu’un instant il y a un détour qui s’est fait à travers cette histoire, qu’il y a quelque chose qui les touche. » 1897 Pendant longtemps, tout l’enjeu des Passerelles a donc consisté à faire lire aux gens ces grands récits, et donc à faire partager cette lecture et à tisser leurs voix à celles des comédiens. Mais, à partir de 2005, Géraldine Bénichou à décidé d’approfondir ce travail de tissage des voix et des époques, en le faisant remonter du stade de la lecture au stade de l’écriture même : désormais, les participants aux Passerelles ne se contentent pas de lire un texte supposé connu de tous et commun à tous, ils écrivent chacun un récit qui va résonner au présent des situations évoquées par les récits fondateurs, mais résonner également des textes des autres participants, ces différents textes participant donc du tissage d’un grand texte commun.

Notes
1893.

Nous assumons donc le fait que, pour des besoins de clarté, nos outils d’analyse s’opposent au principe rassembleur de l’objet étudié.

1894.

Géraldine Bénichou, entretien personnel déjà cité.

1895.

Même source.

1896.

Cette croyance de G. Bénichou dans le fait que la Bible, le mythe d’Antigone ou l’Odyssée d’Ulysse constituent des références partagées par tous peut être jugée pour le moins optimiste, mais c’est bien elle qui fonde le choix de ces textes pour les Passerelles.

1897.

Même source.