b. Fonder un « lieu commun » et une expérience commune.

i. Le décloisonnement réciproque des publics et des lieux théâtraux.

Outre les participants à l’atelier, l’assistance des présentations est composée de leurs proches, des proches de la compagnie, des participants à des Passerelles précédentes – du moins pour les Passerelles qui se déroulent à Lyon, point d’ancrage de la compagnie. Le tissage des voix va donc encore plus loin, car Géraldine Bénichou conserve certains des récits d’ateliers antérieurs et les intègre à la nouvelle présentation. De la sorte, telle personne qui vient simplement assister à la présentation de la Passerelle a participé à un atelier précédent, et peut donc lire son propre texte alors qu’elle n’a pas participé à l’atelier d’écriture dont la présentation est l’aboutissement. Ce principe d’une circulation incessante des récits de voix en voix est fondamental, car c’est lui qui assure la création d’un « bien commun » alors que le public des Passerelles (ateliers et présentations) a pour principe premier l’hétérogénéité de sa composition. L’objectif du Grabuge est bien de décloisonner le théâtre, ses lieux, son esthétique, et son public, aussi il ne s’agit absolument pas de se centrer sur des « publics-cibles » d’exclus mais au contraire de faire se mêler des populations différentes au sein d’une « assemblée » socialement hétérogène, mais unie par « la récitation », comme le décrit Jean-Luc Nancy. D’ailleurs, les présentations ne se déroulent pas uniquement dans des lieux sociaux. Ainsi, sur la période octobre-décembre 2006, les différentes Passerelles en cours à Lyon aboutirent à des présentations à l’Hôtel-Social Riboud (le 12 décembre 2006 à 19h30), à l’Armée du Salut (le 12 décembre 2006 à 12h30), au Relais SOS, foyer d’urgence pour SDF (le 11 décembre à 13h30), à l’asile de nuit Le Train de Nuit (le 14 décembre à 20h30) mais également au Musée Gallo-Romain ainsi qu’à l’Université Lyon 2 (le 13 décembre à 12 h à la Maison des Etudiants.) Selon les lieux, la proportion des différents groupes sociaux varie, et les SDF et les travailleurs immigrés hébergés à l’Hôtel Social Riboud, s’ils assistent à la Passerelle qui se déroule dans leur lieu d’hébergement, ne vont pas se déplacer en masse de manière spontanée pour y assister dans un musée ou une université 1899 , et c’est ce qui explique l’important travail d’accompagnement mené par le Grabuge pour que les participants aux passerelles précédentes se sentent impliqués dans les suivantes, quoique sous une forme plus lâche.

La mention de la Passerelle qui s’est déroulée à l’Université appelle par ailleurs un commentaire. Le fait d’analyser la Passerelle à l’Université Lyon 2 1900 paraît de prime abord poser un problème méthodologique, dans la mesure où il s’agit d’un objet d’analyse que nous avons contribué à créer. Toutefois, il nous paraît important de l’étudier du fait du décalage entre notre proposition initiale et sa transformation par Géraldine Bénichou, qui nous paraît témoigner de sa volonté de créer un « en commun » là où l’on cloisonne trop souvent. Lorsque nous avons fait à Géraldine Bénichou la proposition d’intervenir pour un atelier avec des étudiants de troisième année de licence, elle a accepté à condition que cet atelier consiste à la fois en une initiation aux Passerelles… et en une Passerelle en soi. Ainsi, les étudiants ont à la fois été intégrés au déroulement d’autres Passerelles en cours 1901 , et créé leurs propres textes pour aboutir à une Passerelle. Et ce travail pousse à l’extrême le travail indissolublement poétique et politique de tissage des récits et, à travers eux, des expériences de vie. La condition sociale ou la nature politique de l’exil n’étant pas envisagées par les artistes de la compagnie comme des critères déterminants, les étudiants ont été considérés comme des participants à part entière des Passerelles, aussi le point de départ du travail d’écriture a-t-il été comme toujours celui du départ. Il donna lieu à des récits de départ géographique assez fréquents dans les Passerelles, certaines étudiantes (Anna, polonaise, ou Johanna, allemande) partageant ce parcours avec les participants immigrés ou réfugiés, à la différence qu’elles sont plus intégrées en France et retournent souvent dans leur pays d’origine. Mais d’autres textes témoignent plus fortement d’un tissage avec les Passerelles et des expériences. Nous souhaitons insister particulièrement sur le texte de Mélanie Rebouillat, qui témoigne d’un « parcours » non pas géographique mais intérieur, et effectué non pas en amont, mais au sein des Passerelles.

Notes
1899.

Cela arrive cependant, puisque la Passerelle au Musée Gallo-Romain du 02 février 2007 a réuni de nombreux participants rencontrés dans les foyers en décembre 2006. Pour Géraldine Bénichou, « c’est le sens même de ces Passerelles qui se déroulent dans des institutions culturelles que d’être une invitations à ceux que nous rencontrons dans les foyers à passer la porte des Institutions culturelles, à suivre notre travail et à prendre la parole ailleurs que dans le simple lieux social ou nous les rencontrons. » Géraldine Bénichoun notes consécutives à sa relecture de ce chapitre, Lyon, 05 septembre 2007.

1900.

Atelier de jeu et mis en scène couplé au TD Questions de Dramaturgie, dans le cadre du « Grand Atelier », Licence 3, octobre-décembre 2006. Cet atelier a donné lieu à une Passerelle, organisée à 12 heures à la Maison des Etudiants le 13 décembre 2006.

1901.

L’ensemble des étudiants a ainsi été intégré à la Passerelle Sarah, Agar et les autres organisée le 12 octobre 2006 au Musée Gallo-Romain de Fourvière, et, par plus petits groupes, certains ont participé à la Passerelle au foyer pour SDF et qui s’est déroulée à celle à l’Hôtel-Social Riboud.