iii. Fédérer une communauté politique par delà les clivages identitaires.

Géraldine Bénichou a pleinement conscience du militantisme œcuménique des Passerelles, ce qui s’explique du fait de la composition des participants et des lieux où elles prennent place et sens. Mais cet œcuménisme caractérise également le spectacle Anna, ce qui tend à suggérer qu’il s’agit de bien de militer pour un œcuménisme qui joue avec le sens étymologique du terme, et entend sinon réunir des Eglises, du moins empêcher que leur division ne clive définitivement les membres respectifs des unes et des autres. Cela signifie donc implicitement qu’une appartenance commune, dont la nature reste à déterminer, prime sur la divergence des appartenances religieuses. Le projet initial du spectacle était pourtant précisément de faire un spectacle « beaucoup moins œcuménique » 1913 que les Passerelles, et la metteur en scène avait un temps envisagé de demander leurs papiers d’identité aux spectateurs à leur arrivée dans la salle du TNP, manière beaucoup plus brutale de les faire entrer dans le vécu des immigrés. Mais l’idée a ensuite été écartée, et c’est donc nous l’avons vu par le partage d’une émotion rassembleuse que le spectacle procède en définitive, l’objectif étant de rassembler la communauté pour transcender les clivages sociaux comme les « communautés » identitaires, terme dont l’emploi qu’elle en fait retient l’attention de Géraldine Bénichou :

‘« J’ai peu affaire à des communautés, moi, quand je dis ce mot j’emprunte plutôt un truc qui est du parler de la télé, parce que moi, j’ai affaire à des gens. A l’origine de mon travail, ce qui m’intéressait c’était des lieux de vie, des foyers d’hébergement, parce que d’un coup, il y a des gens qui sont là, réunis, qui n’ont rien à faire ensemble, qui ne partagent que la misère de cet endroit là, parce qu’ils n’ont pas de logement, en même temps, pour avoir beaucoup côtoyé ces lieux, je sais que ce sont des gens qui ont des horizons et des milieux sociaux différents. […] L’enjeu [c’est] de constituer un chœur de résidents qui participeraient au spectacle. Pour moi, un chœur c’est d’emblée comme dans la tragédie antique, les représentants de la cité en scène, et je crois que ça fait très longtemps que je travaille là-dessus. » 1914

Le chœur est envisagé comme la réalisation scénique d’un idéal, que des « gens […] qui n’ont rien à faire ensemble » soient véritablement « réunis », c’est-à-dire non plus seulement juxtaposés les uns aux autres comme autant d’individus isolés, mais rassemblés par leur participation à un projet collectif, fédérateur au-delà des particularismes identitaires, ferments de division, et de la diversité des degrés d’intégration économique et sociale. Par son statut d’événement à double détente, la Passerelle – tant dans le temps long de la démarche des ateliers que par le dispositif scénique de la présentation – constitue un événement artistique mais aussi politique, au sens où elle crée un sentiment d’appartenance collective.

Notes
1913.

Même source.

1914.

Même source.