Conclusion. Les spectacles, instruments de lutte politique ou projet critique autonome ?

A partir de l’exemple de ce spectacle et de cette compagnie, nous voyons que plusieurs modes d’articulations de la pratique artistique à la lutte politique doivent être distingués – bien qu’ils puissent se superposer parfois – et tout d’abord sur le plan des objectifs poursuivis. La compagnie Jolie Môme fait fusionner le projet artistique et le projet de lutte politique, mais d’autres compagnies peuvent établir un rapport de hiérarchie entre ces deux projets. Ainsi certaines compagnies se définissent prioritairement par leur orientation politique, tandis que d’autres font de la pratique artistique l’alpha et parfois aussi l’omega de leur engagement. Et cette divergence de hiérarchie dans l’articulation des objectifs politique et artistique va logiquement de pair avec une divergence dans les modalités de l’articulation. Les compagnies peuvent participer concrètement aux luttes, ou considérer que leurs spectacles constituent à eux seuls une modalité de lutte suffisante, sans qu’il soit besoin de participer concrètement au mouvement social. A ce titre il importe de distinguer d’établir une distinction entre plusieurs types de spectacles. Certains participent à la lutte politique parce qu’ils sont représentés dans le cadre de manifestations politiques. Cette condition nécessaire n’est cependant pas suffisante, et rares sont les spectacles sans contenu politique qui sont joués dans ce cas (à l’inverse des spectacles de la cité de refondation de la communauté théâtrale et politique.) Les spectacles de lutte politique le sont presque toujours par leur contenu intrinsèque, qui peut d’ailleurs constituer l’unique modalité de la participation à la lutte politique. En ce cas, l’on peut considérer que le spectacle est un relais de la lutte plus que l’une de ses modalités, et qu’il participe plus directement au projet critique, dont la lutte proprement dite n’est que l’un des aspects. Cette question débouche directement sur celle du dispositif dramaturgique et scénique du spectacle de lutte politique. A la différence de la cité du théâtre postpolitique qui tend à considérer qu’il ne saurait plus y avoir de révolution que formelle 2062 , les pratiques artistiques inscrites dans la cité du théâtre de lutte politique renouvellent l’articulation de la révolution formelle à un projet d’émancipation politique, aussi complexe et difficile à penser et à mettre en place soit-il du fait des évolutions du contexte politique depuis 1989.

Notes
2062.

Voir supra, Partie I, chapitre 3 et chapitre 4, 1, c (analyse du spectacle Fées) et d (analyse du spectacle Les Marchands) .