Un autre monde est possible et un théâtre de lutte politique aussi.

Si elle peut indubitablement être interprétée comme symbole de la fin d’une ère dans laquelle le projet critique et le modèle politique révolutionnaire étaient articulés de manière évidente, l’année 1989 coïncide avec un renouveau de la contestation politique, de son contenu idéologique comme de ses modalités d’action, et les artistes et notamment les artistes de théâtre, participent de ce renouveau à des degrés divers. Refusant le pessimisme anthropologique et politique et le fatalisme découlant de l’idée d’une fin de l’histoire et d’un choc des civilisations, cette interprétation alternative de la période 1989-2007 s’appuie sur une définition de la politique entendue comme double processus de montée en généralité et de conflictualisation articulé à un projet d’émancipation individuel et collectif. Certes, la refondation du projet critique implique une labilité de certains de ses nouveaux fondements comme des réorganisations de l’articulation du projet critique à la lutte politique. Certes cette labilité implique à son tour des reformulations dans les modalités de cette lutte politique, et la dimension festive prend parfois le pas sur la cohérence idéologique. Cependant l’idée demeure chez certains qu’un autre monde est possible, c’est-à-dire qu’il est possible de transformer le monde existant, dans un contexte certes aggravé, mais qui n’implique ni posture désenchantée ni vision nostalgique. La nébuleuse altermondialiste, qui articule anciennes et nouvelles organisations et revendications, constitue à la fois un mouvement social et la reformulation en acte d’une théorie critique, selon un processus rhizomatique qui préfère l’immanence empirique à la cohérence conceptuelle globale a priori. 2063 Et le théâtre de lutte politique s’inscrit pleinement dans ce projet critique et dans cette lutte politique renouvelés selon des modalités diverses, parmi lesquelles les spectacles proprement dits occupent une place de choix aux côtés de la participation des artistes à des actions politiques indépendantes ou partisanes. Outre la participation directe des artistes à telle ou telle mobilisation, certains spectacles sont articulés de manière plus lâche à la lutte politique et participent plus directement au projet critique, en tant que forme-sens visant à provoquer une prise de conscience chez le spectateur et remplissent donc une mission de sensibilisation, préalable nécessaire à la mobilisation politique, que vient parfois compléter un débat organisé à l’issue de la représentation. Ce sont ces spectacles que nous souhaiterions à présent analyser dans leurs options esthétiques (dramaturgiques et scéniques) comme dans leurs choix thématiques et dans leur mode de production et de diffusion.

Notes
2063.

Si la toute fin de la période coïncide avec un certain reflux du courant altermondialiste et de la gauche de la gauche, du fait notamment de l’échec d’une candidature unitaire à l’élection présidentielle de 2007, l’absence de recul temporel interdit d’interpréter cet échec, aussi cuisant soit-il, comme un essoufflement significatif de cette aspiration.