Nous souhaitons conclure ce chapitre par la présentation d’un dernier exemple qui nous semble consituer à la fois une exception et un archétype du spectacle de lutte politique. Il ne s’agit pas de livrer une étude exhaustive du spectacle Elf la Pompe Afrique – celle-ci a déjà été fort bien menée 2640 – mais plutôt de pointer les différents traits caractéristiques des spectacles de lutte politique à travers ce cas archétypal dans sa démarche de création et ses options esthétiques, et exceptionnel par son circuit de diffusion. L’enjeu politique du spectacle de Nicolas Lambert est inscrit dès sa démarche de création. L’auteur a assisté au procès intenté par la compagnie pétrolière Elf à trente sept prévenus dont MM. Loïk Le Floch Prigent, Alfred Sirven et André Tarallo de fin mars à début juillet 2003 au Palais de Justice de Paris. Et il explique ainsi sa démarche : « à un moment donné j’ai eu du temps, un temps libre et payé par les ASSEDIC, que je considère comme un temps de service public. » 2641 Et le spectacle se veut une œuvre d’intérêt public, comme en témoigne l’exergue du texte, une citation du Tribunal Correctionnel de Paris : « Elf était à l’époque des faits une société publique et elle concernait donc tous les citoyens français qui indirectement, peuvent se sentir victimes des infractions. » 2642 Mais le spectacle Elf, la pompe Afrique, écrit à partir de l’été 2003 dans le contexte du « conflit des intermittents », a aussi été pensé par N. Lambert comme une réponse à Ernest-Antoine Sellières, président du MEDEF et auteur de cette remarque : « c’est le fric des travailleurs qui finance le système des intermittents. » 2643 N. Lambert revendique donc d’avoir fait un « spectacle financé à 100% par le détournement des fonds des annexes 8 et 10 des ASSEDIC » 2644 en « réponse à l'UMP et au MEDEF qui nous accusaient de détruire, nous, l'ensemble du système de la Sécu", dans un contexte où "on remettait en cause les droits sociaux et [le] droit [des artistes] à exercer [leur] métier."
La démarche de N. Lambert est donc à la fois celle d’un citoyen soucieux de s’informer, de comprendre et de mettre en relation des événements qui paraissent obscurs, et celle d’un artiste d’abord soucieux de légitimer son financement par une partie de la collectivité, puis soucieux de transmettre à d’autres les informations qu’il a lui-même collectées. La création du spectacle est vécue par son auteur comme un temps de formation intellectuelle et politique personnelle, il s’agissait pour lui de « bouffer des informations » 2645 et de « [se] faire [s]on chemin d'information avant de [se] faire une opinion. » 2646 La version publiée du texte du spectacle inclut une bibliographie 2647 ainsi qu’une chronologie de l’affaire Elf remontant à la création de l’ancêtre de l’entreprise en 1939 et incluant l’histoire des relations de la France avec les pays africains depuis cette époque. 2648 Ce souci de s’informer et d’informer est étroitement lié au fait que, pour assister aux audiences, Nicolas Lambert s’est véritablement coulé dans le rôle du journaliste. Il explique ainsi être « rentré comme comédien dans la salle » et avoir « joué le rôle d'un journaliste », s’habillant et parlant comme eux, au point de devenir l’un des leurs – d’ailleurs ce sont essentiellement ces journalistes spécialistes des questions judiciaires et non les journalistes culturels qui rendront compte du spectacle dans les grands quotidiens. 2649 Il s’agit là d’ailleurs d’une spécificité du procès comme du spectacle, qui ont tous les deux été largement couverts par les médias, alors même qu’ils ont pu l’un comme l’autre donner l’impression d’être peu relayés voire censurés. C’est que dans le cas du procès, la couverture n’a été faite que dans les quotidiens et a manqué les gros titres parce que ceux-ci étaient occupés par le déclenchement de la guerre en Irak. 2650 N. Lambert s’est peu à peu coulé dans son rôle au point d’adopter les méthodes de travail des journalistes : « tous les matins je relisais mes notes et je les comparais avec les articles parus dans la presse écrite nationale et dans certains journaux étrangers, ainsi que les dépêches de l'AFP. Je suis devenu un journaliste, j'ai fait un vrai reportage de quatre mois, en free lance, commandé par moi-même, sur le palais de justice. » 2651 C’est ce travail de journaliste qui l’incite à déplacer son attention, d’abord centrée précisément sur les journalistes, sur le contenu du procès en lui-même, avec l’ambition d’en donner une « couverture » médiatique alternative. Et c’est cette nouvelle ambition qui va guider les choix esthétiques pour la construction d’Elf, la pompe Afrique.
Non seulement Nicolas Lambert a assisté au procès, mais l’intégralité du texte du spectacle est construite à partir d’un montage de ses notes prises au cours des audiences avec les « nombreux articles de presse » 2652 et « autres sources médiatiques (radio et télévision) ». 2653 N. Lambert assume la dimension artistique et subjective de son travail qu’il sous-titre d’ailleurs Lecture d’un procès, précisant dans son avant-propos qu’« Elf la pompe Afrique est une pièce de théâtre. C’est une lecture partielle et partiale du procès qui est ici proposée. » 2654 L’auteur marche ici sur les traces du Heiner Kipphardt de En cause, J. R. Oppenheimer, et comme lui revendique le fait de s’être « autorisé quelques licences : certaines relances faites par tel ou tel acteur du procès peuvent avoir été placées dans la bouche de tel autre pour faciliter la fluidité du spectacle mais ne dénaturent en rien l’intégrité de leur discours. » 2655 Cette référence au modèle de la pièce-tribunal théorisé par P. Weiss se retrouve dans les choix scénographiques, puisque c’est sur un bidon d’essence sur lequel est collé un autocollant Elf qu’« est rendue la justice » 2656 de N. Lambert, tandis qu’est posée dans un coin de la scène une « balance Roberval de la Justice ». 2657 De même les spectateurs sont impliqués en tant que public de la salle d’audience, et sont invités à se lever après chaque entracte, qui coïncide avec la reprise de l’audience. Plus qu’une simple représentation, le spectacle est vécu par les spectateurs comme une véritable « reconstitution ludique » 2658 du procès. Le public a donc confiance dans le récit du « raconteur » et au-delà dans la présentation que l’artiste fait du procès – plus que dans les comptes-rendus journalistiques diffusés dans la presse – alors même qu’il décrit des situations abracadabrandesques que le jeu d’acteur rend encore plus invraisemblables par la transfiguration des prévenus réels en personnages rocambolesques.
Le spectacle emprunte en effet également au one-man-show comique, puisque c’est N. Lambert qui interprète tous les « personnages » ainsi que celui du « raconteur », qui introduit le spectacle et élargit le sens du procès à la portée d’un exemple dans l’épilogue – N. Lambert se dit d’ailleurs flatté de la comparaison avec Philippe Caubère, l’engagement politique en plus. 2659 La typisation gestuelle et vocale permet au spectateur de mieux comprendre la psychologie et les systèmes de défense des différents « personnages » que sont Loïk Le Floch Prigent, André Tarallo, Alfred Sirven, du directeur des affaires immobilières d’Elf qui passe son temps à jurer de dire la vérité au tribunal 2660 , ou encore André Guelfi, au surnom évocateur de « Dédé la Sardine ». 2661 L’accent corse et la personnalité truculente d’Alfred Sirven expliquent que cet homme accusé de malversations ose l’argument de la moralité, et refuse « ce rôle de délateur » que le tribunal lui demande, se souvenant du résistant qu’il fut : « cela me vient de ma jeunesse. Pendant la guerre, le délateur, c’était le collabo. » 2662 D’où une défense qui rechigne à expliciter les accusations : quand le président du tribunal lui demande si Loïk Le Floch Prigent était au courant de l’ouverture de comptes destinés à son enrichissement personnel et à celui d’André Tarallo, il répond : « il ne pouvait pas ne pas les connaître », avant que le président ne le pousse dans ses retranchements : « deux négations font une affirmation M. Sirven. Exprimez-vous clairement devant ce tribunal » 2663 , et qu’il finisse par avouer que le Président d’Elf était « dans certains cas, et à certaines occasions, […] au courant de certaines choses. » 2664 Avant de livrer une réflexion profonde sur les raisons de son « dérapage » après une jeunesse glorieuse au service de la Patrie, qui s’explique selon lui par « une sorte d’entraînement, d’éblouissement, le fait que nous étions mêlés à des quantités de choses, que nous nous occupions d’affaires pour certaines personnes, que l’argent circulait si facilement » 2665 , avant d’accuser la civilisation elle-même, puis finalement ses supérieurs : « C’est plutôt le spectacle, la civilisation actuelle, M. Le Président. (Gravement.) Cela ne justifie rien, rien, rien. Mais ça explique beaucoup. Je ne nie pas mes dérives personnelles… Je suis là pour répondre de mes actes, de mes erreurs, et je le fais. Mais je n’étais pas le seul. Cet argent m’était envoyé par des gens qui en avaient le pouvoir. Moi, je ne l’avais pas. » 2666 La silhouette frêle et recroquevillée d’André Tarallo, accusé de « délit d’abus de biens sociaux et de recel aggravé » 2667 pour un montant de trois cents millions de francs, s’accorde quant à elle avec le laconisme de sa défense fondée elle aussi sur la litote. Mais cette ligne s’explique cette fois par le caractère « pudique » 2668 mais aussi par la susceptibilité du directeur financier d’Elf, qui « récuse » 2669 ainsi le qualificatif de « cuisine » employé par son ancien patron pour évoquer la caisse noire, au titre que cette expression est « injurieuse vis-à-vis de la direction financière » 2670 et donc de lui-même. Le vieil homme de soixante-seize ans se contente le plus souvent d’un prudent « voilà » qui ne valide que du bout des lèvres les descriptions de plus en plus agacées faites par le président du tribunal de sociétés « off-shore » 2671 , que Tarallo décrit pudiquement comme « non localisées en métropole » 2672 , avant que le tribunal ne précise qu’elles sont de ce fait « situées hors d’atteinte de l’administration fiscale française. » 2673
Le travail de N. Lambert accentue ces traits par son travail de comédien : ainsi, quand André Tarallo évoque le caractère « tout à fait modeste » 2674 de la maison qu’il aurait achetée à la place de l’immense villa estimée à vingt-trois millions d’euros, s’il avait uniquement voulu y loger sa femme et ses enfants, et non en faire un « lieu de réception destiné aux relations franco-africaines » 2675 , il se tasse un peu plus sur lui-même pour mieux convaincre le tribunal de l’humilité de ses goûts personnels. De même les bras en croix utilisés par Loïk Le Floch-Prigent pour signifier son impuissance à lutter contre sa propre « folie des grandeurs » 2676 : quand le tribunal évoque les sommes astronomiques détournées, il se justifie par son passé – explique qu’après son « départ dans des conditions injustes de Rhône-Poulenc » 2677 , il avait « une revanche à prendre » 2678 – ainsi que par ses « problèmes personnels » 2679 de l’époque, rappelant qu’il « vi[vait] alors un amour passionné qui [allait] se transformer en enfer. » 2680 Il reconnaît donc non pas le « délit » mais une « faute » et voit dans ses agissements « une réaction de gamin » 2681 qui « n’est pas explicable par autre chose que par la psychologie qui était la [s]ienne […] » 2682 . Et lui aussi donne une explication en forme d’excuse, quand il lit au tribunal un texte dans lequel il accuse au-delà d’Elf même, « ce type de société [qui] érode le sens des réalités, [où] tout est fait pour que le Président perde ses repères ». 2683 Ces systèmes de défenses ubuesques, aussi efficaces d’un point de vue judiciaire que sur le plan artistique, ne s’effilocheront que quand les prévenus s’accuseront réciproquement, faisant éclater la vérité à coup de tirades théâtrales et grandiloquentes :
‘« ALFRED SIRVEN. Je vais dire quelque chose de… très important, plus que très important, quelque chose de grave. Je ne l’aurais pas fait si M. Le Floch Prigent n’avait pas eu des propos inqualifiables pour ses collaborateurs. Mais un mot m’est resté en travers de la gorge. La nausée. Il a dit "la nausée". Cette nausée, maintenant, est devenue la mienne. Ell se transmet de banc en banc. C’est une véritable contagion. Je n’admets plus cette façon de se défausser… J’ai travaillé pour cet homme pendant vingt ans. J’avais beaucoup d’estime pour lui. » 2684 ’C’est donc l’existence d’une importante matière première théâtrale dans ce procès qui a convaincu N. Lambert qu’il se prêtait plus qu’un autre à une transposition scénique : « Dès le début je suis tombé sur Guelfi et l'épisode du chocolat volé à sa grand-mère [ 2685 ], et à partir de là ça a été une évidence que je restais, même si je ne l'ai pas verbalisé. J'ai commencé la prise de notes et la collecte d'informations sur le procès et les prévenus. » 2686 Ces choix esthétiques sont articulés à l’ambition du spectacle de fonctionner comme un outil de contre-information, puisque le procès n’a eu qu’un faible écho public, ainsi qu’à la volonté de montée en généralité à partir de cet exemple. Après avoir assisté au procès, une tournée au Sénégal fait découvrir à N. Lambert « l'Afrique subsaharienne, et la confrontation entre cette Afrique que Tarallo décrivait comme quelque chose de très compliqué et le terrain a été très violente » 2687 pour l’artiste parce que régnait dans ce pays « une violence sourde et froide, liée à l'omniprésence française. » 2688 N. Lambert, qui « vien[t] de banlieue et [y a] beaucoup travaillé » a alors « l’intuition que le lien entre Paris et sa banlieue est le même que le lien entre la France et ses colonies, c’est-à-dire un rapport de dépendance, un rapport tu, silencieux, mais omniprésent, qui envahit tout. » 2689 Dès lors, le problème posé par l’affaire Elf n’est pour lui « pas tant celui de détournement de fonds, mais celui du système politique qu'on essayait de cacher sous l'enrichissement personnel. » 2690 Le spectacle se veut donc non seulement un outil de contre-information mais un véritable contre-procès. En effet le procès réel a été intenté par la compagnie Elf elle-même, et « ce qui est officiellement jugé ce sont les abus de biens sociaux commis au détriment de la compagnie pétrolière pendant les quatre années de la présidence de M. Le Floch-Prigent, de 1989 à 1993. » 2691 D’ailleurs dans le spectacle sont clairement distinguées deux caisses noires, celle qui servait à l’enrichissement personnel des prévenus, et qui fait l’objet du procès, et celle qui servait au financement des partis et des hommes politiques :
‘LE PRESIDENT DU TRIBUNAL. […] L’instruction a établi que la société Elf avait mis en place un système occulte de versement de commissions destinées à alimenter une caisse noire. Caisse noire qui servira à rémunérer, via des intermédiaires, des décideurs, des chefs d’Etat, et notamment des personnalités pétrolières dans le cadre de sa politique africaine. Et ce, dès sa création par le Président Charles De Gaulle. La direction qui vous a succédé vous accuse […] d’avoir détourné une partie de ces fonds alimentés par ce syst-ème occulte pour constituer une autre caisse noire destinée à votre profit personnel. » 2692 ’Et la caisse « politique » est quant à elle évoquée à contrecoeur par le président du tribunal et brandie comme une menace par les prévenus :
‘« LOÏK LE FLOCH PRIGENT. Bien… En ce qui concerne le flux sortant, j’ai indiqué que c’était pour des besoins politiques. Nous avons financé des politiques tout au long de mon mandat, et sur la période antérieure à celle-ci, plus d’un côté que de l’autre. Je l’ai dit et redit, je l’ai écrit et je ne pense pas qu’il faille aller plus avant. Je sais à peu près quelles sont les orientations qui ont été prises. Je connaissais les destinataires, j’en ai égréné un ou deux noms dans les écrits que j’ai pu commettre. Une manière de garder la vie sauve était de ne pas aller plus avant. Certains ont été au pouvoir, d’autres le sont aujourd’hui, et si j’égrénais des noms maintenant cela ferait certainement la une des journaux mais je ne sais pas si c’est l’objectif du Tribunal ?Seul le Procureur de la République, fidèle aux principes que son titre même lui commande de défendre, et visiblement outré par les révélations qui précèdent, continue son investigation et interroge sans relâche L. Le Floch Prigent. Ce dernier lui explique alors que sa décision de ne pas répondre à la convocation de la magistrate Eva Joly au début de l’affaire était un ordre émanant « des plus hautes autorités de l’Etat » 2694 , et la dernière séance d’audience évoquée dans le spectacle se clôt sur une dernière révélation. L. Le Floch Prigent, sommé de donner des noms, les dévoile enfin – « le Président Jacques Chirac, qui est au courant de tout ce que je sais, exactement comme Mitterrand l’était, comme le Premier Ministre Alain Juppé et plusieurs autres ministres, Bernard Pons, Nicolas Sarkozy… » 2695 – avant de rappeler la raison d’être de cette société publique :
‘« Elf n’était pas seulement une société pétrolière. C’était une diplomatie parallèle destinée à garder le contrôle de la France sur les Etats Africains au moment de leur décolonisation. […] Elf a été créée pour maintenir l’Algérie et les rois nègres dans l’orbite française par le biais du pétrole. Avec les Algériens, ça a capoté, avec les rois nègres ça se poursuit. » 2696 ’L’énormité des révélations de l’ancien Président d’Elf n’a d’égale que celle de l’indifférence générale qui les a entourées. Comme le précise « le raconteur » dans l’épilogue du spectacle, « ce sont [des] hommes qui furent jugés à la demande d’Elf. Mais pas le système Elf. Ce système qui a contribué à la dépossession des peuples africains de leur richesse en stimulant les guerres et dévastant les biens publics au nom de notre République » 2697 . Et c’est ce système en tant que tel, et à travers lui le financement occulte des partis politiques 2698 mais aussi et surtout la Françafrique, incarnation des manquements de la France à ses nobles principes républicains, qu’entend à l’inverse juger le spectacle, qui évoque comme des thèmes secondaires le circuit de vente du pétrole et des armes 2699 , les collusions entre hommes d’affaires et hommes politiques 2700 , le « lobbying politique » 2701 , les golden parachutes et l’affaire des Frégates de Taïwan 2702 et trace un trait entre la décolonisation et la mondialisation. Quand le spectateur entre dans la salle il est accueilli par les photos de trois Présidents de la République, le Général De Gaulle, François Mitterrand et Jacques Chirac 2703 , et la dernière réplique conclut par un retour sur l’enjeu politique du spectacle : « La Ve République n'a pas sauté, ni vingt fois, ni deux, ni une. Mais sa santé m'inquiète. (Au loin, un électrophone joue l’hymne national français. » 2704
L’ampleur et la précision de la critique en font un spectacle de lutte politique mais également un brûlot explosif, qui n’a que peu tenté les salles de théâtre, et Nicolas Lambert fait état de nombreuses discussions avec des programmateurs ayant apprécié le spectacle mais refusé de le programmer au motif que le contenu en était trop polémique. 2705 Elf la pompe Afrique nous paraît caractéristique du théâtre de lutte politique également du fait de son mode de diffusion, qui manifeste l’articulation du spectacle à la lutte politique proprement dite. Le spectacle a d'abord été représenté le 13 janvier 2004 dans un cadre semi-privé dans le local que la compagnie partageait à Pantin avec une entreprise et le Parti Communiste, avant d’être joué lors d’un congrès de la CGT de Gaz de France à Saint Denis– Loïk Le Floch Prigent ayant été un temps PDG de GDF, « la pièce résonnait pour eux. » 2706 (fête de l’Humanité, manifestifs, soirées organisées par les collectifs locaux de Survie en région parisienne, à Clermont-L’Hérault et à Besançon. La volonté de s’articuler à la lutte politique et particulièrement à la lutte menée par l’association Survie, manifeste par ce mode de diffusion dans le cadre de soirées organisées par l’association, est visible dans le texte publié. La préface en a été en effet écrite par le Président de Survie Verschave, qui salue ainsi le talent de Nicolas Lambert :
‘« Le citoyen qui cherche à comprendre ce que les décideurs font en son nom ou dans son dos se heurte à une série d’obstacles matériels mais aussi psychologiques. Maintenir l’incompréhension des processus qui nous gouvernent fait partie d’un travail incessant de propagande mené depuis ce que l’historien Fernand Braudel appelle "l’étage supérieur" de l’économie (l’économie-monde), qui mêle aussi la politique, les médias, la culture […] en une "société-monde". […] De l’étage supérieur on vous dit : "Respectez le droit, la démocratie, refusez le monopole ou le piston, ne mélangez pas les genres" (entre médias, patronat, élus politiques etc.) alors que dans ce monde là […] on fait en permanence tout le contraire. […] Nicolas Lambert s’est emparé de l’affaire Elf, mise en scène de l’étage supérieur, mélange de Françafrique, d’arrogance et de valises à billets ; il a assisté aux séances du procès, il en a longuement mâché et digéré les échanges, pour finalement laisser parler les protagonistes de tout cet inavouable. Le résultat est jubilatoire. Le double langage se désagrège sous nos yeux. Et cette décomposition nous décoince les neurones, nous rend la liberté de comprendre et l’envie d’agir. » 2707 ’Par nécessité économique, ce spectacle qui n’a bénéficié d’aucun subventionnement a rapidement combiné cette diffusion dans des réseaux militants fondée sur un quasi-bénévolat à une diffusion dans le circuit du théâtre privé (à Paris au Studio de l’Ermitage en mars 2004 puis au Théâtre des Déchargeurs en février 2005, le Off du Festival d’Avignon en 2005 et en 2006), avant que le spectacle ne soit finalement diffusé sur DVD 2708 , vendu dans les grandes surfaces et à la FNAC au rayon One-man-Show. 2709 Ce spectacle a pendant longtemps court-circuité le circuit du théâtre subventionné non par choix mais parce qu’aucun théâtre ne voulait le programmer, et ce n’est que depuis 2006 qu’il est diffusé dans des petites salles de la décentralisation en banlieue parisienne et en province, qui ne dépassent pas l’échelle des scènes conventionnées (le Théâtre des Sources à Fontenay-aux-Roses, l’Espace Culturel de Vendenheim, le Centre Culturel de Blanquefort). Pourtant, le spectacle a été représenté plusieurs centaines de fois et a tourné près de quatre ans 2710 et, tout comme la couverture médiatique, court-circuitant les canaux de l’information culturelle, avait profité à la médiatisation du spectacle, le double circuit privé/militant a en définitive permis d’élargir considérablement le public tant en termes quantitatifs que qualitatifs.
L’étude sur la composition du public réalisée par Alexandre Le Quéré lors des représentations parisiennes du spectacle en novembre et décembre 2005 à La Fenêtre, petite salle privée du XIème arrondissement, fait apparaître un public jeune (près de 25% a moins de 26 ans), qualifié, urbain et féminin au sein duquel les cadres et professions intellectuelles supérieures, dont les artistes et intermittents, sont surreprésentés, de même que les étudiants. 2711 Si l’on ne peut parler d’un élargissement en termes de composition sociologique du public, la jeunesse du public constitue en elle-même une conquête, et le public de ce spectacle déborde largement le cadre des spectateurs de théâtre habituels. En outre cette composition n’a été étudiée que lors des représentations dans une salle du théâtre privé parisien, or le spectacle est également diffusé hors des théâtres et hors des grandes villes, et si « le pourcentage des spectateurs venus sur les conseils d’une association (comme ATTAC ou Survie) est négligeable » 2712 lors des représentations à La Fenêtre, ce n’est évidemment pas le cas lors des représentations organisées par ces associations ou dans le cadre de manifestations politiques et festives, qui touchent quant à elles un public de militants et de sympathisants plus divers en termes de composition sociologique. Cette double spécificité des réseaux de diffusion est donc à la fois la cause et la conséquence du contenu politique du spectacle. C’est parce qu’il est politiquement proche de Survie et des mouvements politiques de gauche que N. Lambert a écrit ce spectacle et qu’il le joue dans des circuits militants, et c’est parce que ce spectacle est jugé trop militant par les décideurs du théâtre public que pour survivre l’artiste a dû combiner une diffusion bénévole à une diffusion dans le circuit du théâtre privé.
Alexandre Le Quéré, Elf, la pompe Afrique, du théâtre documentaire à l’engagement militant, mémoire de Master 1 sous la direction de Georges Banu et Chantal Meyer-Plantureux, Université Paris 3, juin 2006.
Nicolas Lambert, entretien personnel, Paris, 07 mars 2005.
Nicolas Lambert, Elf la pompe Afrique. Lecture d’un procès, préface de François-Xavier Verschave, Bruxelles, Tribord, 2005, p. 11.
Ernest Antoine Sellières, Le Monde, 08 juillet 2003. Cité par Nicolas Lambert dans le dossier de presse du spectacle Elf, la pompe Afrique.
N. Lambert, dossier de presse du spectacle Elf la pompe Afrique.
N. Lambert, entretien personnel, déjà cité.
Idem.
Nicolas Lambert, « Sources/Références bibliographiques », Elf, la pompe Afrique, op. cit., p. 91.
Nicolas Lambert, « Chronologie-repères Elf », Elf, la pompe Afrique, ibid., pp. 92-93.
En effet l’article du Monde est signé Pascale Robert-Diard, celui de Libération Karl Laske. Karl Laske, « Elf digne d'audience », Libération, 26 mars 2004, Pascale Robert-Diard, « Sur la scène du Théâtre des Déchargeurs, Elf, la pompe Afrique », Le Monde, 09 janvier 2005.
C’est ce qu’explique à Alexandre Le Quéré la journaliste du monde P. Robert-Diard : « Il faut rappeler aussi que le procès commence au moment du déclenchement de la guerre en Irak. Moi je suis au procès et il s’y passe des choses incroyables ! Je suis excitée comme une puce ! Sauf qu’on me dit que j’exagère, parce que le Monde fait six pages International sur la guerre. Et puis un procès, quand il s’ouvre, c’est toujours pareil. Nous sommes en 2003 et on parle de faits qui ont eu lieu de 1989 à 1995. Tout ça paraît être l’Antiquité. Alors après on vient nous dire : « C’est incroyable cette histoire et ça a été censuré. » Pas du tout ! (…) Il y a plein de gens qui sont passés à côté des deux premières semaines parce que la polarisation de l’actualité était ailleurs. » P. Robert-Diard, entretien avec A. Le Quéré, 27 avril 2006. A. Le Quéré, Elf, la pompe Afrique, du spectacle documentaire à l’engagement militant, op. cit., p. 31.
Nicolas Lambert, entretien personnel, déjà cité.
Nicolas Lambert, « Avant-propos de l’auteur », Elf, la pompe Afrique, op. cit., p. 14.
Idem.
Ibid., p. 13.
Ibid., p. 13.
« Décor », ibid., p. 18.
Idem.
Formule utilisée par l’une des spectatrices d’Elf, la pompe Afrique dans le questionnaire réalisé par Alexandre Le Quéré. Alexandre Le Quéré, Elf, la pompe Afrique : du spectacle documentaire à l’engagement militant, op. cit., p. 15.
Source: Entretien personnel, déjà cité.
Elf la pompe Afrique, op. cit.., p. 57.
Ibid., p. 49.
Elf la pompe Afrique, ibid., p. 76.
Ibid., p. 35.
Ibid., p. 46.
Ibid., p. 64.
Ibid., p. 65.
Ibid., p. 33.
C’est Loïk Le Floch Prigent qui lui attribue ce qualificatif de manière ironique. Ibid., p. 46.
Ibid., p. 52.
Idem.
Ibid., p. 33.
Idem.
Idem.
Ibid., p. 63.
Idem.
Ibid., p. 66.
Ibid, p. 65.
Idem.
Idem.
Idem.
Ibid., p. 69.
Idem.
Ibid., p. 65.
Ibid., p. 75.
Ibid., p. 48.
Nicolas Lambert, entretien personnel, déjà cité.
N. Lambert, entretien personnel, déjà cité.
Idem.
Idem.
Idem.
Idem.
Elf, la pompe Afrique, op. cit., p. 28.
Ibid., pp. 80-81.
Ibid, p. 83.
Ibid., p. 84.
Ibid., p. 81.
Ibid., p. 88.
Ibid., p. 44.
Ibid., p. 83.
Ainsi André Guelfi explique qu’il n’a « jamais considéré Pasqua comme un homme politique », qu’il « l’appelle Charles et [qu’il] le tutoie » parce qu’il l’a « connu chez Ricard [et qu’il] le considère comme un ami », comme si cela pouvait expliquer qu’il lui loue à prix d’or les avions de la compagnie Elf. Ibid., p. 60.
Ibid., p. 38.
Ibid., p. 82.
Nous n’avons pas revu le spectacle depuis l’élection de Nicolas Sarkozy mais il est probable que sa photo a été ajoutée, puisque son nom, cité au cours du procès, figurait donc déjà dans la version antérieure du spectacle.
Elf, la pompe Afrique, op. cit., p. 89.
Nicolas Lambert, entretien personnel, déjà cité.
Même source.
François-Xavier Verschave, « Préface », Elf la pompe Afrique, op. cit., pp. 7-9.
Arnaud Lefoff et Bernard Scho, Elf, la pompe Afrique, Big Eyes Productions, et Un pas de Côté, 2006.
Lors de sa sortie en 2006, le DVD était placé par la FNAC sur la gondole nouveautés aux côtés des DVD du dernier spectacle de Jean-Marie Bigard.
Quelques dates sont encore prévues pour la saison 2007-2008.
Alexandre Le Quéré, Elf, la pompe Afrique, du spectacle documentaire à l’engagement militant, op. cit., p. 12.
Ibid., p. 13.