Certes les évolutions du projet critique et de la lutte politique depuis 1989 marquent une rupture irrémédiable avec le mouvement politique révolutionnaire comme avec ses fondements philosophiques et idéologiques. Mais ce tournant, interprété dans les autres cités comme un effondrement absolu, est pensé et vécu par les artistes qui ressortissent à la cité du théâtre de lutte politique comme l’occasion d’une reformulations du projet critique marxiste et de la lutte politique, dont témoigne dans la sphère militante l’avènement puis le développement du mouvement altermondialiste qui culmine au tournant du XXIe siècle. Le théâtre de lutte politique se fonde sur une conception de l’Histoire toujours envisagée comme processus d’émancipation comme l’est la définition du politique qui s’y articule, caractérisée par un double processus de montée en généralité et conflictualisation des questions.
Dans cette cité, l’art est instrumentalisé, au sens où il ne constitue pas l’alpha et l’omega du projet de l’artiste et des spectacles, mais pour cette raison même, l’esthétique constitue toujours la modalité première de la lutte dans le théâtre de lutte politique. Il se définit de ce fait encore et toujours dans la filiation avec les expériences antérieures ainsi que dans et par son articulation à un projet critique et à une lutte politique renouvelés, prenant en compte les évolutions du projet critique, celles du militantisme, ainsi que celles des modalités d’appartenance des artistes aux cercles intellectuels et militants. Soit le théâtre contribue à la lutte en tant que « propédeutique » à l’action politique, et se situe en ce cas dans le registre de l’information/contre-information et de la prise de conscience, soit il constitue à proprement parler un élément de la lutte parmi d’autres, et y participe concrètement, directement, par le biais des prises de positions contenues dans les spectacles mais aussi et surtout de la participation à des manifestations et événements politiques.
Et l’on note une certaine évolution tout au long de notre période : le mouvement enclenché par les cérémonies du Bicentenaire en 1989 dans la sphère politique comme dans la sphère artistique semble avoir atteint un acmé au tournant du XXIe siècle : le contre-sommet du G8 à Gênes en 2001, le conflit des intermittents en 2003 mais aussi et surtout les évolutions de la situation économique et politique nationale et internationale (délocalisations, la mondialisation des échanges et de la circulation des personnes avec ses retombées sur l’immigration) semblent avoir contribué au développement de la prise en charge de ces questions et prises de positions par les artistes et directeurs de théâtres d’envergure nationale. Sur le plan politique, la situation semble avoir évolué depuis, quoique l’absence de recul empêche de juger de la portée à attribuer au reflux idéologique et politique de la gauche que l’on constate sur l’extrême fin de la période étudiée, tandis que, sur le plan idéologique comme sur le plan gouvernemental, la droite domine. Ce nouveau reflux du projet critique et cette crise des organisations politiques de gauche et d’extrême-gauche ne semblent toutefois pas toucher le théâtre de lutte politique lui-même, au contraire, et les dernières saisons théâtrales incluses dans notre période ont été particulièrement riches en productions théâtrales que l’on peut ranger dans la cité du théâtre de lutte politique. 2713
La programmation des Rencontres Urbaines de la Villette de 2007, le succès du Silence des Communistes créé par Jean-Pierre Vincent au Festival d’Avignon 2007, semblent ainsi confirmer la tendance pour la saison 2007-2008.