INTRODUCTION
LE SUJET DE LA RECHERCHE ET LE PARCOURS MÉTHODOLOGIQUE

1-Le champ d’investigation

Vendredi 31 mai 2002 : Euronews, chaîne d’information, diffuse des images d’affrontements. Il fait nuit, des voitures brûlent, des individus courent en tout sens. La scène se déroule à Belfast et oppose une nouvelle fois Protestants et Catholiques. En dépit de la signature des accords de paix en avril 1998, la situation reste tendue.

11 novembre 2006 : Libération titre « L’Irlande du Nord vers ‘un nouveau partage du pouvoir’ », avant de préciser en introduction de l’article « […] pourquoi le nouveau plan soumis le 13 octobre dernier par Londres et Dublin a de bonnes chances de relancer les institutions biconfessionnelles d’Irlande du Nord, suspendues depuis 2002, aujourd’hui que le DUP (protestant) et le Sinn Féin (catholique) se disent prêts à jouer le jeu. »

Quatre ans séparent ces deux événements. Depuis, l’IRA 1 a déposé les armes en 2005, Ian Paisley (leader du Democratic Ulster Party 2 ) et Martin Mac Guiness (Vice-Président du Sinn Féin) se partagent la tête du gouvernement nord-irlandais depuis mai 2007. La situation au Proche-Orient a également évolué : Yasser Arafat, Président de l’Autorité palestinienne est mort en novembre 2005, et Ariel Sharon, Premier Ministre israélien, est dans le coma depuis janvier 2006. Les leaders politiques « historiques » ou les chefs de groupes armés s’effacent au Proche-Orient comme dans la province nord-irlandaise ; mais, alors que l’Ulster est désormais dans une situation post-conflictuelle, le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens est au point mort. Depuis juin 2007, la Palestine est confrontée à une véritable guerre civile. En effet, suite à la prise de Gaza par le Hamas, le gouvernement de coalition entre Hamas et Fatah a volé en éclat. Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne et leader du Fatah, est désormais le dirigeant d’une nation divisée en deux : la bande de Gaza étant sous le contrôle Hamas et la Cisjordanie sous celui du Fatah.

L’acte de gouverner dans ces deux pays est devenu « anonyme » et collectif ; il n’est plus le fait d’un seul homme ou d’un groupe armé. Anonyme, car peu nombreuses sont les personnes capables de citer sans faillir les noms du Président et du Premier Ministre de l’Autorité Palestinienne ; collective, car au Proche-Orient comme en Irlande du Nord, la coalition entre deux factions autrefois ennemies est devenue, à un moment, le mode de gouvernement. Ainsi, est-il nécessaire de remplacer politiquement les figures historiques disparues ou amoindries. Sans les armes, l’IRA semble éprouver des difficultés à trouver une raison d’être politique en Irlande du Nord ; et la Palestine, que l’aura de Y. Arafat avait tenue, même artificiellement, à l’abri des luttes intestines entre les deux grands partis palestiniens, est désormais divisée.

Malgré ces évolutions, les symboles ont la vie longue dans les deux conflits ; signe manifeste que l’Histoire et la politique se bâtissent sur ceux-ci. En effet, Y. Arafat demeure très présent dans les discours politiques palestiniens et israéliens, et l’IRA qui, désarmée, est régulièrement associée au Sinn Féin dans le discours du DUP, demeure un argument de décrédibilisation politique. Par ailleurs, les représentations médiatiques peinent à proposer aux lecteurs-téléspectateurs des schémas de remplacement des symboles pâlissants. L’Histoire, et les médias avec elle, se cherchent des héros ou des antihéros. La représentation médiatique d’un conflit a besoin d’altérités marquées et de symboles incarnés.

Au-delà de ces variations conflictuelles et médiatiques, l’avènement d’un terrorisme mondial avec comme figure de proue Oussama Ben Laden, a recomposé la carte du monde et reconfiguré les représentations et les symboles.

Ces quinze dernières années, la physionomie des conflits a évolué. Le développement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication 3 dans les stratégies militaires ont modifié la gestion de la guerre et ses représentations. La question des médias dans les situations de crise armée n’est assurément pas nouvelle si nous nous référons au rôle qu’a joué la presse en Indochine, au Vietnam et en Algérie. Durant la guerre du Golfe,  l’information en direct et en continu a largement contribué à cette mutation de l’information dans les conflits.

Au regard de ces constats, il nous paraît important de repenser la place des médias dans les deux conflits. En examinant notamment la nature des représentations proposées sur internet, nous pourrons proposer une vue des liens qui se tissent, se délitent ou se renforcent entre NTIC, représentations médiatiques « traditionnelles 4  » et acteurs d’un conflit.

L’enjeu que représentent aujourd’hui les médias dans les situations conflictuelles est certes prépondérant mais cela n’est pas nouveau ; ce qui l’est, en revanche, c’est la forme que prend celui-ci. Notre hypothèse de travail pose le sujet (de l’énoncé et de l’énonciation) au centre de l’événement médiatique conflictuel ; elle le place sous le prisme conjoint d’internet et de la presse écrite. Nous interrogerons donc les discours des acteurs des conflits et le rôle des médias au sein de ceux-ci, en faisant l’hypothèse d’une modulation des stratégies discursives politiques et médiatiques avec le développement d’internet.

Nous avons arrêté notre objet d’étude aux conflits israélo-palestinien et nord-irlandais. Pourquoi choisir ceux-ci et ne pas nous intéresser aux combats en Yougoslavie qui ont largement occupé la presse internationale ? Il y a deux raisons à cela : tout d’abord, le conflit yougoslave n’est pas un conflit inscrit dans la même échelle temporelle que ceux qui seront l’objet de notre étude. Ensuite, le mode opératoire le plus visible n’est pas le terrorisme. En effet, même si la Yougoslavie a connu au XXème siècle de multiples soubresauts, le conflit yougoslave ne se mesure pas sur un temps long, c'est-à-dire sur plusieurs siècles. Nous souhaitions réaliser une étude comparée et il nous fallait un nombre suffisant de constantes entre les deux objets de la comparaison. En dépit de différences, les conflits en Ulster et au Proche-Orient ont au moins trois points en commun :

ce sont des conflits de « colonies » dans le sens où le territoire, initialement celui des Irlandais d’une part et des Palestiniens d’autre part 5 a été « colonisé » par une nation étrangère 6  ; Le site internet du Sinn Féin reprend très souvent cette terminologie de l’empire britannique et d’une « Irlande colonisée ». De la même manière, il est question en Israël de « colonies juives » sur les territoires autonomes palestiniens. Outre une réalité économique et politique – qui pourrait être discutée, cette qualification duelle met en avant une notion primordiale : celle du territoire. Ce sont des mots porteurs d’une symbolique forte qui sont ici utilisés. Le rapport de domination y est clairement défini ; qui dit « colonie » présume un pays « colonisateur » qui occupe et administre un territoire hors de ses frontières. Ceci suppose « la violation » par une force extérieure de l’espace commun ; le fait de parler de colonies et d’empire présume « un droit à la défense » contre l’envahisseur.

aucune force internationale n’y est militairement intervenue, ce qui n’est pas le cas avec l’Otan en Yougoslavie. Nous précisons que, même si depuis l’été 2006, l’ONU a pris position au Liban, elle ne l’est pas sur le territoire israélien.

le terrorisme est le mode d’action des minorités politiques et identitaires, et les rapports entre médias, Etat, et auteurs des violences nous semblent plus caractéristiques dans ces situations exacerbées.

Proches à plusieurs égards, les conflits israélo-palestinien et nord-irlandais ne jouissent pas des même retombées médiatiques. L’objet de notre étude n’est cependant pas de montrer pourquoi l’opinion publique française et internationale semble plus « attachée » au problème proche-oriental qu’à celui de l’Ulster : l’histoire politique, économique et religieuse répond à cette question.

Analyser les stratégies discursives dans les deux conflits revient à nous interroger sur la nature du discours de presse, sur celle du discours des acteurs sur internet, et sur la façon dont les représentations sur l’événement conflictuel se construisent.

Notes
1.

L’Irish Republican Army (IRA) est une organisation terroriste nationaliste irlandaise, militant pour le L’Irish Republican Army (IRA) est un groupe paramilitaire républicain nord-irlandais, créé en 1919. Il est responsable de nombreux attentats et d’enlèvements durant le conflit nord-irlandais. Il a officiellement rendu les armes et cessé toutes activités en 2005.

2.

Nous désignerons les partis politiques et les groupes paramilitaires par leur sigle quand cela sera possible, dans la mesure où c’est l’acception la plus courante dans les discours journalistique et politique, notamment en Irlande du Nord. Par exemple, le Democratic Ulster Party sera écrit DUP.

3.

Dans le développement de notre thèse, nous utiliserons le sigle NTIC pour désigner les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

4.

Par l’expression « représentations médiatiques traditionnelles », nous désignons les représentations de la presse écrite et audiovisuelle.

5.

Des Juifs vivaient en Palestine avant la création d’Israël mais ils étaient minoritaires.

6.

L’expression « conflits de colonies » indique, ici, la perspective de lutte dont se réclament les Nationalistes nord-irlandais, et les partis politiques et les factions armées palestiniens ; ceux-ci s’opposent aux Etats, parties prenantes des deux conflits.