Les représentations médiatiques sur le territoire national et international se déclinent selon l’axe principal du fort contre le faible, applicable donc au conflit israélo-palestinien et nord-irlandais :
l’image de David contre Goliath 23 : c’est ainsi qu’est stigmatisée la lutte entre la Palestine et Israël. Cette vision du conflit a deux sources : l’une médiatique, l’autre plus politique ; au début de la seconde Intifada les médias ont largement contribué à entretenir cette opposition entre un Etat d’Israël « fort » et un territoire palestinien « inférieur numériquement et militairement. » Cette comparaison fondée sur la mythologie permet de fixer les cadres de référence d’un conflit extrêmement plus complexe que la simple confrontation entre un « homme » et un « colosse », et de mobiliser la symbolique sociale. Nous faisons ici référence aux rapports de force existant dans toutes sociétés civiles, basés sur des inégalités sociales et économiques. Cette comparaison David / Goliath joue sur le rapport faible / fort et ajoute du symbolique à l’ordinaire social. Ce renvoi à la mythologie montre que les médias ont parfois besoin de référents externes, aisément identifiables, pour qualifier l’indicible ou le difficilement « racontable ». Cette image du fort contre le faible est récurrente dans les couvertures médiatiques d’événements violents, car elle permet de réduire les creux interprétatifs susceptibles de dérouter le lecteur-téléspectateur familier d’une représentation dichotomique de la violence.
Cette stigmatisation du conflit a d’ailleurs été largement reprise par les deux acteurs du conflit israélo-palestinien, soit pour être dénoncée soit comme leitmotiv de la propagande palestinienne. Il n’est pas rare d’ailleurs que les sites internet reprennent largement les « images figuratives » proposées par les médias.
Le prisme médiatique, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, a radicalisé les discours sur les événements au Proche-Orient jusqu’à la mort de Y. Arafat ; il a de plus renforcé l’image de Palestiniens « terroristes » et proposé un élargissement du champ de leurs victimes potentielles. Après les attentats du 11 septembre 2001, ce ne sont plus seulement les Israéliens qui sont touchés physiquement et symboliquement par les attentats mais également les pays « occidentaux » qui sont entrés en guerre contre le terrorisme. La mort de Y. Arafat et la disparition d’un symbole fort, représenté dans les médias comme un personnage ambigu, ont légèrement adouci les angles de ce prisme, dans la mesure où G. Bush, A. Sharon et une partie des médias occidentaux avec eux, avaient fait de Y. Arafat un sympathisant d’Al Quaida, le décrédibilisant donc sur la scène publique internationale. Avec Y. Arafat disparaissent non seulement un chef historique détenteur des pleins pouvoirs à la tête des trois principales entités politiques palestiniennes (Autorité Palestinienne, Fatah et Organisation de Libération de la Palestine) mais aussi un symbole médiatique, le catalyseur de tous les maux israéliens et par extension du terrorisme. Arafat mort, le vide sémantique et symbolique ne peut être comblé par des représentations équivalentes, aucun personnage palestinien n’étant capable d’occuper le même espace symbolique. Il faut donc trouver d’autres cadres d’interprétation valables et, pour ce faire, mettre sur le devant de la scène une autre figure symbolique forte.
- le conflit nord-irlandais ne fait pas explicitement l’objet dans les médias d’une comparaison David / Goliath, mais elle est néanmoins sous-jacente dans les représentations médiatiques. Celles-ci opposent en effet régulièrement les paramilitaires républicains de l’IRA à l’« empire britannique ». Nous retrouvons d’ailleurs cette expression dans un reportage de la Cinquième, diffusé en 2002, sur l’IRA : « Chansons contre l’empire ». Jusqu’au milieu des années quatre-vingt - dix, les Républicains sont généralement représentés comme le camp « faible » (économiquement, démographiquement, socialement et politiquement). Cette tendance commence à s’inverser au moment des accords de paix du Vendredi Saint, dans la mesure où l’ensemble des groupes politiques républicains participe au processus de paix. Par ailleurs, la communauté catholique (républicaine) est en forte progression démographique et la communauté protestante risque désormais de se retrouver en minorité. Enfin, la situation économique et sociale des Catholiques s’est fortement améliorée au cours des dix dernières années.
Le camp « fort » a longtemps été représenté dans les médias mais surtout dans les discours des acteurs politiques, comme étant la communauté protestante (unioniste). L’épisode de Holy Cross School en 2001, élément de notre corpus, représente une sorte de cassure symbolique de la comparaison fort / faible ; la différence de traitements et de conditions de vie dans les quartiers protestants, deviennent alors une des revendications principales des Protestants.
Il semble donc que l’opposition fort / faible à l’œuvre au moment le plus aigu du conflit nord-irlandais se soit délitée pour s’inverser finalement.
3–2 La motivation du corpus : les quotidiens et les sites internet
Aborder la question de la représentation médiatique dans les conflits a déjà été réalisé dans le cadre de différentes études. Sans remettre en cause ni éluder la littérature déjà produite, nous voulions proposer une radioscopie de la médiatisation d’un certain type de crise, les conflits identitaires, selon une approche double : comparer le traitement médiatique et les enjeux symboliques produits par celui-ci au sein de deux conflits nationaux sous le jour nouveau des nouvelles technologies d’information et de communication, et interroger des logiques discursives inédites en les confrontant aux médias traditionnels, afin d’observer de si cette nouvelle donne est potentiellement génératrice d’une nouvelle configuration de logiques de «guerre ».
Pour illustrer notre propos, nous avons choisi une approche comparative entre la presse quotidienne et les sites internet.
La catégorisation du conflit est notamment traitée par Isabelle Garcin-Marrou et Jean-François Tétu, dans l’article intitulé «Seconde Intifada et terrorisme. Une analyse des discours de la presse français », AFRI, 4, 2003.