Nous avons arrêté précédemment l’usage du terme pouvoir dans l’optique de notre recherche. Nous devons à présent préciser la notion d’acteurs politiques dans les situations conflictuelles et définir leur relation au pouvoir. Par acteurs politiques, nous désignons les partis politiques ou institutions nationales en place dans les différents pays concernés par les conflits. Ils sont souvent représentés par un leader emblématique, Gerry Adams pour le Sinn Féin, Ian Paisley pour le Democratic Ulster Party, Benyamin Nentanyahu pour le Likoud, etc. Un acteur politique c’est aussi, plus génériquement, un parti politique qui joue un rôle politique dans un espace national déterminé : le Sinn Féin, le Democratic Ulster Party, le Social Democratic and Labour Party, l’Unionist Ulster Party pour le conflit nord-irlandais, et Kadima, le Likoud, le parti travailliste, le Hamas et le Fatah pour le conflit israélo-palestinien. Chacun d’eux possède une légitimité politique dans son pays et se positionne comme acteur à part entière dans l’espace public national.
Cette classification établie, nous rencontrons une première difficulté : celle de la connivence reconnue ou soupçonnée de certains de ces acteurs avec des factions armées productrices de violence terroriste. Le Hamas est touché par cette impasse ontologique qui constitue d’ailleurs aux niveaux national (en Palestine) et international une impasse politique : le Hamas est une force politique élue au suffrage par les Palestiniens mais il est avéré qu’il recourt également à la violence terroriste pour lutter contre Israël. Ainsi, lors de la rencontre qui a réuni Mahmoud Abbas, Ehud Olmert et Condoleeza Rice, Israël et les Etats-Unis ont posé comme condition principale à la relance du processus de paix de ne pas voir figurer dans le gouvernement palestinien le Hamas : « On ne peut pas avoir un pied dans les instances élues et l’autre dans la violence, et tenter de détruire un autre Etat 21 .» Le cas du Hamas est extrêmement intéressant, car la légitimité acquise par le suffrage se trouve remise en cause par les violences produites par certains de ses membres, violences évidemment condamnées par le président de l’Autorité palestinienne, par Israël et la communauté internationale. Le Hamas est dans une impasse politique et symbolique. Politique, car son rapport au pouvoir est extrêmement ambigu : il ne peut gouverner et donc accepter un certain système politique, et à la fois, être en dehors de ce système en produisant une violence synonyme de désordre public. Symbolique, car cette aporie politique est représentée et discréditée dans les discours des hommes politiques (Condoleeza Rice, Ehud Olmert, mais aussi Mahmoud Abbas) et dans les médias.
Le cas du Sinn Féin est très différent : si les médias l’ont présenté régulièrement comme l’aile politique de l’IRA, il y a toujours eu une différenciation au moins terminologique entre l’IRA et le Sinn Féin, ce qui, symboliquement, est révélateur des stratégies politiques de légitimation du parti républicain.
En Palestine, le Fatah, sous la présidence de Yasser Arafat, a souvent été accusé de soutenir les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa 22 . La comparaison s’arrête là car le Sinn Féin et l’IRA ont toujours eu des existences politiques séparées et sont contemporains l’un de l’autre. Nous ne pouvons également comparer le Hamas et le Fatah ; en effet, les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa ont été crée au début de la seconde Intifada en 2000 et ont souvent été présentée comme une milice du Fatah. Cependant, Yasser Arafat a toujours défendu sur la scène publique l’autonomie de ce groupe armé par rapport au Fatah.
Une seconde difficulté consécutive de la première complexifie les relations entre pouvoiret acteurs politiques. Comment pouvons-nous arrêter précisément l’état de ces relations alors que les positions de certains acteurs politiques sont extrêmement fluctuantes et qu’en fonction de l’espace public concerné, les logiques d’acteurs ne sont pas les mêmes ? L’Irlande du Nord est dans une situation post-conflictuelle, les positions politiques ont été largement institutionnalisées dans une division unionistes-républicains. Le pouvoir est un pouvoir (celui du gouvernement britannique) de substitution, en attendant la dévolution des pouvoirs exécutif et législatif à la direction bipartite du Sinn Féin et du Democratic Ulster Party. Les rapports au pouvoir des acteurs politiques nord-irlandais sont placés sous le signe de la dépendance politique et financière à l’égard de Dublin et de Londres.
Nous ne nous étendrons pas sur la situation israélienne puisque les rapports entretenus par les acteurs politiques (Likoud, parti travailliste) avec le pouvoirdu gouvernement sont des rapports classiques d’opposition politique.
En Palestine, les relations des acteurs politiques au pouvoirsont extrêmement complexes. L’opposition politique au pouvoirest aussi une opposition armée, puisque la Palestine était, fin 2006, au bord de la guerre civile ; c’est une logique insurrectionnelle dans laquelle l’Etat (sous la direction du Fatah) est investi d’une obligation de sécurité à l’égard de ses citoyens et doit donc produire une contre-violence. Mais celle-ci doit être menée contre le parti du pouvoir exécutif (le Hamas), pouvoir exécutif qui devrait logiquement être chargé d’appliquer l’action répressive. Il y a donc là un conflit fort entre pouvoir et acteurs politiques, logique d’Etat et logique de partis.
Propos de Condoleeza Rice, Secrétaire d’Etat américaine, « Le sommet tripartite Abbas-Olmert-Rice se tient à Jérusalem sans projet pour la paix », Le Monde, 20/06/2007.
Les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa, ont été constituées à la suite de l’épisode de l’esplanade des Mosquées en 2000 et sont considérées comme le bras armée du Fatah.