Nous avons vu précédemment que le pouvoir exécutif était le gestionnaire de l’action répressive de l’Etat dans les conflits internes et que médias et Etat étaient étroitement liés. Citons une fois encore I. Garcin-Marrou : « Cette répression s’effectue selon les modalités dont décide l’Etat ; et c’est à ce moment-là que les logiques étatiques entrent en conflit avec les logiques médiatiques. Car la répression organisée par l’Etat subordonne tout à son objectif (…). Or cet objectif n’est pas celui des médias qui, dès lors, sont amenés à s’opposer à l’Etat. (…) l’opposition entre l’Etat et les médias, face au terrorisme est liée à la fonction répressive assurée par l’Etat 37 . » Nous reconnaissons volontiers la validité de cette observation dans la mesure où, a priori, la fonction première des médias n’est pas de réprimer la violence mais de la montrer, et de la dénoncer le cas échéant. Si le discours étatique consensuel tend effectivement à l’unité et à l’homogénéisation des voix, il entre en ce sens en contradiction avec la diversité des discours médiatiques.Néanmoins, l’auteur mentionne par la suite 38 que, dans le cas des situations de violence interne à une nation, le consensus se fait autour de l’action de l’Etat et le discours des médias devient difficilement autonome.Les logiques des deux entités se rejoignent de facto.Nous examinerons plus attentivement, dans la seconde partie de notre étude, la question de la délicate autonomie des médias pris « entre plusieurs feux » - celui de l’Etat, celui des acteurs politiques opposés à l’Etat, celui des terroristes, et enfin celui des médias et des logiques éditoriales et économiques propres à chaque support.
Si nous prenons l’exemple des situations conflictuelles en Irlande du Nord et au Proche-Orient, la prééminence de l’exécutif et la manifestation de la puissance de l’Etat ont été ou sont encore une réalité quotidienne.La dé-monstration de cette force répressive passe entre autre par les médias et par dessus-eux en même temps : c’est là le paradoxe de ces situations conflictuelles, et nous rejoignons ici la thèse des logiques contradictoires énoncées plus haut.La censure médiatique pratiquée par le gouvernement israélien lors de l’offensive de Tsahal 39 dans le camp palestinien de Jénine est la parfaite illustration de ce phénomène. L’Etat, quel qu’il soit, se doit d’assurer une double présence sur la scène conflictuelle : effective sur le terrain par une action armée et symbolique dans les médias – même si celle-ci doit se mesurer par une censure ouverte. A Jénine, l’armée a pris le relais de la presse puisque seules les images filmées par Tsahal ont eu l’autorisation d’être diffusées. Durant la guerre du Golfe, la méthode avait déjà été éprouvée, mais pas avec les mêmes résultats (puisqu’à l’inverse, nous avions l’illusion d’une information en continu et en direct), ni avec les mêmes attentes des journalistes (forts de l’expérience de la guerre du Golfe, ils veulent contrôler la production de leurs propres images sur l’événement). L’intérêt de l’épisode de Jénine réside dans le fait que les logiques médiatiques à l’œuvre sont doubles : d’un côté, nous avons les médias israéliens qui se fondent plus ou moins dans le consensus civil et ont une stratégie de suiveurs à l’égard de l’armée et du gouvernement israéliens. De l’autre, les médias internationaux ont une logique totalement opposée puisqu’ils ne sont pas contraints par un consensus national. Nous reviendrons d’ailleurs sur cet aspect dans la seconde partie de notre thèse.
Face à cet événement, médias internationaux et Etat sont dans des logiques totalement opposées : le consensus interne commandé par l’Etat hébreu s’est imposé sur le territoire national mais a néanmoins provoqué le dissensus sur le plan international et entravé indirectement l’action du gouvernement israélien. L’article du Monde du 27 avril 2002, intitulé « Ce que l’on sait vraiment de la bataille de Jénine » illustre parfaitement le malaise ressenti par la presse internationale ; en voici un extrait paru à la Une du journal : « Que s’est-il passé du 03 au 13 avril dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie ? Un massacre, selon les Palestiniens ; des combats acharnés, selon les militaires israéliens ».
Garcin-Marrou I., op.cit., p. 49.
Garcin-Marrou I., op.cit., p. 214.
Tsahal est le nom donné à l’armée israélienne.