L’identité représente ce qui est unifié ; les composantes d’une identité ne sont pas les mêmes mais elles forment un tout. Dans son acception culturelle, l’identité conserve ce caractère du tout unitaire dans la mesure où elle est l’ensemble des traits culturels propres à un groupe qui lui confère son individualité. C’est cette dimension de l’unité qui est particulièrement intéressante dans la mesure où ce « un », ce « tout unifié », se renforce et se désagrège à la fois dans une situation de crise. Se renforce car devant l’altérité (l’Autre, l’Israélien, le Protestant nord-irlandais) le groupe se fonde en un bloc identitaire imperméable aux « agressions » extérieures. Nous évoquons à dessein l’Israélien et le protestant nord-irlandais par opposition au Palestinien et au Catholique nord-irlandais, car les seconds, contrairement aux premiers, définissent leur appartenance par l’absence et la non-reconnaissance (économique, sociale et culturelle) de leur territoire (constitutif d’une part de leur identité) par les Autres. Les Catholiques nord-irlandais comme les Palestiniens ont créé leur identité, ou en tout cas une partie de celle-ci, sur la figure du manque ; le manque d’une terre autonome et de la reconnaissance d’un Etat pour la Palestine et le manque du rattachement à la République d’Irlande pour les Catholiques d’Ulster. Leur identité s’est construite en négatif de l’identité de l’autre, de l’adversaire. Et c’est pour cela précisément que la résolution des deux conflits ne peut se réduire à des signatures au bas d’une feuille de route. C’est en partie pour cela aussi que le Quartet ne parvient pas à proposer une solution efficace dans la résolution du conflit au Proche-Orient. C’est pour cela également qu’au moment de participer concrètement au gouvernement bipartite en Irlande du Nord, Ian Paisley, chef du DUP, se trouvait pris entre la nécessité politique de mener conjointement avec les Républicains le gouvernement d’Ulster et l’obligation identitaire de s’y refuser. S’il n’émettait pas la possibilité de refuser de participer à ce gouvernement bipartite, I. Paisley risquait de se retrouver en porte-à-faux, non pas avec la majorité des Protestants, mais avec les partisans les plus radicaux du DUP.
En situation de crise, l’unité de l’identité peut potentiellement se désagréger car elle est mise en danger. Elle est bousculée par une identité autre, menacée par une triple domination économique, politique et symbolique. C’est précisément le cas en Irlande du Nord où les Républicains ont lutté contre la contagion de l’identité protestante, fondée sur la domination anglaise : domination politique puisque jusqu’au 26 mars 2007, l’Ulster était gouverné depuis Londres ; domination économique et domination symbolique enfin. Celle-ci est corrélative des deux premières, auxquelles sont venues s’agréger plusieurs siècles d’oppositions entre Irlandais et Anglais. L’intégrité de l’identité dominée est donc menacée non pas de disparition mais de désagrégation partielle et de « fusion » avec l’identité dominante.
Dans les deux conflits, l’identité se concentre autour de trois éléments principaux : religieux, politique et géographique. Nous n’allons pas revenir ici sur les conditions d’existence de chacun d’entre eux puisque de nombreux travaux de sociologie et de géopolitique s’y réfèrent ; nous allons simplement les énoncer et nous les examinerons au regard de leur représentation dans les médias dans la troisième partie de notre thèse.
Dans l’un et l’autre cas, l’identité religieuse se construit là-aussi sur la figure de la dualité opposant d’un côté Catholiques et Protestants, de l’autre Juifs et Musulmans. Précisons encore que l’identité religieuse palestinienne ne se réduit pas à la seule religion musulmane, puisque des chrétiens vivent en Palestine. Notons que les médias reprennent majoritairement dans leurs titrages et leurs articles l’opposition Catholiques/ Protestants alors qu’ils parlent plus volontiers d’un conflit entre Israéliens et Palestiniens. Cette assignation du religieux au conflit nord-irlandais, alors qu’il s’agit aussi d’un conflit profondément politique, peut s’expliquer par la mobilisation de cadres d’interprétation historico-religieux déjà connus et reconnus, aisément identifiables par la majorité de l’opinion publique européenne et française (extérieure à l’espace public du conflit donc). La lisibilité du conflit nord-irlandais passerait, pour ce public-lecteur-téléspectateur, par ce syncrétisme interprétatif et non par la mise en œuvre d’une représentation du conflit, plus politique, opposant unioniste et républicain. La logique de représentations est totalement différente dans les journaux nord-irlandais et anglais qui mobilisent le second type d’opposition pour l’opinion publique.
La représentation du conflit israélo-palestinien ne suit pas aussi fortement cette logique interprétative puisque, dans les médias français étudiés sont convoqués indifféremment la figure de l’identité religieuse et celle de l’identité politique.
L’identité politique est clairement dessinée en Irlande du Nord et coexiste avec l’identité religieuse : dans les représentations médiatiques et dans la réalité des partis politiques puisque le paysage électoral nord-irlandais se compose de deux partis républicains (et catholiques), le Social Democratic and Labour Party (SDLP) et le Sinn Féin, et de deux partis unionistes (et protestants), l’Ulster Unionist Party (UUP) et le Democratic Ulster Party (DUP). L’identité politique palestinienne s’est plus distinctement clivée depuis la mort de Yasser Arafat en 2004, entre le Fatah et le Hamas. Ce dernier a remporté en janvier 2006 les élections législatives, obligeant Mahmoud Abbas à composer avec lui.Il faut néanmoins attendre les violences entre les deux factions en décembre 2006 pour que les journaux français reproduisent ce schéma politique et le portent dans le champ lexical de la guerre civile : « Le Hamas et le Fatah soldent leur compte à la Mecque » (Libération, 28/02/2007), « Le Hamas et le Fatah entre trêves et violences à Gaza » (Le Monde, 04/02/2007).A partir de décembre 2006, les médias abordent la question de l’identité palestinienne, non plus sous la figure d’une entité unifiée faisant bloc contre Israël, mais par le biais d’une opposition entre partisans du Hamas et du Fatah, avec en arrière-plan le spectre de la guerre civile.
L’identité politique israélienne est scindée en deux tendances principales : les Faucons, issus de la droite israélienne (le Likoud, Israel Beteinou 99 et le Shass 100 ) et les Colombes représentées par les partis de gauche (Aavoda, le parti travailliste et le Meretz 101 parti social-démocrate). Les Colombes sont partisans de discussions ouvertes et pragmatiques avec les Palestiniens, et les Faucons sont souvent présentés comme les tenants de la ligne dure du paysage politique israélienne, refusant toutes négociations avec le gouvernement palestinien, qu’ils jugent incapable de juguler les groupes terroristes. Leurs dissensions portent notamment sur les questions de Jérusalem, du retour des réfugiés palestiniens, des garanties de sécurité et du territoire. Cette division, largement reproduite par les médias et les politiques nationaux et internationaux durant les années 90 et la première moitié des années 2000, période qui correspond aux négociations et aux accords pour la paix (conférence de Madrid en 1991, poignée de mains entre Arafat et Rabin à la Maison Blanche en 1993, accord de Taba en 1995 et de Charm Al Cheik en 1999 et reprise des négociations en 2000…), est remise en cause depuis la création du parti d’Ariel Sharon, Kadima 102 . Fin 2005, suite à des tensions sur la question du désengagement de Gaza, A. Sharon crée un parti centriste, Kadima, emmenant avec lui plusieurs députés du Likoud et ralliant des hommes politiques de la gauche travailliste comme Shimon Peres.
Le parti de Sharon, Kadima, a redessiné la scène politique israélienne en donnant au centre une place prépondérante puisque le parlement israélien en 2006 se compose ainsi : trente-six sièges pour le centre, vingt-quatre pour la gauche, vingt-trois pour la droite, vingt-sept pour les religieux et dix pour le bloc arabe. Ce patchwork politique crée une situation parlementaire très instable, les grands partis (Likoud, Kadima et Aavoda) devant compter sur les petites formations.
Cette situation n’est pas nouvelle ; depuis les années 1970 , le Likoud et le Parti travailliste , alors les deux grands partis israéliens ne parviennent pas à être majoritaires au parlement israélien, et sont donc obligés de s’adjoindre les voix des petits partis pour gouverner.
L’identité politique en Israël est étroitement liée à trois aspects : la religion - les partis outre leur situation dans l’espace politique gauche/droite se définissent par l’opposition laïc/religieux, l’adhésion ou non à l’idéal du Grand Israël et la reprise des négociations avec les Palestiniens.Sur le terrain, la distinction entre ces trois critères n’est pas si claire ; les frontières sont perméables et mobiles ; les événements de ces dernières années – décolonisation de Gaza, guerre du Liban, attentats, représailles, mort d’Arafat, coma de Sharon – sont des éléments de désordre qui contribuent non pas à redessiner l’identitépolitique israélienne mais à provoquer de mini-séismes politiques au sein de l’espace public israélien.
Ces différentes constations nous conduisent à penser l’identité politique et religieuse comme étroitement liée à la question du territoire et donc à ce que nous avons appelé l’identité géographique.
Israel Beteinou est un parti de droite, russophone. Il siège à l’assemblée avec onze élus depuis 2006 aux côtés des douze élus du Likud.
Le Shass est un parti religieux, orthodoxe séfarade, ayant obtenu douze élus aux élections législatives en 2006.
Le Meretz possède cinq élus au Parlement Israélien et le parti travailliste, dix-neuf élus.
Kadima a obtenu vingt-neuf élus en 2006.