La diaspora est une des principales composantes de la construction identitaire autour du territoire ; il y une diaspora juive comme il y a une diaspora palestinienne, et il y a une diaspora irlandaise. Celles-ci ne répondent pas aux mêmes logiques. Si nous reprenons la terminologie de Gilles Deleuze et de Félix Guattari 105 autour des concepts de territorialisation, déterritorialisation et reterritorialisation, nous pouvons observer que les diasporas juives et palestiniennes suivent une trajectoire inverse : de l’extérieur du territoire pour la diaspora juive pour aller en Palestine (Israël à partir de 1948) et de la Palestine pour migrer en Jordanie, en Syrie, au Liban, en Arabie Saoudite, aux Etats-Unis et en Egypte principalement (suite à des périodes de conflits en 1949 et en 1967) pour la diaspora palestinienne. Dans le premier cas, nous sommes dans une logique de déterritorialisations-reterritorialisation, dans le second cas, il s’agit plutôt d’une territorialisation-déterritorialisation. Nous employons le déterritorialisation au pluriel pour la diaspora juive, dans la mesure où avant 1948, il n’y a certes pas un territoire géographique regroupant une communauté de confession juive, mais des territoires communautaires en Europe, sur le continent américain et en Afrique du Nord.
La communauté juive construit sa diaspora sur un territoire religieux –la terre promise, c’est pourquoi nous parlons de reterritorialisation qui se réalise avec la naissance de l’Etat d’Israël en 1948. En un sens, la diaspora juive (re)trouve la terre promise. La diaspora est immanente à l’identité palestinienne et israélienne ; elle est la continuation symbolique entre un territoire réel et un territoire fantasmé. Elle l’est dans une moindre mesure en Irlande du Nord, car la diaspora est celle des Irlandais vers les Etats-Unis, le Canada et l’Australie (sans oublier l’Angleterre !) afin d’échapper à la tutelle britannique et à la famine au XIXème siècle. Autrement dit, la diaspora juive est celle de la construction d’un territoire (Israël), la diaspora palestinienne est celle de la déconstruction d’un territoire (la Palestine) et la diaspora irlandaise est celle de la reconstruction d’un territoire irlandais uni (une sorte d’Eldorado).
Les communautés diasporiques « s'installent en profondeur dans l'idée de séparation d'avec le pays d'origine, dans celle d'un ailleurs fondamental […]. Il s'ensuit, pour les membres de ces communautés, des conceptions complexes, voire contradictoires du temps et de l'espace. Elle consiste en une opposition entre le temps quotidien et banal du vécu diasporique et le temps essentiel de l'origine, mais aussi du futur imaginé. Ce temps des origines et des fins est fait de mémoire de tragédies ou de nostalgie, fondement d'un ressourcement identitaire commun. Le futur s'énonce en termes d'espérance. Le passé est le lieu de production de mythes rétrospectifs, le futur d'attentes liées à ce passé fondateur même 106 . »
Même si ces trois communautés (palestinienne, israélienne et irlandaise) définissent leur attachement au territoire par leur caractère diasporique, la logique à l’œuvre dans les conflits nord-irlandais et israélo-palestinien ne peut se comprendre à partir de ce facteur univoque. Le nœud de ces conflits réside dans et sur le territoire, à travers une identité fondée sur l’attachement à la terre mais aussi sur une interpénétration de concepts aussi fondamentaux que le religieux et le sacré.
Le concept de déterritorialisation a été crée par G. Deleuze et F.Guattari dans l’ouvrage Capitalisme et schyzophrénie - Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980. Les notions de territorialisation et de déterritorialisation sont des notions centrales de la philosophie de G. Deleuze.
Centlivres Pierre, « Portée et limite de la notion de diaspora », Cemoti- – les Diasporas [en ligne], 1999, n°30, [ref. du 13 mars 2007], disponible sur : http//cemoti.revue.org/document638.html.