4–Le religieux et le sacré

4–1 Le religieux et le sacré dans la représentation des conflits

Nous souhaitons définir précisément le religieux et le sacré avant de poursuivre notre étude, car ces notions sont trop souvent amalgamées dans les médias et l’opinion publique.Il est intéressant de constater que l’ensemble de notre vocabulaire sur les thèmes de la religion et du sacré est d’origine latine. Cette particularité linguistique pose la question de la définition de la religion. Définir un mot, c’est se l’approprier, le rendre presque immanent à une culture, c’est lui donner une mémoire. En ce sens, le fait que le mot religion n’existe pas en dehors de sa latinité pose question non seulement sur l’origine du mot mais aussi et surtout sur le fait que définir le conflit israélo-palestinien comme guerre de religion n’aurait de sens qu’en dehors de l’espace public israélien et palestinien. A fortiori, parler de religieux et de sacré ne fait pas partie de la terminologie courante des médias proche-orientaux ; ou en tout cas, si elle peut être partiellement celle de la presse en Israël, du fait de l’origine en large partie européenne de la population israélienne, ce ne sont pas des représentations développées couramment dans la presse arabophone. L’imaginaire collectif autour du religieux et du sacré n’est donc pas du tout activé de la même façon au Proche-Orient et en Europe. Cette constatation montre que nous ne pouvons penser dans les mêmes termes le conflit israélo-palestinien et le conflit nord-irlandais.

L’étymologie du mot religion est double : il viendrait du latin religare qui signifie "lier" ou "relier" (à Dieu), ou d'un autre mot latin, religere qui signifie "récolter, recueillir". La religion serait ce qui unit un groupe et serait productrice de lien social à travers une communauté de valeurs : celle de l’écrit, avec la tradition du texte dans nos religions monothéistes, et celle des rites. La religion peut aussi se comprendre comme la réponse à un questionnementmétaphysique sur les notions de vie et de mort. Le mot religion retranscrirait donc la collectivisation d’une croyance. Et le terme religieux en serait la formule adjectivale.

Le sacré vient du latin sacer et désigne d’une part « ce qui appartient à un domaine séparé, interdit et inviolable et fait l’objet d’un sentiment de révérence religieuse » et d’autre part « ce qui est digne d’un respect absolu, qui a un caractère de valeur absolue 107 » L’intérêt de cette définition est qu’elle met en tension deux interprétations possibles du sacré. La première le relie potentiellement au domaine de la religion ; mais la seconde lui confère un caractère absolu qui peut se penser en dehors de la religion. Le sacré se retrouve dans la religion, mais il n’est pas intrinsèquement religieux. Il n’est pas de l’ordre de la croyance, il est de l’ordre de la transcendance dans le sens où l’entend Kant, c’est-à-dire en dehors de l’espace et du temps. Il peut y avoir du sacré où il n’y pas de religieux, dans la mesure où le sacré se définit par opposition à ce qui est profane et non ce qui est religieux. Définir le religieux par le sacré, c’est postuler que le religieux serait l’expression politique du sacré. Ce postulat est d’ailleurs davantage à l’œuvre dans le conflit israélo-palestinien dans la mesure où la terre est avant tout la terre des textes sacrés. Le religieux préexiste au politique dans la définition du territoire en Palestine (puisque que c’est le nom biblique) alors que ce n’est pas le cas en Irlande du Nord. C’est pourquoi nous pouvons avancer que le conflit nord-irlandais met en opposition deux identités politiques différentes mais que l’imaginaire religieux est le même : catholiques et protestants étant issus de la religion chrétienne. Le conflit israélo-palestinien oppose deux entités politiques et religieuses différentes. Cela nous amène à penser qu’il y a donc du religieux et du sacré dans les deux conflits mais que ceux-ci n’y sont pas activés de la même manière. Du point de vue des religions, l’opposition entre Catholiques et Protestants peut se lire dans l’histoire alors que l’opposition entre Juifs et Musulmans serait davantage fondée sur l’ordre de la transcendance.

Notes
107.

Définition proposée par le dictionnaire Le petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1996.