Le premier est un Etat et possède une armée, la Palestine ne possède, à l’heure actuelle, ni l’un ni l’autre. La Palestine n’est pas un Etat déclaré et reconnu unilatéralement. Elle en occupe néanmoins largement les fonctions si nous nous référons à la définition proposée dans le dictionnaire de la politique : un Etat serait une « forme institutionnalisée de domination où un territoire et sa population sont contrôlés par une instance, dont le moyen est la détention du monopole de la violence physique légitime et qui remplit les fonctions multiples (approvisionnement, hygiène, scolarisation, etc.) 4 ».L’autorité palestinienne possède une police, des ministères mais paradoxalement l’Etat palestinien n’a pas été décrété. Nous constatons néanmoins que si la Palestine remplit la plupart de ces conditions, deux aspects posent problème : la question du territoire avec les enclaves en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et celle de l’impasse financière et structurelle du pays. En effet, la situation économique est très préoccupante en Palestine, surtout du fait d’un chômage endémique, de salaires des fonctionnaires de l’Autorité impayés, et les activités relatives à l’investissement sont presque inexistantes. Le Dr Georges Al-Abd, gouverneur de l’autorité monétaire en Palestine en janvier 2007, précise que les activités publiques et privées sont paralysées ; cela a contribué au recul du PNB (Produit National Brut) palestinien de 28 % fin 2006, à 2,9 USD (dollars américains) pour l’année 2006 contre 4,04 USD en 2005. Au-delà de la question économique, cette situation de crise remet en question la capacité de la nation palestinienne à se positionner comme un Etat à part entière, selon les termes énoncés précédemment, en matière d’hygiène, d’approvisionnement, etc.
Nous sommes donc en présence de deux entités dont les confrontations sont complexes dans la mesure où elles n’opposent pas les mêmes forces : d’un côté, Tsahal, l’armée israélienne, de l’autre des civils et des factions paramilitaires, les Brigades des martyrs d’Al Aqsa et les Brigades Ezzedine Al Qassam, affiliées aux deux principaux partis politiques palestiniens, le Fatah et le Hamas.En ce sens, la situation est assez proche d’une guerre civile « classique ».Ce type d’opposition se définit selon l’encyclopédie Larousse comme « une lutte armée, au sein d’un même état, entre les partisans du pouvoir en place et une fraction importante de la population 5 ». C’est là toute l’ambiguïté du conflit israélo-palestinien : si nous suivons la définition, cela conduit à comprendre le conflit comme une lutte entre Israéliens et équivaut à assimiler les Palestiniens aux Arabes israéliens ; ce qui est faux. Les Palestiniens ne sont pas citoyens d’Israël. Quel est alors leur statut exact ? Sont-ils les citoyens sans Etat d’une entité politique, l’Autorité palestinienne, concentrée dans les territoires autonomes de Cisjordanie et de Gaza, et à Jérusalem ? Par ailleurs, peut-on assimiler Israël au « pouvoir en place » dans la mesure où les territoires autonomes ne sont pas sous tutelle israélienne ? Ces questions sont sous-jacentes au discours médiatique mais demeurent sans réponse définitive ; ces flottements provoquent des discours divergeants dans les médias. Il demeure exact que la situation en Palestine peut s’apparenter à une guerre civile 6 , dans la mesure où de nombreux Palestiniens cohabitent, à Jérusalem et dans beaucoup d’autres villes avec les Israéliens, et travaillent avec eux. La qualification du conflit comme une guerre civile se fonde donc sur des critères géographiques, sociaux et économiques, et non sur une identité nationale commune. Mais nous ne pouvons pour autant, en dépit de cette proximité géographique et économique, parler d’une seule société civile. Il y a bien deux entités, deux identités différentes.
Cette dernière affirmation conduit à la notion de conflit identitaire : il semble en effet plus juste de poser ce terme comme base de l’opposition entre Israéliens et Palestiniens, même s’il est réducteur de résumer ainsi un conflit où les tensions religieuses, géographiques, politiques et économiques sont omniprésentes. Nous savons la complexité de la situation proche-orientale mais notre propos n’est pas de l’étudier ici en termes géopolitiques. Ce conflit identitaire est une lutte où se jouent les notions d’identités collectives et individuelles, d’identités culturelles et religieuses.
Son but est la défense de l’identité collective d’un groupe et le rejet de l’identité de l’Autre par ailleurs. « L’identité sociale est la connaissance qu’a un individu de son appartenance à un […] territoire et la signification émotionnelle et évaluative qui en résulte. […] Le sentiment d’appartenance à un groupe conduit à exagérer les différences par rapport à des individus d’autres groupes et à minimiser les différences entre individus d’un même groupe 7 . » Nous parlons ici d’identité sociale et politique, car le terme d’identité collective en découle et résulte, dans le cas présent, de revendications territoriales. Nous avons vu au chapitre 2 quela question du territoire est centrale aux deux conflits ; elle dépasse en les surplombant les différentes identités ethniques et religieuses : il y a près de 15 % des Palestiniens qui sont chrétiens, tandis que l'Etat d'Israël est traversé par des divisions fortes : Ashkénazes, Sépharades, Falachas, Arabes israéliens, etc. Mais autour de la question du territoire, cette mosaïque identitaire se recompose en une identité politique unique.
Le conflit proche-oriental est a priori identitaire, dans la mesure où il oppose deux identités, deux cultures religieuses, une « conscience historique », un « sentiment d’appartenance nationale 8 » et un « contrat constamment renouvelé 9 ».
Colas Dominique, Dictionnaire de la pensée politique, Paris, Bordas, 1997.
Grande Encyclopédie, Paris, Larousse, 1987.
Nous faisons référence ici au conflit israélo-palestinien, et non aux violences qui ont éclaté le 15 juin 2007 entre les partisans du Hamas et du Fatah à Gaza, créant une guerre civile.
Lamizet Bernard, Silem Ahmed, Dictionnaire encyclopédique des Sciences de l’Information et de la Communication, Paris,Ellipses, 1997, p. 279.
Lamizet B., Silem A., op.cit., p. 281.
Les deux auteurs l’explicitent par l’aspect contractuel de l’identité collective et opposent le consentement volontaire à l’âme commune. Ce vouloir vivre commun est davantage tourné vers le futur que le passé. L’originalité d’une culture se définirait davantage par sa vitalité, sa capacité d’intégration que par son origine.