La seule dénomination du conflit nous conduirait à le comprendre comme une guerre civile. Nous parlons, en effet, du conflit israélo-palestinien en nommant deux entités distinctes, Israël et la Palestine, alors que nous désignons la lutte entre nationalistes et unionistes en Ulster par le seul terme « nord-irlandais ». Cette terminologie désigne une seule et même société civile. Pouvons-nous, cependant, pour de simples raisons lexicologiques, qualifier le conflit en Irlande du Nord de guerre civile ? Non, même si la remarque doit être prise en compte. Le conflit nord-irlandais ressort, selon nous, de la guerre civile dans la mesure où il s’agit du soulèvement d’une partie de la population contre l’hégémonie britannique - politique, économique et territoriale. Aujourd’hui, la situation politique a évolué puisque l’IRA a officiellement rendu les armes en septembre 2005. Par ailleurs, l’Ulster Volunteer Force 10 (UVF) a annoncé le 3 mai 2007 qu’il renonçait à toute action violente et que son arsenal était neutralisé. Après une série de suspensions et de dévolutions (autonomie des pouvoirs législatif et exécutif) du gouvernement nord-irlandais, un accord a été trouvé à l’automne 2006 entre le DUP et le Sinn Féin pour conduire un gouvernement bipartite, avec à sa tête Ian Paisley et Martin Mac Guinness 11 comme vice-président. Néanmoins, le DUP et le Sinn Féin ont posé des conditions (reconnaissance par le Sinn Féin de la légitimité de la police nord-irlandaise, acceptation par Ian Paisley de la présence de Martin Mac Guiness à ses côtés à la tête du futur gouvernement) ce qui a ralenti le processus. En effet, le gouvernement de coalition aurait dû voir le jour en mars 2007, soit un an et demi après le désarmement de l’IRA, mais la nomination des membres du gouvernement a été repoussée au mois de mai 2007.
Nous ne pouvons pourtant réduire l’opposition entre unionistes et nationalistes à une guerre civile, car leur conflit s’ancre dans l’antagonisme de deux identités sociales, culturelles et religieuses. La situation n’est pas strictement comparable à celle du Proche-Orient mais de nombreux éléments l’en rapprochent : une opposition chronique, le poids de l’histoire et de la religion, la prééminence du territoire, la dénonciation d’inégalités sociales et économiques. A cela s’ajoutent l’hégémonie récente des extrémismes politiques (le parti du DUP en Irlande du Nord, la montée du Shass en Israël 12 ),une radicalisation et une multiplication des organismes paramilitaires (la Continuity IRA 13 , les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa et les Brigades Ezzedine Al Qassam), et enfin la stigmatisation d’une lutte entre « colonisés et colonisateurs ». Dans sa thèse, Discours et pratiques journalistiques en démocratie, Isabelle Garcin-Marrou qualifie la situation conflictuelle en Irlande du Nord de terrorisme indépendantiste : « Ce type de terrorisme vise à rendre indépendante une fraction du territoire national en le séparant de l’Etat visé. Il s’agit donc d’un terrorisme interne à la démocratie, mis en œuvre par des groupes dont les membres sont également ceux de la démocratie 14 .»
Cette qualification ne peut s’appliquer pleinement à la violence palestinienne même si, une fois encore, il est difficile de nier que les actions menées par les Palestiniens ressortent d’un désir de séparer définitivement la Palestine de la société et du territoire israéliens et d’acquérir une autonomie de fait. La situation en Ulster diffère donc par la nature de l’opposition, puisqu’il s’agit d’un conflit séparatiste.
Les crises israélo-palestinienne et nord-irlandaise ont cependant en commun d’être des conflits identitaires ; et ce point de convergence nous permettra de progresser dans notre recherche. Nous devons proposer à présent une définition du terrorisme opératoire et applicable à notre étude, car celui-ci fait partie intégrante des conflits nord-irlandais et proche-oriental.
L’Ulster Volunteer Force est un groupe paramilitaire loyaliste (unioniste), formé en 1966. Il est classé par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis parmi les organisations terroristes, au même titre que l’IRA.
Ian Paisley est le dirigeant historique du Democratic Ulster Party, plus connu en Grande-Bretagne sous le surnom de « Doctor No », pour son inflexibilité à l’égard des républicains et sa propension à opposer un non catégorique à tout dialogue avec eux. Martin Mac Guiness est le numéro deux du Sinn Féin ; c’est un ancien membre et dirigeant de l’IRA. Ces activités au sein du groupe armé l’ont conduit à faire de la prison.
Le Democratic Unionist Party (DUP) est donc une formation protestante radicale dirigée par la Pasteur Ian Paisley. Le Shass est l’abréviation de l’hébreu Shomrei Torah Sephardim, « Gardiens Séfarades de la Torah » ; c’est un parti ultra-orthodoxe.
La Continuity IRA (CIRA), est un groupuscule paramilitaire radical, issu de la séparation d’avec la Real IRA en 1982.Le terme « continuity » réfère à la poursuite de l’objectif originel de l’IRA, qui était de chasser les Britanniques de l’Irlande du Nord.
Garcin-Marrou Isabelle, Discours et pratiques journalistiques en démocratie : les relations Etats-médias face au terrorisme en France et en Grande-Bretagne, Thèse : Sciences de l’information et de la communication : Paris III - Université de la Sorbonne Nouvelle : 1995, p. 16.