3-Entre violence d’Etat et terrorisme « hors-la-loi»

Quelle est la limite des violences dites « illégitimes » ? En quoi la violence peut-elle être légitime ? C’est parce que la frontière est très mince entre « légitimité et illégitimité » que nous souhaitons préciser ce point dans le cadre des conflits étudiés.

Le terrorisme se présente donc comme une action politique violente d’individus ou de groupes menée contre des cibles diverses. Le terrorisme constituerait donc la forme principale d’action des « minorités » - les Palestiniens et les Républicains ou Loyalistes nord-irlandais - contre l’opposant.

Arrêtons-nous un instant sur ce terme de « minorités » : ces groupes sont mineurs par rapport à quoi ? S’agit-il de minorités politiques, sociales ? Le terrorisme est-il réellement le seul fait des minorités ?Les Loyalistes (appartenant à la communauté protestante) en Irlande du nord ont également commis des violences terroristes. Et pourtant, ils ne peuvent être considérés comme une minorité au Royaume-Uni.Néanmoins, si nous nous plaçons du côté des catholiques, les protestants sont une minorité en Ulster.Par ailleurs, si nous nous référons à la définition du terrorisme donné par le PTA, les exécutions de membres de partis palestiniens par les services secrets israéliens sont-elles elles-aussi des actes de terrorisme ou des représailles? Cette ambivalence est à prendre en considération et nous conduit à penser que, dans le cas particulier des conflits armés, ces définitions et ces enjeux terminologiques son synonymes d’âpres luttes pour la conquête d’un pouvoir symbolique.

Où s’arrête et ou commence le terrorisme ? Que la violence soit le fruit d’un Etat, qu’elle soit une réponse à une « agression » ou pas, justifie-t-il le fait d’occulter le terme de terrorisme pour la qualifier ? Affirmer que le terrorisme n’a pas de cibles déterminées est faux, ou en tout cas trop réducteur. Nous l’avons mentionné précédemment, il n’existe pas un mais plusieurs types de terrorisme et plusieurs modes opératoires. L’assassinat à l’automne 2001 du Ministre du Tourisme israélien ne ressort-il pas du terrorisme ? Si. La cible est pourtant précise. L’assassinat de Lord Mountbatten, cousin de la Reine Elizabeth II, par l’IRA le 27 août 1979 est un autre exemple. A notre avis, la définition du terrorisme se joue aussi bien au niveau de l’auteur que de la cible atteinte et des moyens employés.

En revanche, il ne peut y avoir de guerre que lorsqu’il y a deux états belligérants. Tout n’est pas terrorisme non plus ; et il arrive souvent que le terrorisme touche « au hasard » : certains attentats-suicides palestiniens en sont la preuve. Nous rejoignons Philip Schlesinger lorsqu’il reproche à Paul Wilkinson 34 d’accoler au terme de terrorisme des valeurs fortement connotées : « Dans sa condamnation de meurtre indistinct, il est largement soutenu. (…) Plus loin, il voit toute action terroriste comme implicitement amoral et antinomique . C’est plutôt différent. Suggérer qu’il ne peut jamais y avoir de fondement moral, par exemple, une terreur sélective contre des oppresseurs vicieux et corrompus, est loin d’être ‘ incontestable’. (…) Définir quelqu’un comme terroriste revient à saper sa légitimité 35 . »

Les propos de P. Schlesinger présentent un double intérêt : d’une part, il met l’accent sur la complexité de la notion de terrorisme et d’autre part, il souligne ce que nous évoquerons ultérieurement, à savoir la lutte symbolique, médiatique et politique, qui s’engage autour de ce terme.Les terroristes ne se nomment jamais comme tels, ils se déclarent souvent combattants pour la liberté : l’étiquette « terroriste » vient toujours de l’adversaire. Le sens commun, comme le nomme P. Schlesinger, veut que le terrorisme s’attaque à l’Etat, à travers ses citoyens, et que celui-ci réponde par des actions anti-terroristes 36 .

Pour répondre à la question que soulève cette subdivision sur l’existence d’un ou de plusieurs terrorismes en Irlande du Nord et au Proche-Orient, nous constatons qu’il est délicat de qualifier de « terroristes » - au même titre que les violences commises par les paramilitaires palestiniens et nord-irlandais - les actions répressives des gouvernements britannique et israélien. Celles-ci viennent « rétablir » l’ordre démocratique alors que le terrorisme, par définition, brise celui-ci. Nous pouvons cependant nommer terrorisme d’Etat certaines opérations conduites par les deux gouvernements puisque, via leurs services secrets, ils mènent des actions d’enlèvements, de séquestrations et/ou d’éliminations de leaders politiques, et de chefs de groupes paramilitaires.

La réflexion menée dans ce chapitre ne saurait cependant être complète sans envisager les conséquences des attentats du 11 septembre 2001 sur la question du terrorisme, et la façon dont ces deux conflits se trouvent ressaisis par des représentations médiatiques qui se « bipolarisent » après le 11 septembre 2001.

Notes
34.

Paul Wilkinson est professeur en Relations Internationales et directeur du centre universitaire pour l’étude sur le terrorisme et la violence politique, à l’Université de Saint-Andrews en Ecosse.

35.

Schlesinger Philip, Media, State and Nation, Londres, Sage, 1991, p.82 citant Wilkinson P., Political Terrorism, Londres, Macmillan, 1974 : « In his condemnation of indiscriminate murder he is widely supported. (…) Further, he sees all terrorist action as ‘ implicity amoral and antinomian ‘. It’s rather different. To suggest that there can never be a moral basis for, say, selective terror against vicious oppressors is far from incontrovertible.(…) To define someone as a terrorist is to undermine his legitimacy. »

36.

Nous reviendrons en détail sur cet aspect dans le chapitre suivant.