2–Médias et Etat en temps de crise : les médias producteurs d’un discours dominant

Dans les moments extrêmes de crise, l’Etat est dans une logique d’action-réaction, mobilisée par des intérêts convergents – dont le point central est la prise ou la conservation du pouvoir (politique et/ou symbolique), et divergents tout à la fois. L’Etat est contraint de préserver l’ordre public ébranlé par la crise armé, et prend des dispositions visant à produire une contre-violence réparatrice. Ces dispositions sont parfois en porte-à-faux avec la liberté de la presse. Face à cela, les médias tiennent des positions qui divergent en fonction de la nature, de l’intensité et de la durée des violences, de sa relation à l’Etat et de sa position dans l’espace public.

La première des thèses développée par L. Quéré, dans son ouvrage Des miroirs équivoques, met en avant l’incapacité ontologique des médias à produire autre chose que le discours dominant, autrement dit celui du pouvoir. Plus circonspect dans ses affirmations, P. Beaud envisage l’essence d’une société de communication où le médiacentrisme a orienté la réflexion uniquement sur les effets des médias sur l’opinion publique et donc sur les rapports de domination. Pour les deux auteurs, les médias produisent des représentations symboliques, et l’essentiel de leur fonction est de redéfinir sans cesse les rapports sociaux, dans des processus de connivence et de consensus avec le pouvoir : « ce qui est en jeu, c’est l’établissement de relais grâce auxquels l’Etat, le pouvoir politique, l’administration sondent la demande sociale et négocient le consensus 97 . »

Les médias relaieraient donc une symbolique sociale cadrée par des discours dominants, déterminant ainsi les « catégories du dicible et l’indicible, du légitime et de l’illégitime 98  ». Comment se construit la normativité discursive, et comment s’applique-t-elle aux conflits étudiés ?Pour y répondre, nous développerons la théorie du Leviathan Démocratique (the Democratic Leviathan) de John Keane, envisageant entre autres la gestion des médias par l’Etat.

Notes
97.

Beaud P., La société de connivence, Aubier-Montaigne, 1984, p. 219.

98.

Garcin-Marrou Isabelle, Terrorisme, médias et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2001, p. 115.