2–2 Le phénomène de la fascination / répulsion

M. Wieviorka et D. Wolton envisagent trois types de comportements de la presse face au terrorisme : « Le premier est celui de la fascination-répulsion. C’est souvent aussi celui correspondant au premier stade des relations presse/terrorisme, et lié au terrorisme interne. Ici domine une sorte de compréhension à l’égard du discours terroriste et du combat au nom desquels les actes sont perpétrés 167 . » Cet instant constitue l’un des seuls moments où la presse peut se rapprocher de la mouvance terroriste en tentant de comprendre et donc d’expliquer leurs actes. Nous sommes loin ici des penseurs de la Contre-Révolution qui, dansleurs discours sur la violence illégitime et la suspicion de complicité entre médias et terroristes, ne cherchent aucunement à trouver des causes aux actes terroristes qu’elles soient d’ordre historique, social ou économique.

Il faut aussi prendre en compte le fait que, parallèlement aux quotidiens « nationaux », comme The Belfast Telegraph, lu à la fois par les Protestants et les Catholiques nord-irlandais, The Jerusalem Post ou Haaretz en Israël, les journaux proches des groupes politiques, tels que An Problacht/Republican news pour les Républicains nord-irlandais ou Al Ayyat – proche du Fatah, offrent une vision plus « compréhensive » et partisane des événements. Ils demeurent néanmoins idéologiquement et politiquement très proches de ces partis politiques.

« Le deuxième modèle, à l’opposé, est lié à la référence au quatrième pouvoir. C’est ici le pouvoir de la presse qui est central et non pas l’idéologie des terroristes ou les justifications politiques du gouvernement 168 » Dans ce cas précis, l’autonomie de la presse semble accrue car se joue la recherche de la « vérité » sur l’événement. La presse se situe alors au dessus des appareils idéologiques terroristes ou étatiques. Il est évident que ce « détachement » dans le traitement de l’actualité conflictuelle sera a priori plus aisé pour les quotidiens français que nord-irlandais, anglais, palestinien, israélien ou même libanais. Nous verrons un peu plus loin que ce raisonnement mérite d’être atténué. Ce point précis rejoint les notions croisées d’un « important esprit de service public » et d’une « idéologie de “quatrième pouvoir 169  » mises en avant par D. Miller lorsqu’il évoque la complexité des relations entre Etat et médias.

« Le troisième modèle intermédiaire est celui de la solidarité démocratique. Ici la presse ne se sent pas opposée au régime démocratique dans lequel elle est apparue et son rôle est de le défendre par des moyens complémentaires de ceux utilisés par le gouvernement 170 » La presse se comporte comme un outil – conscient - de la démocratie mais n’est pas instrumentalisée pour autant ; pour les médias, se positionner comme acteur du consensus social résulte d’un choix délibéré. Au plus fort des violences terroristes en Ulster et en Israël, ce fut généralement le cas ; même si, selon nous, cette instrumentalisation consciente résulte largement de ce que P. Schlesinger nomme la responsabilisation des médias par l’Etat, aidée en cela par une opinion publique choquée par la violence des attentats.

L’argument d’une symbiose entre médias et terrorisme se heurte à des problèmes structurels tels que la manière dont est qualifié l’événement, la rubrique dans laquelle il est inséré, la chronologie du terrorisme (qui agit par vagues, d’où une période forcée de latence) et enfin le coût d’une veille médiatique (enquêtes de fond, mobilisations de correspondants, etc.) Ces différents aspects seront examinés plus précisément dans la troisième partie de notre thèse.

Sans parler de complicité, M. Wieviorka et D. Wolton concèdent que le terrorisme séduit la presse : « Les journalistes sont très souvent attirés par le terrorisme, pour trois facteurs dont ils devraient justement se méfier : l’événement, les acteurs, le pouvoir 171 . » L’événement s’impose par son immanence, l’acteur bien souvent par son charisme. Le troisième élément se rapporte à un autre type de complicité, avec l’Etat. Cet axiome est-il toujours valable sur internet ? Il semblerait que non, dans la mesure où presses quotidienne et audiovisuelle s’en tiennent au traitement « à chaud » du terrorisme alors que le média électronique se prête davantage à un commentaire décalé de l’actualité. Internet serait comme nous l’avons énoncé précédemment le média du commentaire et de la justification.

Notes
167.

Ibid., p. 125.

168.

Wieviorka M.,Wolton D., op.cit., p. 125.

169.

Miller D., op.cit., p. 247 : « significant service public ethos », « the ideology of ‘the fourth estate’ ».

170.

Wieviorka,Wolton D., op.cit., p. 125.

171.

Ibid., p. 121.