TROISIÈME PARTIE :
LE JEU MÉDIATIQUE DES ACTEURS POLITIQUES DANS LES DEUX CONFLITS

Les parties précédentes ont établi le panorama bibliographique utile et délimité les territoires de notre épistémologie. Comme nous l’avons mentionné en introduction, la troisième partie de la thèse est consacrée à l’étude du corpus de la presse écrite quotidienne et des sites des partis politiques engagés dans les deux conflits. Il ne s’agit pas ici de produire une analyse comparée des discours tenus par la presse sur un événement ou sur un acteur politique avec les discours tenus par ces même acteurs, ce qui serait inopérant dans la mesure où l’énonciateur, les modes et les moyens d’énonciation ne sont pas les mêmes. Il s’agit davantage de mettre en parallèle les modalités du langage politique à travers ces supports d’expression, d’étudier les stratégies discursives des acteurs politiques confrontées à cette double voie médiatique et enfin de les confronter au regard de quatre thématiques principales, afin de dessiner les identités des discours tenus dans les deux conflits : la violence, la figure du leader politique, le sacré, l’identité et le territoire.

Notre corpus de presse écrite se compose, comme nous l’avons précisé en introduction, de six journaux quotidiens. Nous souhaitons ici les présenter brièvement et les situer dans leur espace public respectif. Nous avons expliqué en introduction les raisons de leurs choix, nous n’y reviendrons donc pas ici.

Nous choisissons de présenter synthétiquement ces différents journaux afin d’avoir une vue d’ensemble de leur rayonnement dans l’espace public national 1 , voire dans l’espace public international.

Libération est un journal quotidien français, fondé en 1973 sous l’égide de Jean-Paul Sartre. Au début, journal d’extrême gauche, il évolue dans les années quatre-vingt vers la gauche sociale démocrate. Il connait une chute de son lectorat depuis 1995 ; il diffuse en 2006 à 127 229 2 exemplaires. Il possède un site Liberation.fr 3 qui avoisine les 150 000 visiteurs par jour. Il se situe au troisième rang des ventes des quotidiens nationaux français, derrière Le Monde (312 265 exemplaires) et Le Figaro (322 497 exemplaires).

Le Monde  est un journal quotidien français fondé par Hubert Beuve-Méry en 1944 ; il se veut un quotidien de référence. Il est devenu et reste, en dépit de certaines critiques françaises 4 , le journal de référence non seulement dans l’Hexagone, mais aussi auprès de l’opinion publique internationale, où il apparaît comme LE quotidien français. Le quotidien libanais L’orient le jour le cite régulièrement parmi ses sources. Dans le paysage international médiatique, il figure dans la même catégorie que The Times, Die Welt ou The New York Times, c'est-à-dire comme un journal de « référence ». Le Monde est accessible en ligne (LeMonde.fr) possède sa propre rédaction et ses propres locaux ; il reprend les articles du journal Le Monde, mais également d'autres sources (agences de presse etc.).

The Times est un quotidien britannique de centre droit ; plutôt conservateur, le quotidien a néanmoins largement supporté la politique travailliste de Tony Blair ces dix dernières années. Il est le plus ancien des quotidiens de notre corpus puisqu’il a été crée en 1785. Il diffuse aujourd’hui à 650 000 exemplaires par jour. Contrairement aux quotidiens français, il a une édition spéciale le dimanche, The Sunday Times. Il a eu, et a encore, une influence importante dans le monde politique anglais, et dans l’opinion publique anglaise sur les sujets internationaux. The Times a également un site web 5 . Son principal concurrent est The Guardian (359 000 exemplaires), journal très prisé de l’intelligentsia anglaise et proche des Travaillistes, mais néanmoins très critique à l’égard du gouvernement anglais.

The Belfast Telegraph est un quotidien régional nord-irlandais, créé en 1870 ; son édition parait le soir comme celle du Monde. The Belfast Telegraph est un journal unioniste modéré qui s’est situé en faveur du Good Friday Agreement en 1998. Dans le contexte politique nord-irlandais, il essaie d’attirer des lecteurs unionistes et républicains, ce qui l’oblige à avoir une ligne éditoriale modérée. Il est le seul journal nord-irlandais à être lu par les deux communautés. En 2006, il est vendu à 111 000 exemplaires ; il possède également un site internet 6 . Son principal concurrent, The Irish News, est le seul quotidien (44 000 ex) représentant de la communauté nationaliste et catholique d'Irlande du Nord. Sa ligne éditoriale est elle-aussi très modérée, et se réfère davantage aux thèses du SDLP (parti républicain) qu’à celles du Sinn Féin.

The Jerusalem Post (50000 exemplaires)est un quotidien israélien de langue anglaise  ; il a une édition hebdomadaire en français. Il a été créé en 1932, et est situé pendant plus de cinquante ans comme un quotidien de centre gauche. Après 1989, il se rapproche du Likud ; en 2007, il est considéré comme un journal de centre droit. Il prône néanmoins la diversité d’expression puisque des articles de journalites de gauche y sont régulièrement publiés. Son principal concurrent est le quotidien Haaretz (« Le Pays », centre-gauche, 80 000 exemplaires),qui publie lui aussi une édition hebdomadaire en français. The Jerusalem Post possède également une édition en ligne 7 , Ses deux autres concurrents, même s’ils sont plus éloignés en termes de stratégie éditoriale, sont Maariv (« Le Soir ») et Yediot Aharonot (« Les dernières nouvelles »). Maariv est un journal de droite (150 000 exemplaires), au lectorat plus populaire que The Jerusalem Post, il privilégie une ligne discursive basée sur des Unes visant l’émotion du lecteur mais n’exclut cependant pas les articles de fond. Yediot Aharonot est le premier quotidien israélien en nombre d’exemplaires (400 000 exemplaires) et se présente comme un quotidien indépendant de droite.

Le quotidien libanais L’Orient le jour est né en 1971. Il est, à l’exception de journaux publiés en Egypte, le seul quotidien de langue française au Proche-Orient. C’est un journal indépendant, dont la ligne éditoriale s’inspire largement de celle du Monde, dans la mesure où il affiche largement ses références au quotidien français dans son discours mais aussi dans sa maquette, sa topographie et sa typographie. Il diffuse à 18 000 exemplaires quotidiennement. Son principal concurrent est le quotidien de langue arabe, An Nahar (55 000 exemplaires). Deux autres quotidiens, publiés en Arabe, constituent le paysage médiatique de la presse quotidienne libanaise : Ad-Diyar (journal prosyrien) et As-Safir .

Pour la partie électronique de notre corpus, nous avons retenu les sites internet des principaux partis politiques présents en Irlande du Nord et au Proche-Orient. Nous avons choisi d’étudier les discours des acteurs politiques pour deux raisons : tout d’abord, ce sont des acteurs à part entière de la société civile, qui fonctionnent comme moteur de l’actualité dans l’espace public, au même titre que la population, l’Etat ou les médias. Ensuite, il nous fallait un élément de comparaison « stable ». Etudier des pages Web « personnelles », mettant en scène une opinion sur les conflits, nous est apparu trop aléatoire, tant au niveau de la connaissance que cela demande de l’histoire et de la sociologie des deux conflits qu’au niveau de la qualité et de l’aspect éphémère de certaines de ces pages web. Nous aurions pu également nous arrêter aux sites d’Organisations Non Gouvernementales ou de groupuscules paramilitaires clandestins : nous n’étions pas sûrs,dans le cadre de notre problématique, que les premiers constituaient le choix le plus pertinent, et la consultation des sites de l’IRA ou des Brigades des Martyrs d’Al Aqsa, s’ils existent ou ont existé, est trop aléatoire sur un plan technique 8 .

Ces restrictions prises en compte, nous avons donc sélectionné quatre sites pour le conflit nord-irlandais 9 (ceux du Sinn Féin, du Social Democratic Labour Party, de l’Ulster Unionist Party et du Democratic Unionist Party) et quatre pour le conflit au Proche-Orient (ceux de Kadima, du Likoud, d’Aavoda, et celui du Fatah). Nous avons pris soin dans cette sélection de proposer des partis de chaque bord politique (unioniste et républicain pour l’Irlande du Nord, gauche - « colombe 10 »/droite - « faucon » pour Israël). Nous n’avons pu procéder à la même comparaison pour la Palestine dans la mesure où le site du Hamas est inaccessible.

Avant de poursuivre, nous souhaitons dresser brièvement le panorama politique des deux conflits. En Irlande du Nord, la scène politique est tenue par quatre acteurs principaux en 2007 ; le SDLP (parti républicain socialiste, seize élus) et l’UUP (parti unioniste situé au centre, dix-huit élus), avec respectivement à leur tête Mark Durkan et Sir Reg Empey, sont vus comme des partis modérés. Le Sinn Féin (vingt-huit élus), parti républicain social démocrate dirigé par Gerry Adams, même s’il a participé aux négociations de paix, a longtemps été considéré uniquement comme l’aile politique de l’IRA. Le DUP (trente-six élus) quant à lui est un parti unioniste de droite, opposé farouchement à une partition de l’Ulster. Le révérend Paisley, qui en est le leader, occupe néanmoins depuis le mois de mai 2007 la fonction de Président de l’assemblée nord-irlandaise de Stormont, qu’il partage avec Martin Mac Guiness, membre du Sinn Féin. Depuis les élections législatives de 2003, le Sinn Féin et le DUP sont les deux premiers partis d’Irlande du Nord.

Israël est une démocratie parlementaire multipartite  ; le paysage politique peut être très schématiquement divisé en trois grandes catégories : les parties de gauche (« les colombes »), les partis de droite et les partis religieux (les deux entités peuvent être regroupées sous la dénomination de « faucons »). Les cinq partis possédant plus de dix élus au parlement israélien (Knesset) sont :

Kadima, parti de centre droit, dirigé par Ehud Olmert, vingt-neuf élus ;

Aavoda, parti travailliste de centre gauche, dirigé par Ehud Barak, dix-neuf élus ;

Likud, parti de droite, dirigé par Benjamin Netanyahu, douze élus ;

Shass, parti religieux sans appartenance politique clairement établie, dirigé par Ovadia Yossef, douze élus ;

Israel Beytenou , droite russophone, onze élus.

La pluralité politique en Israël implique des alliances stratégiques afin d’obtenir une majorité à la Knesset, mais cette parcellisation a pour conséquence une grande précarité dans les stratégies politiques des uns et des autres.

La Palestine compte deux principaux partis politiques rivaux, qui sont le Fatah et le Hamas. Il est difficile de caractériser l’orientation politique de ces partis par l’opposition habituelle, droite / gauche, dans la mesure où, en 2007, c’est davantage la nature de leurs relations avec Israël qui les différencient qu’un programme social et politique défini. Chacun de ces partis est fortement marqué par l’empreinte de ses leaders historiques, respectivement Yasser Arafat et Ahmed Yassine. Ils se partageaient jusqu’en juin 2007, les sièges du Conseil national palestinien : soixante-quatorze élus pour le Hamas et quarante-cinq pour le Fatah suite aux élections législatives de janvier 2006. Mais depuis la prise de Gaza par le Hamas, le 15/06/2007, le paysage politique palestinien a changé. Ismaël Haniyeh (Hamas), qui était jusque là Premier Ministre, s’est vu démettre de ses fonctions par le Président Mahmoud Abbas en représailles à l’insurrection. A l’heure où nous écrivons 11 (septembre 2007), le gouvernement palestinien est uniquement composé de modérés et de membres du Fatah, le parti présidentiel. On ne sait ce qu’il adviendra du parlement palestinien.

La sélection des sites analysés a été faite sous deux types de contraintes :

des contraintes matérielles, qui nous ont obligés à contingenter plus encore notre corpus. Pour le conflit israélo-palestinien, l’absence du site du Hamas dans notre corpus s’explique du fait que, comme nous l’avons évoqué précédement, ce site n’est plus accessible depuis 2002. Nous avons donc du restreindre notre corpus pour des raisons d’impossibilité technique. Par ailleurs, le site du Fatah, à nouveau consultable depuis 2006, était lui-aussi inaccessible depuis 2002. Ces impossibilités nous ont obligés à envisager différemment l’étude des sites internet des partis politiques palestiniens. La question de la validité de notre corpus palestinien s’est alors fortement posée. Pour des raisons techniques, les discours d’un des deux principaux partis politiques palestiniens n’étaient pas analysables. Nous aurions pu nous intéresser au site de l’Autorité palestinienne, mais nous n’aurions plus été dans les mêmes logiques discursives, puisqu’il s’agit d’une institution politique, détentrice du pouvoir. Nous avons finalement opté pour une étude des sites palestiniens monographique, puisque nous avons choisi de nous intéresser uniquement au site du Fatah. Ceci nous a semblé, à défaut, constituer un élément de comparaison suffisant avec les sites des partis politiques israéliens, et être potentiellement révélateurs des stratégies discursives du site web.

- des contraintes linguistiques, nous avons été en effet également confrontés au problème de la langue. Cette difficulté, aisément surmontée pour le choix de la presse quotidienne, nous a considérablement ralenti dans le cas des sites internet : le site du Fatah est majoritairement en arabe avec quelques liens en anglais. La majorité des sites des partis israéliens sont en hébreu, à l’exception de Kadima qui propose une interface bilingue hébreu/anglais. Les pages d’accueil et certains liens des sites israéliens ont donc été traduits à la fois avec l’aide de logiciels et avec le concours d’une étudiante israélienne, ce qui peut potentiellement impliquer des biais dans la lecture de ces sites.

Ces contre-temps ont néanmoins trouvé une issue satisfaisant momentanément à nos exigences quant à la pertinence du corpus choisi. En effet, ces impossibilités techniques et ces obstacles linguistiques sont à la fois constitutifs des limites d’internet en terme de lecture des discours politiques, et des choix stratégiques des partis politiques de s’exposer ou non à une publicité internationale.

Cette troisième et dernière partie se divise en deux temps principaux : le premier (chapitre 6) nous permet d’envisager la question de la violence et de ces représentations dans les médias. Le second temps sera l’occasion de mettre à profit les analyses que nous avons faites des articles et des pages web de notre corpus : nous nous attacherons d’abord à étudier le dispositif internet, la sémiotique de ces pages d’accueil et les stratégies argumentatives qui s’y dessinent (chapitre 7). Ensuite, nous consacrerons deux chapitres à une approche thématique envisageant les questions du leadership politique (chapitre 8), puis de l’identité et du territoire (chapitre 9).

Notes
1.

Le taux de pénétration de la presse quotidienne nationale française est

2.

Ces chiffres sont communiqués sur le site Portailpresse [ref. 21/06/2007], disponible sur : http://www.portailpresse.com.

3.

Disponible sur : http://www.liberation.fr.

4.

Pierre Péan et Philippe Cohen , La Face cachée du Monde . Les auteurs affirment, entre autres choses, que l'équipe dirigeante du Monde en 2003,( Jean-Marie Colombani , Edwy Plenel et Alain Minc ), privilégie une politique éditoriale de rentabilité et de ventes, au détriment du respect de la raison d'Etat que Le Monde avait mis en avant dans son code déontologique.

5.

Disponible sur : http://www.timesonline.co.uk.

6.

Disponible sur : http:// www.belfasttelegraph.co.uk .

7.

Disponible sur : http://www.jpost.com.

8.

En effet, il est très fréquent que l’accès à ce genre de sites soit rendu impossible du fait de l’hébergeur.

9.

Pour une situation détaillée de ces partis dans les paysages politiques israélo-palestinien et nord-irlandais, nous renvoyons aux annexes 2,3 et 5 (p. 479 - 487).

10.

« Colombe » et « Faucon » sont des « surnoms » donnés respectivement au parti travailliste (Aavoda), généralement en faveur de la paix et d’une discussion ouverte avec les Palestiniens, et au Likud, parti plus radical et moins enclin aux concessions avec l’Autorité palestinienne.

11.

Au moment où nous écrivons ce chapitre, la Palestine est donc divisée en deux depuis le 15 juin 2007 : Gaza est aux mains du Hamas et la Cisjordanie entre celles du Fatah. La situation en Palestine étant fortement instable depuis cette date, nous signalons l’événement mais nous ne souhaitons pas l’intégrer pleinement dans notre réflexion et notre analyse présentes, ni dans les développements des précédents chapitres. Nous nous réservons néanmoins le droit d’y faire allusion au fil de l’actualité.