1-1-3 Les violences « iconoclastes »

« L’iconoclasme est […] alors le moment où fusionnent la violence orgiaque, une fin en soi puisqu’elle est jouissance, et l’acmé du désir d’humilier autrui dans ses croyances les plus chères 24 » Les violences iconoclastes sont des actes d’agression qui, en touchant au caractère sacré d’un lieu ou d’un personnage, portent atteinte à l’intégrité d’une entité physique et/ou spirituelle. Par extension, si une violence iconoclaste vise un édifice sacré, elle vise non seulement les personnes qui sont directement liées à cet endroit mais également par transfert les individus qui respectent le caractère sacré et parfois religieux (ou non) de ce lieu. Si nous nous référons à la perspective durkhemienne de la notion de sacré 25 , le sacré est « ce que les interdits protègent et isolent. » Le sacré, selon lui, n’est donc pas forcément synonyme de religieux. Lorsqu’un lieu sacré est touché « physiquement », une résonance émotionnelle forte retentit au-delà du premier cercle des victimes.

La violence iconoclaste atteint son apogée lorsqu’elle touche un lieu unanimement reconnu comme sacré. C’est le cas le 25 février 1994, lorsque Barud Golstein tire sur des Palestiniens sortant de la mosquée d’Hébron près de l’emplacement du tombeau des patriarches. Cet endroit est un haut lieu saint pour les Musulmans palestiniens mais également pour les Juifs israéliens. Il y a là un double processus de dépossession du lieu sacré, dans la mesure où, en commettant un attentat sur un lieu reconnu comme sacré par les deux parties, B. Golstein touche à l’intégrité morale des deux communautés. Il commet un sacrilège en perpétrant des violences dans un lieu saint palestinien et dénonce par cet acte hautement symbolique le laxisme du gouvernement israélien à l’égard du traitement de la question palestinienne. Il y a dans cet épisode une violence réelle puisque il y a eu de nombreuses victimes (vingt-neuf tués et une soixantaine de blessés) mais également une violence symbolique à caractère iconoclaste.

La violence iconoclaste peut viser également le caractère sacré, et là religieux, d’une cérémonie funéraire. C’est le cas en Irlande du Nord en 1989, lors des funérailles de membres de l’IRA, lorsqu’un Loyaliste lance une grenale dans la foule et fait trois victimes. Comme dans l’exemple précédent, il y a une action violente (un assassinat) qui vise le caractère sacré d’un événement (un enterrement) et d’un lieu (un cimetière).

Violence réelle et violence symbolique sont intrinsèquement liées ; la première étant souvent l’outil de la seconde. Leurs auteurs les légitiment fréquemment par la nécessité de se défendre contre les intrusions ennemies et par une logique contre-offensive « messianique ». Dans l’introduction qu’il consacre au dossier intitulé « La violence au nom de Dieu », Pierre Cornesa explique que la violence est légitimée d’abord par la nécessité de sauver la « vraie foi » : « Le discours qui prétend « défendre la communauté des croyants » pour justifier de frapper « les autres » est présent aussi bien dans les colonies juives de la bande de Gaza que dans le Hamas et les mouvements islamistes, ou chez le protestant irlandais Ian Paisley 26

Notes
24.

Ibid, p. 204.

25.

Durkheim Emile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p 56.

26.

Conesa Pierre, « La violence au nom de Dieu »,  La revue internationale et stratégique, 57, Mars 2005, p. 76.