1–1 Le conflit nord irlandais

Nous avons commencé à étudier les quatre sites en 2002 ; nous sommes aujourd’hui en 2007, ces sites ont évolué visuellement et pour certains, dans la teneur des discours proposés. Quand cela était possible, nous avons mis en parallèle ces pages d’accueil éditées à différentes dates afin de les comparer ponctuellement.

Les Républicains :

En 2001, l’un des traits communs des deux partis nationalistes étaient d’arborer une inscription en gaélique dans le logotype pour le Social Democratic Labour Party (Páirtí SóisialtaDaonlathachAn Lucht Oibre) et dans le nom même du parti « Sinn Féin » qui signifie en anglais « we ourselves ». Ces gaélismes sont les signes d’un rattachement à une identité culturelle et politique, celle de la république d’Irlande (Eire). Dès la version 2002 du site du SDLP, cette inscription a disparu, ce qui semble traduire la volonté du parti politique d’abandonner une marque identitaire trop forte, susceptible de le desservir politiquement.

* Le Social and Democratic Labor Party

La page d’accueil du site en 2002 s’ouvrait sur une page « furtive » dans laquelle apparaissait le logo du Social Democratic and Labour Party et son sigle, avec son intitulé en gaélique et sa traduction en anglais en gros caractères au centre de la page. Cette composition revenait ensuite en leitmotiv sur toutes les autres pages. Cette interface en ouvrait immédiatement une seconde qui s’avérait être la page d’accueil véritable et s’intitulait le « centre médias » avec les déclarations de dirigeants du Social Democratic and Labour Party. La part du site consacrée aux archives médias était d’ailleurs relativement importante. Les archives recouvraient des domaines assez divers ayant trait aussi bien aux « discussions de paix 58  » qu’à la catégorie « Entreprise, commerce et investissement ».La maquette du site et le logo ont été modifiés le 12 juin 2002.

La version 2007 de la page d’accueil du SDLP a gagné en visibilité et en lisibilité ; le SDLP a largement modifié son sommaire, puisque la rubrique « Media » de 2002 a disparu, laissant la place aux rubriques « News and archive » (« Nouvelles et archives »), « Gallery », ce qui renforce le désir de visibilité que souhaite donner le SDLP de son site. Nous remarquons également que la ligne éditoriale du parti est davantage centrée sur l’actualité économique et sociale, et l’engagement pour la paix, laissant de côté l’histoire (en page d’accueil), avec les rubriques « No (to) Water Charges » (« Non aux taxes sur l’eau »), « End Racism and Sectarianism » (« En finir avec le racisme et le sectarisme »). Fait nouveau, le parti républicain consacre deux rubriques politiquement « porteuses », la première aux femmes (« Women’s Group », « Le groupe des Femmes ») et la seconde aux jeunes (le lien renvoie au site sdlpyouth (« Jeunes du SDLP »).

Le discours tenu par le SDLP est pragmatique et modéré (en référence aux discours des partis comme le Sinn Féin et le DUP, même si cette tendance s’est atténuée depuis quelques temps) et s’attache à promouvoir la vision d’une Irlande du Nord politiquement, économiquement et communautairement équilibré, comme le prouve la base-line 59 du site « Join us in our vision : a better Ireland in a better way » (« Rejoignez-nous dans notre vision : une Irlande meilleure d’une meilleure façon »). En 2002, le SDLP se positionnait aux côtés de l’UUP comme l’artisan du processus de paix. Ils se disaient être la « plate-forme » sur laquelle pouvait se construire la paix.  En 2007, le processus de paix est accompli, le paysage politique a changé puisque le Sinn Féin et le DUP occupent depuis les élections législatives de 2003 la première place sur la scène électorale en Ulster. Cette évolution des suffrages a entraîné une modification éditoriale des sites de l’UUP et du SDLP. Ce dernier a modifié son discours en l’adaptant aux préoccupations des Nord-Irlandais, en adoptant la stratégie populiste et populaire mise en avant par le DUP dès 2002 : être au plus près des intérêts de sa communauté, mais aussi plus largement du peuple nord-irlandais. C’est pourquoi sont mises en avant (colonne de droite sur la partie haute de la page) quatre rubriques révélatrices des problématiques nord-irlandaises : « No (to) Water Charges », « North South Make Sense » (« Le Nord et le Sud ont un sens »), «Flag Watch Campaign » (« La campagne de surveillance des drapeaux »), « End Racism and Sectarianism ». Ces rubriques se retrouvent à un autre niveau du site à la rubrique « Campaigns », complétée d’une rubrique supplémentaire « No to Top up Fees » (« Non à l’augmentation des coûts »). Nous étudierons ultérieurement à travers les arborescences des sites, comment ces constructions en répétition, ces redondances matérielles en quelque sorte, appartiennent à la rhétorique politique du parti et forment une partie de l’argumentation discursive qu’il développe ici.

La maquette de la page d’accueil du SDLP est très équilibrée en termes d’occupation de l’espace, de ce que nous appellerons ici « l’écran blanc » (par référence à la page blanche papier). Il est évident qu’en cinq ans, et cela est valable pour tous les sites étudiés, les partis politiques ont soigné la visibilité de leur page d’accueil, en la rendant à la fois plus équilibrée spatialement (occupation gauche/droite et haut/bas de la page) et visuellement (harmonisation et rhétorisation 60 des couleurs employées), plus lisible par une hiérarchisation et une topographie stratégique des écritures, ainsi qu’une surexposition des images (photos de paysages, de personnalités politiques, ou logotype). Ainsi une photo de jeunes du SDLP, manifestant sur les marches de l’assemblée nord-irlandaise, au centre haut de la page d’accueil peut s’interpréter comme la volonté du SDLP de se tourner vers l’action, et vers l’action avec et pour les jeunes. En termes photographiques, le SDLP a avec les autres sites une similitude là aussi rhétorique, qui est de présenter son ou ses leaders sur le mode suivant : la photo du leader seul (SDLP, UUP, Likud) ou du leader accompagné de ces proches collaborateurs (DUP, Sinn Féin) ou encore dans un effet visant à l’émotion, celle du leader historique et de son successeur (Kadima, photos d’Ariel Sharon - dans le coma depuis janvier 2006 suite à une attaque cérébrale - et d’Ehud Olmert).

Ces sites se sont donc professionnalisés et sont devenus de véritables vitrines publicitaires, dont le but premier est non d’attendre de l’internaute une lecture exhaustive des informations transmises (qui va lire en effet les dizaines de pages de texte de ces sites ?) mais de lui donner envie de pénétrer dans le « magasin du parti », après avoir vu en vitrine les produits les plus attractifs. En effet, de plus en plus d’études mesurent quantitativement (et des outils statistiques fournis par les hébergeurs de site le font aussi) le taux de fréquentation moyen d’un site, le nombre de visiteurs par mois-semaine-jour-tranche horaire et par page, le nombre moyen des pages qu’ils consultent à chaque visite : ce dernier chiffre varie bien évidemment selon la nature du site, mais il dépasse rarement les trois à cinq pages consultées par visite.

En effet, rares sont ceux qui lisent 61 la totalité des pages d’un site, très souvent l’internaute cherche une information précise sur le site, ou si ce n’est pas le cas, sa consultation est très superficielle et il se contente alors de cliquer sur les différents liens hypertextuels de la page d’accueil, comme l’on feuillette les pages d’une revue.

Formellement beaucoup plus aboutie que sa version 2002, le site du Social Democratic and Labour Party est également très riche par la mémoire politique dense et variée qu’il semble mettre en œuvre. C’est ce qui fait d’ailleurs l’originalité du média internet : d’une part, sa capacité d’archivage et d’autre part la grande accessibilité de sa réserve documentaire – le lecteur lambda accédant très librement et facilement aux données. Ces archives jouent le rôle d’une bibliothèque municipale ou universitaire, personne ne lit tous les livres d’une bibliothèque ; l’internaute comme le lecteur lambda se dirige vers le rayon qui l’intéresse, flâne parfois entre les rayonnages mais est de toute façon limité dans le nombre d’ouvrages (par le règlement et par la question du temps) qu’il peut consulter.

Les couleurs de la page d’accueil du SDLP sont une « recomposition » des couleurs du logo du SDLP, le rouge, le vert et l’orange, le fond blanc de la page associé aux deux dernières couleurs rappelle inévitablement le drapeau de la République d’Irlande 62 . Cette chromogénéité 63 imprègne jusqu’à la police de caractère des textes de la page d’accueil, avec des mises en exergue rouge et verte sur fond blanc.

L’intitulé des rubriques de la page d’accueil a lui aussi évolué par rapport à 2002, comme nous le précisions ultérieurement. C’était à l’époque, le seul site à avoir une partie consacrée entièrement à l’Europe : dans sa ligne politique, le « nous » du SDLP se situait résolument en dehors des frontières anglaises ou irlandaises. Désormais cette rubrique a disparu de la page d’accueil, ainsi que le raccourci « Links » (« Liens ») qui renvoyait aux sites ou aux institutions politiques extérieures au SDLP. Le site met davantage en avant ses membres actifs (« Councillors », « MLAs », « MPs 64  », etc.) et, donc, les questions politiques et économiques internes. Enfin, le logotype du parti (constitué de trois anneaux réunis pour former une seule figure avec en dessous le sigle SDLP) trouve un écho symbolique et politique avec la rubrique « North South Make Sense ». Une autre association de ce type pourrait être également faite entre la rubrique « peace process » et l’encadré « End Racism and Sectarianism », avec, là encore, une figure de style, proche de l’acrostiche.

argumentative et stylistique d’une page d’accueil, aspect que nous développerons donc dans la troisième division de ce chapitre.

* le Sinn Féin

Le site du Sinn Féin est extrêmement riche en archives, c’est aussi l’un des partis les plus anciens. Le discours vise notamment à légitimer l’inclusion du parti dans l’espace public nord-irlandais, même si demeure une certaine propension à la délégitimation de l’action politique unioniste, alors que celui du DUP (son adversaire direct) est résolument délégitimant avec tous les partis, républicains et unionistes modérés.

La version 2007 du site a une mise en page là encore beaucoup plus visuelle qu’en 2002, mettant en avant le message central (Gerry Adams et le book shop) ; celui-ci est encadré par des menus : à gauche ce qui a trait à l’histoire du conflit et à la politique, à droite ce qui concerne les médias, les amis du Sinn Féin et à une boutique en ligne. En bas, une autre bande clôt le site verticalement en proposant des renvois à trois sites qui constituent la mise en exergue de trois grands axes politiques du Sinn Féin : le processus de paix, la réunification avec la République d’Irlande et la commémoration d’un passé de résistance et de lutte, avec un site consacré au 25ème anniversaire de Républicains, grévistes de la faim.

Le site du Sinn Féin est assurément un site d’autopromotion très marqué. La bande centrale en haut de la page est consacrée aux questions politiques. Comme dans le site du SDLP, on retrouve des points récurrents comme les liens vers le processus de paix et pour une Irlande unie. Le fond du site est bleu foncé, à la différence des autres sites qui ont un fond blanc. Cette différence chromique est une marque distinctive supplémentaire, une figure de style en quelque sorte, qui va dans le sens de l’idéologie du Sinn Féin qui se veut un parti atypique tant par son histoire que par son positionnement sur la scène irlandaise et nord-irlandaise.

Le premier parti nationaliste nord-irlandais joue sur un graphisme de boutons bleu, noir et blanc avec au centre le slogan « Sinn Féin. Building an Ireland of Equals » (« Sinn Féin. Bâtir une Irlande égalitaire »), et le sommaire du site à gauche, en haut et à droite. de la page d’accueil. Comme sur le site du SDLP, les couleurs du drapeau irlandais sont présentes sur celui du Sinn Féin, dans le logo et le visuel qui commémore le 25ème anniversaire des grévistes de la faim. Les accroches chromiques et l’équilibre des couleurs ne sont pas un trait saillant de la stylistique visuelle du site.

Une bande texte (centre haut de la page) dans laquelle figure le mot bienvenu en huit langues (européennes) participe là-aussi de la stratégie politique du parti et de son désir d’ouverture vers l’extérieur. Par ailleurs, le Sinn Féin propose une version bilingue du site en anglais et en gaélique, comme le font les sites de Kadima (hébreu-anglais) et du Fatah (arabe-anglais). Cette particularité linguistique est une signature identitaire et politique forte pour le Sinn Féin qui marque ainsi son attachement à la culture gaélique mais aussi à l’Eire (qui a deux langues officielles, l’irlandais ou gaélique, et l’anglais). Outre cette originalité, on retrouve le même principe organisationnel que sur le site du SDLP : photos des leaders du parti, visuels qui rendent plus attractive la page d’accueil et texte au centre avec cette fois des hyperliens intégrés au texte-même renvoyant soit à du multimédia (photos et vidéos) soit à d’autres sites (le site du Sinn Féin à l’assemblée, le site des élections législatives 2OO7 et le site www.sinnfein.online.com ). Cette multitude de renvois, cumulée aux raccourcis évoqués plus haut fermant le bas de la page d’accueil, ajoute à la complexité éditoriale du site du Sinn Féin. En effet, la page d’accueil est, pour reprendre notre métaphore précédente, une immense vitrine de magasin, où les objets publicitaires (bookshop, incitation à l’engagement, An Problacht 65 , etc.) se mélangent aux objets plus politiques (site du processus de paix, résultats des dernières élections, manifestes du parti) laissant l’impression d’un « bazar informationnel » qui confine au désordre organisationnel de la page écran et gêne la lecture de l’internaute. Le Sinn Féin semble être sur tous les fronts, et ces références multiples aux différentes actions politiques qu’il mène montrent un désir de légitimation très fort.

Il est intéressant de voir comment le média internet, notamment sur le site du Sinn Féin, renvoie systématiquement à d’autres types de médias et de médiation, comme s’il ne pouvait exister par lui-même mais en interaction constante avec l’extérieur.

En 2002, une large part du site était consacrée à l’histoire du conflit nord-irlandais (plus de 23 pages papier) et à la place du Sinn Féin au sein de celle-ci. En 2007, la partie historique, même si elle figure toujours en page d’accueil, a été considérablement réduite (4 ou 5 pages papier). Chaque parti politique nord-irlandais d’ailleurs se plie à cet exercice rhétorique de « l’histoire dans l’Histoire ». Néanmoins, le site républicain a resserré sa matière textuelle, proposant souvent sur l’équivalent d’une page-écran une synthèse et renvoyant par un raccourci à un site spécialement dédié au sujet abordé. C’est le cas par exemple pour la rubrique « Peace Process » en page d’accueil qui conduit à une page secondaire « The Irish Peace Process », amenant elle-même l’internaute à l’adresse http:// www.sinnfeinonline.com . Ce site, intitulé « Sinn Féin. Extraodinary Ardh Fheis 66 2007 », retrace le rôle du Sinn Féin dans le processus de paix, qui a notamment conduit à la reconnaissance le 28 janvier 2007 de la police nord-irlandaise par ses membres, et a largement contribué à la concrétisation d’un gouvernement bipartite depuis mai 2007.

Trois éléments principaux ressortent de l’étude de la page d’accueil du Sinn Féin : la mise en avant d’une activité politique importante, la médiatisation de celle-ci par le biais des médias classiques (écrit, audio ou vidéo) ou du multimédia (sms, rss feed, etc.), et enfin l’optimisation mercatique par la boutique en ligne de cet activisme politique.

- Les Unionistes

De la même façon que les partis républicains, les deux partis unionistes ont un point commun se rapportant à leur revendication identitaire : ils arborent les couleurs du drapeau anglais et signifient ainsi leur allégeance à la couronne britannique.

* l’Ulster Unionist Party

En 2002, le site de l’UUP était sans aucun doute le plus « professionnel » politiquement parlant des sites visités. Il se rapprochait fortement des sites « traditionnels » de partis politiques (hors situation conflictuelle) et apparaissait comme le plus modéré avec le SDLP.

La mise en page de la version 2007 laisse une large part au texte ; on retrouve les rubriques « History » (« Histoire »), « Representatives » (« Représentants »), et la rubrique « Our Vision » (« Notre vision ») englobe les rubriques « Your constituency » (« Votre constitution ») et « Policies » (« Politique »). Un aspect intéressant est la récurrence de rubriques consacrées à des publics nouveaux, « Women’s council » (« Le conseil des Femmes ») et « Young Uniosnists » (« Les Jeunes Unionistes »), comme sur le site du SDLP. La carte de l’Irlande du Nord aux couleurs britanniques, existante dans la version 2002, est toujours présente en 2007, et les mêmes jeux chromiques bleu et rouge renvoient au drapeau anglais. Visuellement, la page de l’UUP est très mal équilibrée avec un espace textuel central beaucoup plus long que les colonnes à gauche et à droite.

La version 2002 du site de l’UUP proposait une vision très impersonnelle de sa politique dans le sens où elle n’impliquait pas vraiment un public particulier de personnes, alors que la version de 2007 touche donc d’avantage l’internaute avec les rubriques « Young unionists » et « Women’s Council ».

Le site « parle » aux internautes plus encore qu’il ne semble leur parler de politique, dans le sens traditionnel et électoraliste du terme. La rubrique « People » (« Les gens ») est particulièrement intéressante dans la mesure où elle inclut les catégories « Representatives », « Party officers » (« Les Cadres du Parti »), « Spokespeople » (« Les Porte-paroles ») ; il s’agit donc ici de la « population politique » du parti. Cette opposition nominative entre les « vraies gens » et « les hommes politiques » ne recoupe pas une opposition symbolique et politique ; elle représente au contraire l’axe central du parti-pris idéologique de l’UUP qui fait se superposer la catégorie politique à la catégorie non politique dans les rubriques « Young (une partie de la population) Unionists (appartenance politique) » et « Women’s (une autre partie de la population) council (catégorie politique) ».

Cependant, la tendance à inclure des sous-catégories de la population (jeunes et femmes) et à traiter des problèmes récurrents de la société nord-irlandaise dans le discours politique est générale depuis la normalisation de la situation en Ulster (on est dans une situation post-conflictuelle). En effet, la préoccupation de la population est passée de la sphère conflictuelle des luttes communautaires à la question de l’urgence de la situation économique et sociale de toutes les catégories de la population.

L’espace textuel dans la page d’accueil de l’UUP est dominant (partie centrale empiétant sur la clôture de la page d’accueil) et nous retrouvons, en dehors de cette particularité, le même schéma discursif que dans les précédents sites : texte de présentation du parti, discours politiques et parutions dans les médias. Les suffrages conservent néanmoins une place importante comme dans les autres sites ; les élections, voie traditionnelle de la légitimation d’un parti, sont donc bien présentes dans le média électronique. La rubrique « Advice Center » renvoie à une série de liens : soit les sites personnels des représentants de l’UUP, soit des liens vers les gouvernements anglais, irlandais et vers le Commonwealth.

Dans sa version 2002, l’UUP tenait un discours résolument « mercatique » dans le sens où il jouait sur le « plus produit » en se définissant comme le parti le plus important de l’Ulster (cf. schéma) à deux reprises dans la page d’accueil et dans toutes les autres pages qui reprenaient d’ailleurs la même « ossature graphique ». Alors très axé sur l’actualité, l’interactivité et l’engagement - avec les rubriques « Feedback » (« Réactions »), « Get involved » (« Engagez-vous ») et « Contribute » (« Contribution »), il arborait également un lien « Merchandise »(« Marchandises»)dans lequel sont vendus divers objets publicitaires, liens qui ont aujourd’hui disparu.

La place du leader de l’UUP, David Trimble, était centrale en 2002 ; en 2007, elle est plus effacée, figurant au milieu d’autres personnalités. Cette « atténuation » de la figure du leader historique tient au fait que le personnage de D.Trimble est emblématique de la construction du processus de paix en Irlande du Nord 67 . Le personnage politique est donc un gage de crédibilité et de reconnaissance de l’action politique menée. En 2002, l’UUP pouvait en quelque sorte être considéré comme le parti de D. Trimble et la surexposition de celui-ci dans les pages du site était une façon de conférer au parti les qualités de l’homme. Sir Reg Empey n’ayant pas le même « parcours politique » que son prédécesseur, l’ostentation du leader politique devient plurielle. Ce sont les discours (et les photos) des leaders du parti qui sont mises en avant en page d’accueil.

La comparaison de la base line entre les versions de 2002 et 2007 est également révélatrice de l’évolution politique du parti : en 2002, elle mettait en avant deux points, l’un déclinant l’importance politique du parti « Northern Ireland’s largest political party » (« Le plus grand parti de l’Irlande du Nord ») et son désir de tempérance des communautarisme (sous-entendu, ceux relayés par le DUP et le Sinn Féin) et d’union « Building the union together » (« Construire l’union ensemble »). En 2007, battu par le DUP et le Sinn Féin aux élections législatives depuis 2003, l’UUP ne peut plus se targuer d’être le premier parti d’Irlande du Nord ; il conserve cependant la logique de rassemblement qui est la sienne dans le slogan « For all of us » qui ouvre et clôt la page écran.

Comme le site du SDLP, celui de l’UUP joue sur l’harmonie visuelle des couleurs et sur la reproduction en leitmotiv des couleurs du drapeau national (bleu, blanc, rouge), comme signe d’appartenance. Cette chromogénéité par la déclinaison du drapeau britannique vaut signature identitaire et politique ; elle est renforcée par la présence de la carte de l’Ulster aux couleurs du Royaume-Uni. A travers ces redondances chromiques, il y a l’affirmation rhétorique d’une double ré-union (des Unionistes à la Grande-Bretagne, et celle des communautés républicaines-catholiques et unionistes-protestantes). Nous reviendrons sur cet aspect dans la troisième subdivision de ce chapitre.

* le Democratic Unionist Party

En 2002, le site du DUP était le plus élaboré graphiquement et visuellement de tous les sites nord-irlandais ; le discours iconique « ostentatoire 68  » de cette page d’accueil était très présent d’ailleurs dans le reste du site, mêlant rhétorique visuelle et textuelle. La version 2007 du site est plus consensuelle mais trois marqueurs forts  subsistent : en premier lieu, les résultats des élections et le fait que le DUP a réussi à faire plier les Républicains. Ensuite, le menu est là aussi assez visuel dans la même logique que les sites des autres partis avec l’équilibre du texte et de l’image. Enfin, autre signe distinctif et récurrent : le drapeau anglais, marque identitaire et idéologique, et le slogan en haut de page « Northern Ireland Largest Political Party ».

En 2007, le DUP a euphémisé les signes ostentatoires et provocateurs de sa précédente version : le cœur aux couleurs britanniques s’est transformé en un badge, dont la moitié est occupée par le texte « Getting it Right » (« Prendre les bonnes décisions ») ; nous sommes passés d’une ostentation purement visuelle et symbolique à une affirmation très politique de l’efficacité du parti.

Par ailleurs, comme le Sinn Féin, le DUP met son leader historique sur le devant de la scène, et le présente au sein d’un collectif. Il est intéressant de constater l’évolution de cette monstration du chef politique au fil du temps et des suffrages ; la photo du leader de l’UUP a disparu alors que celles de Gerry Adams et de Ian Paisley demeurent ostensiblement sur la page d’accueil du site, comme figures énonciatives des discours du Sinn Féin et du DUP. Ils sont la caution médiatique de la stratégie politique de chacun des deux partis.

Dans la version 2007 du DUP, la rubrique « History » a disparu, laissant la place à des problématiques d’actualité « Water Charges » (« Les taxes sur l’eau ») ou « Tackling the Tax Problem » (« S’attaquer au problème fiscal »).Cependant quatre grands thèmes demeurent entre les deux versions : les nouvelles et leurs archives, les manifestes du parti, la place prépondérante des suffrages et de leurs résultats, et enfin les membres du parti.

En 2007, la page d’accueil du DUP est résolument pragmatique et propose plusieurs raccourcis et encarts flash réservés aux élections ; les chiffres des suffrages (cinq rubriques en page d’accueil) ont une fonction testimoniale forte et visent à crédibiliser l’action du DUP. La première impression laissée par la page écran, introduisant le DUP, est celle d’un parti unioniste extrêmement actif politiquement. En témoignent les rubriques « Manifesto 2007 » (deux fois dans la page d’accueil), « Policy Documents » (« Documents politiques », deux fois dans la page d’accueil) et « Committed to Creating a Competitive Economy » (« Engagé à créer une économie compétitive »).Les nombreuses rubriques consacrées aux documents politiques et la répétition de ces rubriques sur une même page ont une valeur argumentative et testimoniale évidente. Par ailleurs, le DUP propose en page d’accueil un accès à ces archives via les NTIC (« E-mail Updates » - « Mises à jour du courrier électronique », « Text Message Updates » - Mises à jour des messages texte)etle multimédia (« Video and Broadcast », « Vidéo, radio et télévision »). Par les rubriques « Give Us Your Views » (« Donnez-nous vos opinions»), « Contact us » (« Contactez-nous »), « Join the Party » (« Rejoindre le parti »), la page d’accueil accentue la fonction conative et de feed back ; ce dernier aspect va dans le sens de la volonté du DUP de montrer son activisme politique, de valoriser ses actions pour le peuple nord-irlandais et de le faire en concertation avec celui-ci.

Des quatre partis nord-irlandais, le site du DUP est celui qui, dès sa page d’accueil, joue le plus sur les fonctions conative, phatique et émotive (raccourcis qui renvoient à des vidéos et caricatures). La fonction émotive est présente dès la page d’accueil, par les commentaires situés en dessous des titres des rubriques. Ils visent à accentuer l’un des traits politiques du DUP qui est d’être un parti singulier, à l’instar du Sinn Féin. Ainsi, la phrase sous la rubrique « DUP Manifestos », « We keep our promises…. » («  Nous tenons nos promesses ») sous-entend que les autres ne tiennent pas leur promesse. Par ailleurs, le moment historique et consensuel constitué par l’accord du Sinn Féin et du DUP pour conduire un gouvernement d’union nationale, puis sa création en mai 2007, est aussitôt contrebalancé par un commentaire dans la rubrique « Getting it Right » :

« FORCER LES REPUBLICAINS A TENIR PAROLE .

Les toutes dernières années ont vu une transformation dans le processus politique. Qui peut oublier comment étaient les choses seulement quelques années auparavant 69 ».

Deux marqueurs visuels ajoutent à la force symbolique et polémique du texte : la mise en exergue par la couleur et la taille de la phrase d’accroche « Forcing Republicans to deliver », et les trois points de suspension laissant la phrase inachevée et autorisant l’internaute soit à imaginer la suite de la phrase par lui-même, soit à cliquer sur le lien pour en savoir plus. A cela s’ajoute la présence des marqueurs temporels «  the last few years » et « few years ago  » qui opposent deux époques : celles où le DUP est le premier parti d’Irlande du Nord et celle où il ne l’est pas. Ces trois éléments produisent un effet de « teasing 70  » évident. Nous reviendrons ultérieurement sur ces différents points.

Enfin, l’identité visuelle de la page d’accueil même si elle est présente, avec la reproduction des couleurs bleue, rouge et blanche du drapeau anglais ; elle est cependant beaucoup moins patente que dans le site de l’UUP. Peut-être faut-il y voir de la part du DUP le souhait d’une singularisation par rapport à son rival unioniste ?

Voilà donc réalisée une rapide synthèse des principaux éléments visuels des pages d’accueil des sites des partis politiques nord-irlandais. Sont mis en avant les acteurs politiques, l’actualité nord-irlandaise, le manifeste de chaque entité et pour certains l’interactivité mercatique avec l’internaute – avec des boutiques en ligne -, politique – avec des liens invitant à l’engagement idéologique, et financier – avec des appels à contribution. La part réservée aux archives, articles de presse et discours politiques des partis est prégnante, mettant en avant l’importance de la mémoire politique sur internet. Intéressons-nous à présent aux sites israéliens et palestinien.

Notes
58.

« Peace Talks »

59.

La base line est un terme que l’on utilise en publicité ; elle désigne la phrase (le slogan) qui signe l’affiche ou la page publicitaire, ici en l’occurrence elle constitue la signature du site.

60.

Nous désignons par ce terme la formalisation rhétorique.

61.

Nous employons le verbe lire mais l’internaute peut aussi écouter un discours ou regarger une vidéo. Le terme « lire » qualifie ici l’action de consultation d’une page web. Il y a néanmoins beaucoup de texte sur les sites des partis politiques, donc l’acte de lire peut être envisagé comme le mode d’entrée principal dans le discours d’un site.

62.

Par commodité et pour établir un parallèle avec l’Ulster, nous nommerons également la République d’Irlande, l’Eire.

63.

Nous crééons ici volontairement un néologisme qui associe la racine « chromo» au subtantif « homogénéité », afin de mettre en évidence le parti-pris créatif de proposer une homogénéité des couleurs dans les sites. Cette chromogénéité qui, au-delà de l’harmonie de premier plan, doit se comprendre comme un élément sémiotique révélateur de certaines stratégies discursives. Elle est déjà présente notamment dans les campagnes des partis politiques (affiches, tracts, etc.) mais s’avère être un élément incontournable des pages d’accueil des sites internet.

64.

MPs est l’abbrévation pour Members of Parliament (Membres du Parlement), MLAs pour Members of Local Assembly (Membres de l’Assemblée locale), et les Councillors sont les Conseillers (municipaux par exemple).

65.

An Problacht (« La République » en gaélique) est un hebdomadaire politique républicain ayant une édition papier et en ligne.

66.

Ardh Fheis est un terme gaélique que l’on peut approximativement traduire en anglais par « High Festival » et qui est la convention annuelle d’un parti politique.

67.

Il a d’ailleurs reçu le Prix Nobel de la paix au côté de John Hume, alors leader du SDLP.

68.

Nous écrivons discours iconique « ostentatoire » car le DUP proposait en 2002 une rubrique « Cartoons » (« Dessins ») composée de caricatures mettant en scène les leaders du Sinn Féin, du SDLP et de l’UUP. Ces dessins sont ostentatoires car ils manifestent d’une part une forte altérité et qu’ils attirent l’œil de l’internaute d’autre part.

69.

« FORCING REPUBLICANS TO DELIVER. The last few years have seen transformation in the political process. Who can forget what things were like just few years ago ».

70.

Le teasing est un terme anglais utilisé en marketing et désigne une technique publicitaire visant à attirer le lecteur ou le spectateur par un message en plusieurs étapes. Un premier message court l’interpelle et produit un effet d’attente chez le spectateur / lecteur, attente généralement comblée dans un second message plus long.