1–2 Le conflit israélo-palestinien

Pour les raisons évoquées en introduction de ce chapitre, nous étudierons ici les pages d’accueil de trois sites israéliens et celle du site palestinien du Fatah. Nous ne comparerons les versions 2002 et 2007 de ces sites comme nous l’avons fait précédemment pour les sites nord-irlandais. En effet, ceux-ci ont fait l’objet d’une précédente étude en 2002 et nous avons mis à profit ce travail-là.

* Kadima

Le site du parti Kadima, fondé par Ariel Sharon, est accessible en trois langues (hébreu, anglais et russe), mais seul le lien vers la version anglaise apparaît de manière visible en haut à droite de l’écran. Les versions en anglais et en russe n’ont pas la même configuration que celle en hébreu, la mise en page des liens est différente du fait du sens de lecture en hébreu (de droite à gauche) et plusieurs liens ont été enlevés (« Les jeunes », « Les actifs », « Joindre Kadima », « Volontariat »). En fait, dans la version anglaise (et russe, mais dans une moindre mesure), la fonction conative est largement mise de côté, puisque la fiche de renseignements n’est pas accessible en anglais (colonne de gauche dans le site hébreu). Il en va de même pour la fonction émotive dans la mesure où la rubrique vidéo n’est pas accessible dans la version anglaise. Ces différences formelles entre les versions anglaise et russe peuvent être imputables au fait que de nombreux émigrants russes sont venus s’installer en Israël. La version anglaise vise un public plus international, qui ne vit pas nécessairement en Israël.

Nous comparerons ponctuellement les versions en hébreu et en anglais, mais nous nous appuierons largement sur la version anglaise du site. La différence de sens de lecture entre l’anglais et l’hébreu produit une disposition inversée des deux pages d’accueil, c'est-à-dire que la colonne située à gauche dans la version anglaise est positionnée à droite dans la version en hébreu. Prenons en compte les points communs et les différences formelles entre les deux versions : l’incise en anglais en haut de la page du site « Moving forward with Kadima » (« En avant avec Kadima ») traduit avec plus ou moins de fidélité la version originale, dans la mesure où cette expression est inscrite dans le nom même du parti dans la version en hébreu :

Si nous poursuivons l’observation du haut de la page d’accueil dans les deux versions, nous constatons que les deux possèdent l’encart en hébreu qui se situe juste au dessous des photos d’A. Sharon et d’E. Olmert premier ministre et président de Kadima). La partie supérieure de la page d’accueil constituent la signature éditoriale et le repère visuel du site Kadima.

Cette continuité formelle entre les deux versions est intéressante dans la mesure où la permanence de ces deux encarts est un marqueur identitaire et politique fort, avec notamment les photos d’A. Sharon (ancien Premier Ministre et initiateur de Kadima) et E. Olmert (actuel Premier Ministre et Président de Kadima). La partie supérieure de la page d’accueil constitue la signature éditoriale et le repère visuel du site Kadima.

C’est le seul point commun entre les deux versions, en dehors de la similitude des couleurs (dominance de bleu et de vert). La version anglaise reprend cependant certains points du sommaire en hébreu : ceux qui concernent les deux leaders (A. Sharon et E. Olmert), les candidats (« Candidates »), le programme d’action (« Action Plan »), l’espace réservé aux médias et à l’information (« News Room »), et enfin la rubrique « Contact Us ». La version anglaise est donc une synthèse, sorte de condensé politique du site en hébreu. Le multimédia est ici mis de côté puisque dans la version en hébreu apparaît dès l’ouverture de la page d’accueil une vidéo relatant la victoire de Kadima en 2006. L’image est accompagnée de la musique générique du parti « Kadima », ce qui produit un certain effet d’emphase. Elle scénarise et dramatise les témoignages qui suivent dans la vidéo. Ce clip publicitaire renvoie aux archives vidéo et audio du parti.

D’autres rubriques de la page d’accueil en hébreu disparaissent dans la version en anglais : les jeunes et les actifs ne figurent plus au sommaire, ni les rubriques référant à l’engagement pour le parti et à la politique que défend Kadima, ni la catégorie feedback (« Joindre Kadima », « Volontariat », etc.). Cette élision de la partie « engagement » qui lie l’internaute à Kadima est accentuée par l’absence du formulaire qui prend tout le côté gauche de la page d’accueil dans la version en hébreu. Le vide laissé dans la version anglaise par l’absence de formulaire, est comblé par une colonne-raccourci assez étrange tant au niveau de l’énoncé « Meet Ehud Olmert, Kadima’s candidate for Prime Minister of Israel » («  Rencontrer Ehud Olmert, le candidat de Kadima au poste de Premier Ministre ») que l’action effective que le clic de la souris sur le lien produit : ce raccourci renvoie en fait à la page consacrée à la présentation d’E. Olmert. Ceci renforce l’impression que le discours du site en anglais a une fonction beaucoup plus référentielle que conative et émotive.

Une rubrique dont la traduction en français est malaisée, « La loierie », car il s’agit d’un jeu de mot à partir du mot loi (en hébreu), figure en bas à gauche de la version hébraïque. Elle développe un point intéressant au sujet du fonctionnement de la démocratie participative en Israël et plus spécifiquement sur le site Kadima. Cette rubrique fonctionne comme une « fabrique de lois » puisque l’internaute peut déposer sur le site internet de Kadima, des idées de lois nouvelles que le parti relaiera à la Knesset.

La partie téléchargement, présente dans la page d’accueil en hébreu, est consacrée à des éléments publicitaires : les autocollants, des fonds d’écran pour le « bureau » de l’ordinateur, des « screen saver » (écrans de veille), des bannières publicitaires, etc. En résumé, toute la partie multimédia, communication et engagement, donc le versant communicationnel, interactif et militant du site disparaît dans la version anglaise. Ces différences formelles entre les deux versions sont révélatrices de la stratégie politique du parti et de son minimalisme politique en matière d’ouverture sur l’extérieur.

A travers ces différents constats, il est difficile de situer Kadima par rapport aux sites précédemment étudiés dans la mesure où le contexte politique est totalement différent. Néanmoins, il y a un élément de comparaison possible, si nous prenons en compte le fait que Kadima est le parti du chef du gouvernement actuel (E. Olmert), au même titre que les partis du DUP et du Sinn Féin en Ulster. Des trois partis au pouvoir, Kadima est celui qui prédispose le plus le lecteur (dans sa version hébreu) à l’engagement et au militantisme. Il sera intéressant de comparer, dans le chapitre réservé à cet effet, la façon dont la figure du leader politique est mise en scène sur les sites des différents partis.

* Le Likud

Le Likud possède une page d’accueil très sobre avec assez peu de visuels ; contrairement à Kadima, le site est unilingue. Là aussi, la photo du leader est mise en avant et nous retrouvons certaines rubriques déjà présentes dans les sites nord-irlandais, visant un public précis : « Les jeunes », « Les femmes ». Deux nouvelles catégories (par rapport aux précédents sites) viennent s’ajouter : « Les vieux » et « Les immigrants ».

Le haut de la page d’accueil présente un premier sommaire horizontal occupé par des rubriques de type informatif « Sondages » et « Liens », et des rubriques visant d’avantage à provoquer l’action (fonction conative) chez l’internaute, « Dons », « Contact » et « Recherche ».Les rubriques politiques occupent une place très importante avec, comme sur le site de Kadima, une rubrique spécialement consacrée au leader du parti ; toute la partie supérieure de la page d’accueil (second bandeau de raccourcis) est consacrée au mouvement du Likud à travers sa politique et sa composition, à ses leaders passés et présents, et au programme du parti. La partie droite du sommaire de la page d’accueil est réservée aux catégories de la population (toutes les catégories) touchée par le programme du Likud.

En mettant en exergue les femmes, les anciens, les jeunes et les immigrants, le parti de Benjamin Netanyahu cherche à sensibiliser à sa politique la totalité de l’électorat israélien. Depuis le départ d’A. Sharon et la perte des dernières législatives, le Likud a besoin d’élargir son public et met donc en avant une politique volontariste, « Les activités sur le terrain » ; cette politique veut répondre aux préoccupations de l’ensemble de la population israélienne, résumées dans le texte du Président du Likud, adressé aux internautes : « […] ainsi qu’aux informations de fond sur les positions du Likoud au sujet de l’agenda national : étatique, sécuritaire, économique et social  ». Ce texte est situé au centre de la page écran et accompagné de sa photo et d’un lien hypertextuel vers le site personnel de B. Netanyahu qui vaut signature (http://www. netanyahu.org.il).

Ce point est renforcé un peu plus bas au centre de la page d’accueil, par la présence de différents éléments discursifs, évoquantsur les questions de sécurité sur le territoire israélien et de retraits éventuels de certaines parties du territoire. C’est là un point important de la stratégie différentielle du Likud par rapport à Kadima ; dès la page d’accueil, la question de la sécurité et des territoires est mise en avant, comme l’un des points centraux des préoccupations du parti (répétition deux fois dans la page d’accueil de la rubrique « Agenda »).

Le sommaire à droite, situé dans la seconde moitié de la page, reprend les éléments importants figurant déjà dans d’autres rubriques. Cette redondance formelle a une double fonction : utilitaire, elle permet à l’internaute une lecture fléchée du discours du Likud, et rhétorique avec la volonté évidente d’une emphase thématique sur des questions politiques de premier plan. Ce sommaire s’adresse à différents niveaux de la stratégie politique : le(s) publics sensibles (« Les femmes » et « La jeune génération »), les actions et les suffrages sur le terrain (« Les activités sur le terrain », et « Municipales »),  la théorisation politique (« La constitution du Likoud »), la médiatisation (« Les communiqués de presse ») et enfin l’incitation au contact et à l’engagement (« Joindre le Likud » en ligne).

La colonne de gauche de la page d’accueil est réservée à la partie multimédia du site, multimédia à la fois dans sa forme (nous avons affaire à des programmes flash, bande déroulante ou diaporama) que dans son contenu (des photos sur un diaporama). Les dernières nouvelles du parti sont figées sur un bandeau déroulant avec des liens hypertextuels. Un calendrier permet de signaler les moments à venir importants pour le Likud.

Les fonctions conatives et expressives sont moins développées que sur Kadima, même s’il est possible de contacter le leader du Likud ou le parti lui-même, et que B. Netanyahu accueille en personne l’internaute par la mention « Je suis ravi de vous accueillir… ». Le seul élément multimédia réellement accessible en page d’accueil est une galerie de photos. La mise en page est très sobre ; le bleu domine comme sur le site de Kadima. Dans les deux cas, ce choix chromique relève de la métonymie et réfère au drapeau israélien bleu ciel et blanc.

* Aavoda (parti travailliste)

La page d’accueil du parti Aavoda est sans aucun doute la plus inaboutie et la plus basique. Elle ne comporte aucun point visuel saillant, en dehors du logo du parti, et affiche seulement deux liens vers des documents au format Word. Pas de documents multimédia, pas de présentation du leader politique ni des actions menées sur le terrain. Ce site est comparable, dans son inexistence réticulaire, à un simple tract électronique ou plutôt un bulletin de vote électronique, puisque la page d’accueil du site d’Aavoda est une « feuille écran », sans profondeur 71 . Par ailleurs, le site n’est pas régulièrement mis à jour puisque nous l’avons consulté pour la dernière fois le 11 juillet 2007 et qu’il n’est fait ostensiblement état du résultat des élections pour la présidence du parti qu’au travers d’un raccourci, renvoyant à une page impossible à afficher. Ehud Barak a été élu à cette fonction le 12 juin 2007.

Il y a donc peu de choses à dire de la page d’accueil et du site du parti travailliste, mais ces absences sont révélatrices de la difficile position dans lequel se trouve actuellement le parti travailliste, en perte de vitesse dans les suffrages, sans continuité dans sa direction politique puisque depuis 2000 le leader du parti a régulièrement changé, et surtout sans réelle indépendance à la Knesset.

La particularité visuelle du site du parti travailliste est d’arborer un logo tricolore, dont la partie figurative ressemble à un épi de blé, bleu, rouge sur fond blanc. Ces couleurs sont également déclinées dans le sigle de Kadima et du parti Shinoui (laïc gauche) ce qui laisse à penser que cette composition de couleurs véhicule des valeurs fortes auprès des instances politiques et de l’opinion publique israélienne. Par ailleurs, la couleur bleue est omniprésente dans les logos de la majorité des partis israéliens : Shass, Israel Beteinou, Shinoui, Meretz, Kadima, Aavoda et Likud. Cette constante visuelle s’explique aisément par le fait que le drapeau israélien se compose de bleu et de blanc, et que, du coup, la déclinaison du bleu national au sein des logos et sites internet des différents partis israéliens permet de signer le rattachement idéologique et identitaire à la nation israélienne.

*un parti palestinien : le Fatah

Le Fatah est le parti du Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. En ce sens, le site du Fatah pourrait se situer dans la logique éditoriale du DUP, du Sinn Féin ou de Kadima ;c'est-à-dire un parti qui met en avant son action sur le terrain en termes de politique sociale, économique et éducative à l’égard de toute la population palestinienne. Or, la page d’accueil du Fatah est sans aucun doute la plus engagée, idéologiquement et sur le plan de l’énonciation de tous les partis étudiés. Idéologiquement, elle l’est avec des rubriques consacrées aux personnalités emblématiques, à l’organisation active du Fatah, à l’Intifada, avec une large place réservée aux discours des médias (TV et presse). Sur le plan énonciatif, elle marque son engagement avec des termes forts symboliquement comme « martyrs » dans la rubrique « Dossier des martyrs » et « Intifada » qui reviennent de manière récurrente sur la page d’accueil, et enfin les termes « liberté », « paix » et « révolution ».

Le seul point de référence à la présidence palestinienne est un lien qui renvoie vers le site de Mahmoud Abbas, également président du Fatah. Il est certes question dans cette page d’accueil des différentes actions conduites par le Fatah, mais la page écran se fait d’avantage l’écho de la politique d’opposition du Fatah à l’égard d’Israël que des actions menées par M. Abbas à la tête de la Palestine. La place des médias y est prépondérante puisque plus de cinq rubriques sont consacrées à la médiatisation du Fatah et surtout de l’Intifada. C’est un point important de la stratégie discursive du parti palestinien : l’association entre le Fatah et l’Intifada montre que, loin de le condamner, le parti relaie largement l’événement dans ses colonnes électroniques.

Cette propension à publiciser l’Intifada et l’attitude modérée de M. Abbas sur la scène internationale à ce sujet montrent le décalage sémantique et politique qu’il peut y avoir entre l’image que donne de lui un parti au niveau international et sa visibilité sur la scène nationale. Ce positionnement idéologique fort et ce militantisme ostentatoire en page d’accueil peuvent en partie s’expliquer par le fait que le principal danger pour le Fatah n’est pas l’Etat d’Israël mais son éternel rival, le Hamas. Ce dernier a depuis longtemps adopté une politique de résistance active contre Israël, alors que la ligne politique du Fatah a été beaucoup plus floue et changeante. Les atermoiements du Fatah face au gouvernement israélien ont été perçus par une population palestinienne exsangue comme une preuve de faiblesse. La victoire du Hamas aux dernières élections législatives a obligé le Fatah à adopter une ligne politique beaucoup plus radicale.

L’emblème du Fatah au centre de la page d’accueil du site, représentant des armes croisées et arborant des termes forts symboliquement comme « la tempête » et « la révolution jusqu’à la victoire », signe ce parti-pris politique. Le logo d’Al Assifa, l’ancienne branche armée du Fatah, est un marqueur idéologique qui radicalise le discours du parti mettant sur un même plan le règlement politique et le règlement armé du conflit israélo-palestinien.

Le visuel qui prend une partie du centre de la page écran n’est pas sans rappeler celui du site du Hezbollah. Cet emblème, deux fusils croisés renvoie donc à l’ancien groupe armé d’Arafat et fait référence à la résistance et à la lutte physique pour un idéal politique. Cette signature visuelle est un pallier supplémentaire dans l’engagement et dans l’activisme.

Enfin, la page d’accueil est divisée en deux parties distinctes mais non égales, puisque le bas de la page écran est réservé à des liens en anglais qui renvoient partiellement aux liens en arabe : « Editorial », « Org message », « Publications », « Related sites », « Feed back ». Cette caractéristique linguistique traduit le souhait que le message véhiculé par le Fatah soit compréhensible par une majorité d’internautes, ce qui est une manière d’internationaliser une problématique. En ce sens, la logique d’un site bilingue afin de mieux exporter ses idées n’a rien de très original ; en revanche, le fait que seules les rubriques les plus « neutres » soient accessibles en anglais est extrêmement révélateur du positionnement du Fatah sur la scène internationale. En effet, les rubriques touchant aux biographies des personnalités politiques du Fatah ou aux « martyrs », ou celles relayant la question de l’Intifada dans la presse arabe ou lors de conférences, sont écartées.

La page d’accueil du site palestinien est à dominante bleue, seules les trois couleurs du drapeau palestinien (rouge, noir et vert), également présentes dans l’écusson du Fatah viennent briser cette harmonie. L’agencement des colonnes en haut, en bas, et à droite avec une ouverture sur le côté gauche de la page s’explique par le sens de lecture en arabe, de droite à gauche. Le fond de la page d’accueil représente un grillage, et forme une clôture visuelle se faisant le relais de l’enfermement physique et moral dans lequel se considère le Fatah, et la populationpalestinienne à travers lui. Cet artifice virtuel participe, aux côtés d’autres indices formels, à produire une rhétorique de la dénonciation d’une situation politique imputée à l’Etat d’Israël.

Les pages d’accueil constituent donc un matériau signifiant à ne pas négliger puisqu’elles sont la première image que nous avons d’un site et, dans le cas présent, d’un parti politique. Observer leur agencement nous aura permis de tracer les grandes lignes éditoriales de chacun des huit partis ; attachons-nous à présent à en étudier certains traits particuliers.

Notes
71.

Nous reviendrons sur la notion de profondeur ou d’épaisseur d’un site dans la troisitème partie de ce chapitre.