1–La construction rhétorique d’un mythe politique: au moment de sa mort, Y. Arafat est-il représenté comme un chef d’Etat ou comme un terroriste ?

Avant d’analyser le parcours rhétorique dans cet épisode, nous souhaitons donner quelques statistiques qui nous semblent significatives des stratégies discursives des quatre quotidiens 123 . Nous avons débuté la période d’analyse le 25 octobre 2004 et l’avons achevé pour la plupart des journaux le 31 décembre 2004. Dans ce laps de temps, les journaux ont consacré à la maladie puis à la mort de Y. Arafat un grand nombre d’articles, rubriqués selon certaines logiques éditoriales. Nous avons synthétisé ces relevés dans un tableau comparatif général 124  : Le Monde publie quatre-vingt dix-huit articles durant cette période, Libération soixante-quinze articles, L’Orient le Jour quatre-vingt un articles et The Jerusalem Post trente-huit articles. .

La disparition de Y. Arafat est un moment important dans l’histoire du conflit israélo-palestinien ; d’une part, il s’agit de la disparition du leader historique du Fatah et du premier dirigeant de la Palestine. D’autre part, sa fin oblige les acteurs politiques et les médias à repenser leurs discours, dans la mesure où, avec Y. Arafat, disparaît « un ennemi bien commode » comme l’affirme L’Orient le jour, (« Israël va perdre un ennemi bien commode », 06/11/2004). Au-delà de la tournure polémique de l’expression, le journal libanais pointe un aspect important des stratégies discursives dans les conflits armés, fondées sur l’oppositionentre un héros et un antihéros. Sans entrer dans la logique des schémas discursifs, il nous semble important de souligner qu’avec Y. Arafat disparaît politiquement et médiatiquement un des deux acteurs principaux du conflit. Face à cette disparition (physique et symbolique), les médias peinent, dans les trois premiers mois de sa disparition, à ne plus évoquer la figure du Raïs. Ils trouvent momentanément une alternative à cette impasse discursive en retraçant l’histoire de sa vie ou en mettant au centre de la scène la question de sa succession. Seule l’élection de M. Abbas en janvier 2005 semble mettre un point final à cette alternative.

Nous avons choisi de penser l’épisode de la mort du leader palestinien comme l’ultime phase de la construction rhétorique d’un personnage politique confinant à sa mythification ou à sa démythification, selon l’alternative suivante : « Dans le regard israélien, le terroriste » ou « Le résistant 125  ». Comme nous l’avons mentionné au chapitre 7, l’adresse rhétorique se décompose en quatre phases successives : l’exorde, la narration, l’argumentation (confirmation ou réfutation) et l’épilogue. Nous avons divisé l’épisode de sa mort en quatre temps médiatiques, correspondant chacun à un moment de l’adresse rhétorique : la déclaration de sa maladie (l’exorde), son agonie et les incertitudes autour de sa maladie (la narration), la figure du leader défunt et la question du lieu de son inhumation (l’argumentation), et enfin sa succession (l’épilogue). Ces moments sont représentés différemment selon les médias et peuvent se chevaucher dans le temps.

Le temps le plus significatif des différents discours médiatiques est celui de l’argumentation, sur lequel nous centrons notre analyse 126 . En effet, c’est la mort d’Arafat et les conditions de « célébration » de sa disparition qui cristallisent les oppositions. Nous aborderons ce moment de l’adresse rhétorique à partir des trois orientations constitutives de l’argumentation : convaincre le lectorat de la dangerosité politique de Y. Arafat, le persuader au contraire du symbole « universel »qu’il représente, ou délibérer sur son statut.

Nous observerons les stratégies discursives des quatre quotidiens à travers plusieurs éléments : la figure énonciative du leader palestinien, les dossiers du Monde et de Libération constitués pour l’occasion, et les funérailles. Nous baserons notre analyse sur des points discursifs précis : la terminologie qualifiant Yasser Arafat, la dénomination de l’événement dans les articles, la titraille. Nous nous attacherons également, lorsqu’elles apportent des éléments pertinents, à analyser la mise en page des Unes et le rubriquage de certains numéros. Nous ne souhaitons pas proposer ici une analyse exhaustive de l’événement, mais observer des points de convergences discursifs argumentant pour ou contre le leader palestinien. Cette partie de l’adresse rhétorique privilégie le pathos et l’ethos, à des degrés divers selon les quotidiens.

Notes
123.

Nous reprécisons ici que The Jerusalem Post ayant été consulté sur cédérom, nous ne disposons pas des photographies illustrant les articles, ni de la mise en page des éditions du journal. Nous ne pourrons donc établir les mêmes comparaisons que pour les trois autres quotidiens.

124.

Un tableau rescensant le nombre d’articles par quotidien et leur répartition par rubrique est disponible à l’annexe 8-1, p. 511.

125.

Ces deux titres d’articles sont tirés d’un dossier (06/11/2004) qu’a consacré Le Monde à Yasser Arafat.

126.

Nous avons analysé les périodes de l’événement correspondant à l’exorde, la narration et l’épilogue, mais nous ne les avons pas incluses ici. En effet, elles nous semblaient moins efficaces par rapport à la démonstration que nous souhaitions mener.