1-2 L’incarnation du rêve palestinien : (L’Orient le Jour)

Durant deux mois, L’Orient le Jour adopte une position discursive double au sujet de la disparition de Y. Arafat, basée sur la maladie et la mort du leader palestinien, et sur la question de sa succession.

1-2-1 La figure énonciative d’un mythe populaire

Dans le quotidien libanais, Y. Arafat, reçoit trois types de nomination : la terminologie décrit la fonction, « le Président Arafat, « le leader ou le président palestinien ». Amendé d’un qualificatif, ce terme peut prendre une tournure plus affectueuse , « le vieux », respectueuse, « le général Arafat », « un dirigeant charismatique », voire déférente, « l’éternel leader de la Palestine », « un héros de la liberté »; elle dépeint aussi le symbole par des métaphores, « le ciment de la Palestine », « le phénix, symbole de la lutte palestinienne », par des expressions qualifiant son état de faiblesse « le coureur épuisé », « un guerrier fatigué ».

Dans L’Orient le jour, la disqualification d’Arafat n’est jamais le fait direct du journaliste mais s’effectue toujours par le biais du discours citant. Ce procédé énonciatif pourrait être une façon pour le journal de tenir un discours critique vis-à-vis de Y. Arafat, en se retranchant derrière des propos qui ne sont pas les siens. Mais après l’étude attentive de ces articles, il apparaît que le discours cité qualifiant négativement la figure d’Arafat est employé pour dénoncer la fronde menée contre lui : « George W Bush s’est aligné sur cette attitude (celle des israéliens) estimant que Arafat est “ non crédible ” et “ un obstacle au processus de paix ”. » L’article « Israël va perdre un ennemi bien commode » résume la position argumentative du quotidien, rapportant ici les propos du journal israélien Yediot Aaronot : « Que ferons-nous quand nous nous rendrons compte qu’Arafat ce vilain de service n’est plus, qu’il n’y a plus personne pour jouer si admirablement ce rôle ? »

Les qualificatifs cités par le quotidien sont majoritairement issus de propos d’officiels israéliens qui considèrent Y. Arafat comme «  un assassin et un obstacle à la paix  », «  un tueur de juifs  », ou d’un représentant égyptiens des Frères musulmans 140 , «  Arafat est devenu un chef d’Etat arabe, un dictateur comme les autres  ».

Néanmoins, la proportion des termes dépréciateurs à l’encontre de Y. Arafat est largement inférieure à celle des termes saluant l’homme politique. Par ailleurs, de nombreux articles dépeignent une figure positive du leader palestinien ; nous avons relevé les plus significatifs.

titre : « L’homme qui a su incarner la Palestine. »

Le titre anaphorique annonce le contenu de l’article, qui est un récit biographique. C’est le second que le journal libanais réalise en l’espace d’une semaine, « Un phénix, symbole de la lutte palestinienne », (29/10/04). La titraille des deux textes est assez similaire dans la mesure où elle met l’accent sur le rapport presque métonymique entre Y. Arafat et la Palestine. Le premier paragraphe de l’article publié le 5 novembre 2004 est un bon exemple d’un discours presque hagiographique par l’énonciation des qualités de Y. Arafat, « cette personnalité hors du commun, combattante opiniâtre (souligné par nous) », «  sa ténacité légendaire  », ou par la mise en accusation explicite d’Israël, «  Les Israéliens auront beau essayer de le liquider à plusieurs reprises, de l’écarter en l’enfermant pendant ces trois dernières années dans son quartier général de la Mouquata’a […], Yasser Arafat a su montrer qu’il reste incontournable  ». Notons par ailleurs que le journal mentionne le terme de « lutte armée » lorsqu’elle concerne directement les pratiques de Y. Arafat et parle de « terrorisme » quand le leader palestinien prend ses distances avec les groupes paramilitaires pour le dénoncer. La déconnection opérée là par L’Orient le Jour entre Y. Arafat et le terrorisme est un indice de la position discursive du journal. Le leader palestinien est envisagé comme un résistant qui lutte par les armes et non comme un terroriste.

Deux autres articles, publiés le même jour, mais traitant des relations diplomatiques qu’entretenaient Arafat avec les Etats-Unis et la France, argumentent en faveur du leader palestinien.

titre : « Entre Arafat et Washington, des relations dégradées jusqu’à l’ostracisme. »

Le titre nominal informationnel fait état de la difficile entente entre les deux nations. Par le biais du discours rapporté et donc du discours citant, l’article dénonce franchement l’attitude des Etats-Unis à l’égard du leader palestinien : « G. Bush a simplement réagi d’un sobre “ que Dieu ait son âme ” à l’annonce de la mort du leader palestinien ». Le marqueur adverbial « simplement » note que l’énonciateur attendait autre chose ; cette impression est confirmée par l’emploi du qualificatif « sobre ». Par l’intermédiaire des propos du Président américain, le journaliste met en avant l’ostracisme dont aurait été victime le leader palestinien ; par le discours indirect, le journal prend ses distances avec l’assertion et la dénonce par les termes « aucunement » et « ostracisme » : « M. Bush avait souligné le mois dernier qu’il n’entendait aucunement revenir sur l’ostracisme dont faisait l’objet Arafat » et par le discours direct comme preuve du dire précédent : «  Je ne traite pas avec Arafat car […] je ne pense pas que c’est le genre de personne qui peut amener un Etat palestinien à devenir indépendant  ».

titre : « Pour la France, le Raïs est le représentant des Palestiniens depuis l’origine. »

Le titre informationnel est une réponse à l’article précédent, opposant les positions de la France et des Etats-Unis. Le groupe nominal « pour la France » placé en tête de phrase marque l’opposition entre les deux points de vue. Cet antagonisme est relayé dans le lead qui précise que « Le président palestinien a été considéré depuis plus de trente ans (souligné par nous) par tous les gouvernements français, de droite comme de gauche , comme le représentant légitime du peuple palestinien ».

Les termes du lead sont à l’exacte symétrie sur le plan sémantique, par rapport à ceux de l’article précédent, ainsi si nous opposons les occurrences deux à deux : « depuis plus de trente ans » / « le mois dernier », « tous les gouvernements français, de droite comme de gauche » / « Bush - Clinton », « le représentant légitime » / « pas le genre de personne…».

titre : « Trois années enfermé à la Mouqata’a. » (08/11/04)

Le titre anaphorique, le lead « Yasser Arafat a passé ses trois dernières années confiné à la Mouqata’a », les têtes de paragraphe « A trois reprises en 2002 », « En mai 2002 », « Le 11 septembre 2003 » marquent temporellement la narration, et mettent au centre du récit la temporalité de l’événement. Elle se divise en deux temps : un temps long qui est celui de l’enfermement à Ramallah, et des temps courts correspondant à des incises narratives. Le journaliste mène l’accusation en trois moments : « Son ennemi de toujours (A. Sharon) a décidé de le marginaliser (souligné par nous) le 3 décembre 2001 », « Le 11 septembre 2003 […] le cabinet Sharon prend la décision de principe de “ se débarrasser ” de lui (Arafat) », « Finalement, le cabinet Sharon préfère boycotter Arafat ». Cet article dénonce ostensiblement, par l’exemple, les actions menées par Israël à l’encontre du leader palestinien.

A travers les différents articles qu’ils consacrent au leader palestinien, L’Orient le Jour dresse un portrait de Y. Arafat proche de l’hagiographie. Le procédé argumentatif met en avant ce que Chaïm Perelman nomme les liaisons de succession, c'est-à-dire la personne et ses actes, et choisit des données factuelles ou discursives pour asseoir une argumentation ad hominem à l’encontre d’Israël et de son gouvernement.

Notes
140.

Y. Arafat, qui a appartenu au mouvement des Frères musulmans, s’est opposé à eux par la suite. Les Frères musulmans combattirent l’OLP dans les années 80.