1-3-1 La figure énonciative du terroriste opportuniste

Le journal israélien adopte deux positions par rapport à la qualification du leader palestinien : d’une part, un ensemble de termes descriptifs précise son statut politique « Arafat l’homme d’Etat », « le Président de l’OLP », « le leader palestinien Yasser Arafat 141  », son statut symbolique « le père des Palestiniens », « un leader charismatique », « son leader historique », « Arafat, le symbole des Palestiniens  », « Arafat l’icône militante 142  », son statut de guerrier-milicien « Abu Amar » « le shebab ».Le leader palestinien est le plus couramment nommé par son patronyme - Arafat, parfois complété de son prénom ; la neutralité de cette dénomination est souvent contrebalancée dans l’article par une terminologie beaucoup plus subjective et dépréciatrice, soit directement sous la plume du journaliste qui parle de « dictature  » au sujet du régime palestinien, de « personne à deux visages », ou sous le ton de l’ironie, marquée par le guillemetage, de « Président martyr 143  ». Arafat est associé également à des figures historiques au passé violent et sombre, « Arafat, le disciple noir de Husseini 144  ».

Mais, régulièrement, le quotidien use des citations qualifiantes comme d’un discours de preuves alléguant le statut de Y. Arafat ; des officiers basés à Jérusalem parlent de «  sa participation à la terreur », «  le père du terrorisme moderne 145 ». Ce sont aussi des accusations explicites «  Arafat est absolument responsable des meurtres et du deuil de milliers d’Israéliens  », mettant en avant son implication dans les violences terroristes. Y. Arafat est dépeint comme un leader «  dont le sang a teint ses mains de façon indélébile 146   ». Le discours à charge est axé sur l’accusation de terrorisme et sur son incapacité politique : «  Il nous avait promis la paix des braves, il nous a donné la pierre tombale 147   ». Cette phrase, soulignée par un jeu de mots en anglais sur les termes « brave » and « grave », reprend les propos que Y. Arafat avait tenus quelques années auparavant.

Nous avons relevé plusieurs articles caractéristiques de la représentation de Y. Arafat dans le quotidien israélien.

titre : « Natorei Karta joins hospital vigil 148 . » (« Natorei Karta rejoint la veille (d’Arafat) devant l’hôpital. », 07/11/2004)

Cet article est intéressant par le procédé discursif, qui se base sur une argumentation par analogie. Natorei Karta est un mouvement orthodoxe juif antisioniste, il est connu pour ses positions extrémistes à l’égard d’Israël. Le journal le décrit comme fermement opposé au droit d’Israël à exister et cite les différentes actions de l’association, comme preuve de son illégitimité : drapeaux israéliens brûlés, collaboration avec des organisations anti-israéliennes, et un représentant au sein de l’Autorité palestinienne. Des membres de Natorei Karta sont venus soutenir Y. Arafat à Paris. L’analogie entre ce mouvement, considéré comme dangereux par l’Etat d’Israël, qui soutient Arafat est faite par un glissement sémantique et symbolique entre Arafat et Natorei Karta, du type « les amis de mes ennemis sont mes ennemis ». Ce premier stade de la dépréciation est complété par le contenu de l’article et la description qu’il fait d’une manifestation se tenant devant l’hôpital Percy : « Une banderole indiquait, “ La Palestine a vaincu Rome, elle vaincra Washington. Arafat = Jésus, Sharon=Barrabas, voleur et criminel, Bush= Pilate, lâche, assassin et idiot” 149  ». Le procédé argumentatif est ici particulièrement intéressant car le contenu de la banderole, qui contient un argument ad personam, sert à créer une contre-argumentation ad personam. La référence à l’histoire et aux écrits bibliques ancre plus fortement encore le discours dans la réfutation du mouvement antisioniste et par ricochet de Y. Arafat.

Deux autres articles, parus le 12 novembre 2004, sont également remarquables par la stratégie argumentative qu’ils mettent en place.

titre : « Remember the man, not the legend» («Rapppelez-vous l’homme pas la légende »)

Sous-titre : « Any respect given to the dying or dead Arafat offends not only the memory of his Israeli victims but the Palestinian people themselves. » («  Toute forme de respect pour Arafat mourant ou mort offense non seulement la mémoire de ses victimes israéliennes mais aussi celle du peuple palestinien lui-même  »).

Cet article propose un discours dénonçant à la fois Arafat et les médias qui le célèbrent sur son lit de mort. La technique argumentative est intéressante car elle se base sur l’exemple. Le journaliste s’appuie sur une série d’anecdotes pour établir la règle « Remember the man not the legend ». L’article oppose les termes médiatiques qui saluent le leader palestinien « Arafat est un leader du niveau de Ben Gourion et George Washington – un bâtisseur de nation 150 », à la réalité quotidienne rapportée par le journaliste sous le terme « la dépravation de l’homme ». Il accuse explicitement Y. Arafat, craignant pour sa sécurité, d’avoir demandé à des femmes et des enfants de venir vivre à la Mouquata’a afin de dissuader l’armée israélienne de bombarder le bâtiment.

titre : « An olive branch and a gun » (« Une branche d’olivier et un pistolet »)

Le titre de référence renvoie à la fois aux symboles de« la branche d’olivier comme symbole de la paix » et du « pistolet comme symbole de la violence » et au discours prononcé par Arafat à l’ONU en 1974. Le texte retrace l’existence de Y. Arafat ; son intérêt réside dans la structure de la biographie : un récit factuel émaillé de constats et de jugements, dont voici les principaux items (les flèches figure la progression dans l’article) : « Il a gagné le respect du monde entier quand il a accepté un accord de paix avec Israël. […] Sa mission de pacificateur tourna court. »  «  avant de se tourner vers terrorisme et vers la politique dans l’espoir de briser Israël »  « le Président de l’OLP […] (qui) est devenu synonyme de terrorisme»  « Il fut responsable de la mort de plus de 650 israéliens »  « Arafat jurait toujours qu'il avait du nez pour flairer le danger  »« Il a renoncé au terrorisme et a accepté le droit d'exister d'Israël »« il avait deux visages »  « Sa nouvelle gouvernance… a été tourmentée avec les allégations de corruption »  « Israël a trouvé des documents liant Arafat aux attaques terroristes et il a été largement tenu responsable de la seconde Intafada 151 ».

Cette énumération de faits accusateurs peut ici rappeler l’énoncé des charges contre un prévenu lors d’un procès. Le discours du Jerusalem Post représente Y. Arafat comme un personnage ambigu, à mi-chemin entre un terroriste et un homme politique peu scrupuleux.

Notes
141.

L’appel de note est inséré dans le dernier mot du groupe citationnel et renvoie donc à la traduction de l’ensemble : « Arafat the statesman », « PLO chairman », « Palestinian leader Yasser Arafat ».

142.

« Palestinian’s father », « a charismatic leader », « his historic leader », « Arafat, symbol of Palestinians », « Arafat the militant icon».

143.

« diktatorship », « double-faced person », « martyred president ».

144.

« Arafat, Husseini’s dark disciple », Husseini est un nationaliste palestinien quisoutint la grande insurrection arabe de 1936-1939 en Palestine opposée à l'immigration juive en Palestine. Opposé à l’installation des juifs en Palestine, il se rangea aux côtés des Allemands contre les Anglais, et durant la seconde guerre mondiale s’allia avec les nazis et assura leur propagande dans le monde arabe.

145.

« his involvement in terror », « the father of modern day terrorism.

146.

« Arafat is positively responsible for the murder and mourning of thousands of Israeli », « whose blood has indelibly tained his hands ».

147.

« He promised us the peace of the brave and he gave us the piece of the grave ».

148.

Par souci de clarté, nous traduisons directement dans le texte les titres des articles, à la différence des citations qui sont traduites en note de bas de page.

149.

« A banner read, “ Palestine defeated Rome, i twill defeat Washington. Arafat = Jesus, Sharon=Barrabas, thief and criminal, Bush= Pilate, coward, assassin and idiot”. »

150.

« Arafat is a leader on a par with Ben Gourion and George Washington – a nation builder ».

151.

« He captured world respect when he agreed to a peace deal with Israël. […] His stint as peacemaker turn short »  « before turning to terrorism and politics in hope »  « the chairman of the Palestinian Liberation Organization […] (which) became synonymous with terrorism »  « It was responsible for the deaths of more 650 israelis »  « Arafat always swore he had a nose for danger »« He renounced terrorism and accepted Israel’s right to exis t»  « he was doubled-faced »  «His new governance… was plagued with allegations of corruption »  « Israel found documents linking Arafat to terror attacks and he was widely held responsible for the second Intafada ».