3-1 Ehud Olmert / Benjamin Netanyahu, Ian Paisley / David Trimble 

Les stratégies dépréciatives à l’œuvre dans chaque « camp » sont à sens unique. Sur les sites des quatre partis politiques concernés, seuls le DUP et le Likud s’opposent respectivement à l’UUP et à Kadima. Nous n’avons pas constaté de réciprocité dépréciative de la part de l’UUP et de Kadima.

Kadima et le Likud sont respectivement des partis du centre et de la droite israélienne. Dans la logique d’un échiquier politique, les discours d’opposition sont le cœur des stratégies électorales.L’opposition entre E. Olmert et B. Netanyahu, dans la page d’accueil du site du Likud, n’a donc rien de très exceptionnel. En revanche, placer ces déclarations en page d’accueil est un trait remarquable de la stratégie discursive du site, et à travers elle de son leader.Dès le niveau 0 de la page-écran, le leader politique expose l’un des points forts de l’idéologie du parti : l’opposition à Kadima, et plus particulièrement au Premier Ministre israélien E. Olmert, sur le thème sécuritaire. Nous avons déjà analysé les propos de B. Nentanyahu, mais nous souhaitions souligner à nouveau la disqualification de l’Autre (endogène) à travers ceux-ci : « Le remplacement du gouvernement d’.Olmert est une nécessité stratégique pour l’obtention de la sécurité et de l’admonestation (palestinienne) » ou encore « Le likud s’oppose à toute discussion sur le fait qu’un retrait (israélien) du Golan préviendra une guerre. Au contraire, cette position nous renseigne sur la faiblesse du gouvernement d’Olmert ». Ce premier niveau de disqualification, explicite dans le texte, ensous-entend un second, transparaissant àtravers la question du territoire et des frontières avec la Syrie et la Palestine. Les propos de B. Netanyahu renvoient donc aussi à un second niveau de disqualification (exogène) qui, en abordant la question de la sécurité des territoires et de l’admonition, réfère au conflit israélo-palestinien. Le fait qu’il refuse toute concession au gouvernement palestinien, montre d’une part qu’il se différencie de la politique d’E. Olmert et, d’autre part, que ses rapports à l’extériorité (syrienne ou palestinienne) sont fondés sur le refus de la concession territoriale et sur une altérité jugée dangereuse.

Les discours qui opposent I. Paisley à D. Trimble reposent sur les mêmes procédés disqualifiants et exhibent la faiblesse de l’adversaire face au conflit ou à la menace extérieure - ici les Républicains.La  rubrique « Cartoons » (valide jusqu’en 2006) et certains documents disponibles sur le site (« DUP manifesto », « Policy papers ») sont révélateurs de la stratégie discursive du DUP. Celle-ci repose sur une argumentation ad hominem, et parfois ad personam, en cascade ; le discours incrimine l’UUP sur différents points et met en exergue son incapacité politique, c’est le premier niveau de disqualification. Mais les reproches du DUP à l’UUP portent essentiellement sur son inaptitude à faire plier les Républicains, nommés régulièrement d’ailleurs sous le terme « Sinn Féin / IRA » ; c’est le deuxième niveau de disqualification. Nous reviendrons dans la subdivision suivante sur cette dénomination, manifestant une association disqualifiante.

Le discours du DUP fonctionne donc sur le mode de l’opposition et de l’argumentation ad hominem et ad personam. La disqualification de type endogène touche l’UUP et provoque un schisme politique entre les deux partis unionistes. La technique argumentative du DUP repose largement sur la déqualification, dans le sens où elle rétrograde la qualité politique de l’UUP à un niveau proche de celui des partis Républicains, dans le discours du DUP. Elle scinde le Nous  unionistes en un Eux, divisible en deux sous-catégories : le Eux - Nous » (l’UUP) et le Eux - Eux (le SDLP et le Sinn Féin).

L’argumentation contre l’UUP se conjugue sur le mode de l’incompétence politique ; le DUP se développe sur un ethos fondé sur la contre-compétence, qui devient de fait un contre-ethos politique. Ce contre-ethos constitue la base discursive du DUP, à partir de laquelle il développe son argumentaire politique. Le procédé est sous-jacent dans tout le site mais sa force illocutoire devient patente et ostentatoire dans les écrits politiques. Nous avons relevé un certain nombre d’occurrences de ce type dans deux documents politiques intitulés « Keeping our promises » (« Tenir nos promesses ») et « Safe from crime » (« A l’abri du crime »), dans le manifeste 2007 du parti et dans les caricatures évoquées au chapitre précédent. 

titre : « Keeping our promises 172  »

Ce document est divisé en quatre moments discursifs matérialisés par quatre pages avec un sous-titre : les deux premières pages sont centrées sur la valorisation des actions menées par le DUP ; les deux suivantes développent une argumentation fondée sur la comparaison entre les actions menées par l’UUP (sous la direction de D. Trimble) et par le DUP.

Le côté gauche de la double-page, intitulée « Our achievements » (« Nos réalisations »), est divisé verticalement en deux cadres, avec dans la partie supérieure différentes réalisations du DUP déclinées en cinq points : « 1- Sur un gouvernement du Sinn Féin », « 2- Sur les problèmes Nord-Sud », « 3- Sur la dévolution du maintien de l’ordre et de la Justice », « 4-Sur les problèmes du Sinn Féin en matière de maintien de l’ordre et de la Justice », « 5 -Sur la responsabilité ministérielle 173  », et dans la partie inférieure, les réalisations de l’UUP. L’intérêt de cette page réside davantage dans sa disposition formelle que dans le discours proposé ; il faut là être visible avant d’être lisible. L’agencement spatial de la page fonctionne donc sur le mode binaire, matérialisé par le partage vertical de la page. Deux couleurs la divisent : le rouge vif occupant les deux tiers de l’espace pour le DUP, et le bleu pâle pour l’UUP. Il y donc une première opposition formelle entre les deux partis. Celle-ci est renforcée par un second indice visuel, la présence des pictogrammes et, placés respectivement au dessous des actions menées par le DUP et celles conduites par l’UUP. Les croix matérialisent l’échec de l’UUP ; la page fonctionne comme un formulaire validant par ou invalidant parles politiques menées par les deux partis. Le signe iconique devient ici un discours dans le discours, s’autonomisant sous le regard de l’internaute. La page est compréhensible sans le détail des textes, mais les pictogrammes s’incluent néanmoins totalement dans le texte comme hyperboles du message linguistique. La répétition des sigles associée à celle du nom des partis DUP et UUP sous chacune des cinq thématiques renforcent la visée illocutoire de la disqualification.

Si elle est absente du sous-titre « Our achievement », l’argumentation ad hominem est explicite dans le sous-titre de la page suivante : « Never forget what the UUP negociated » (« N’oubliez jamais ce que l’UUP a négocié »). L’adversaire politique est désigné dès le titre ; cela concentre la focale argumentative sur l’UUP et donne d’emblée le bon niveau de lecture de la page ; l’adverbe « never » renforce le caractère intemporel de l’injonction faite à l’internaute. Celle-ci est développée par quatre sous-rubriques, « In the Belfast agreement » (« Dans l’accord de Belfast »), « In the joint declaration » (« Dans la déclaration jointe »), « In the secret October 2003 deal » (« Dans l’accord secret d’Octobre 2003 »), « A party who promised » (« Un parti qui promettait »), et quatre croix, sous chacun des paragraphes, renvoient au procédé discursif de la page précédente. Le fait de reproduire le même type de signes visuels(la croix) est un ancrage discursif fort, dans la mesure où la répétition d’un signe, identifié dans une page précédente comme négatif et dépréciant l’adversaire, permet de pré-orienter le niveau de lecture de l’internaute dans les autres pages. Le DUP instaure donc des codes de lecture spécifiques, fondés sur la récurrence des procédés visuels (signe, forme, couleur).

Cette page est composée d’autres signes iconiques qui ferment un peu plus encore le niveau de lecture : une photo de D. Trimble souriant renforce le contraste que veut mettre en évidence le DUP : un homme souriant est un homme accommodant et faible, et un homme faible ne peut négocier fermement avec les Républicains. La page se clôt sur l’expression « How could anyone trust the UUP again ? » (« Comment quelqu’un pourrait à nouveau avoir confiance dans l’UUP ? »). La démonstration argumentative se compose donc d’une phrase assertive (le titre de la page), de l’illustration (les exemples) et de l’énoncé de la règle en bas de page.

Ce document est révélateur du type de stratégies discursives formelles développées par le DUP sur son site. La contiguïté formelle et textuelle est visible dans plusieurs autres documents, dont « Safe from Crime 174  », texte dans lequel la bichromie (rouge-bleu pâle) scinde, en la matérialisant, l’action politique du DUP et celle de l’UUP.

« DUP Manifesto 2007 »

Le manifeste du DUP développe un large argumentaire fondé sur la publicité de ces actions, la dévolution du gouvernement au DUP et au Sinn Féin, le Good Friday Agreement, la politique économique, éducative et sociale. Ce document se divise en deux parties principales, la première est très largement axée sur une argumentation ad hominem centrée sur l’UUP et le Sinn Féin, alors que la seconde est orientée sur le programme politique. Nous retrouvons d’ailleurs dans la première partie du manifeste, les argumentaires développés dans les documents « Keeping our promises » et « Safe from Crime ». Dans le cadre de l’opposition binaire avec l’UUP, nous avons relevé un certain nombre d’occurrences et de constructions syntaxiques exemplaires.

Les Unionistes modérés (UUP) sont d’abord décrédibilisés à partir d’arguments quantitatifs, utilisés comme la preuve du déclin politique de l’UUP : « Aux élections de l’Assemblée en 2003, le DUP a été élu comme le plus grand parti politique en Irlande du Nord. […] En 2002, avec l’UUP dans une position de leader, 34,5% des Unionistes croyaient qu’il y aurait vers 2020 une Irlande unie, maintenant avec le DUP en première place, plus de 82% n’y croient plus 175  ». Ensuite, la disqualification s’appuie systématiquement sur une modalisation dialectique de la temporalité : l’UUP est caractérisé par une rupture temporelle entre un avant et un après. Ce schisme politique est introduit par une série de marqueurs temporels, systématiquement accolés au sigle UUP : «  Alors que (souligné par nous) l’UUP se préparait… », «  Quand l’UUP était à la tête des Unionistes », «  Pendant que les Républicains poursuivaient avec bonheur leurs activités criminelles et paramilitaires, David Trimble et Reg Empey… », «  Pendant que l’UUP ne soulevait même pas la question en 1998… », «  Alors que pendant des années , l’UUP… » 176 .

Ces marqueurs temporels ne fonctionnent pleinement que mis en symétrie avec une autre temporalité politique, celle du DUP. Pour plus de lisibilité, nous avons choisi de les comparer dans un tableau.

Ce tableau montre que l’opposition binaire avec l’UUP fonctionne également sur une symétrie syntaxique et lexicale. Le champ lexical principal est celui de l’échec et de la faiblesse : « faille, faiblesse, ont raté ». Signalons cependant que le vocabulaire employé par le DUP pour disqualifier l’UUP ne constitue pas le trait le plus saillant de la stratégie argumentative du parti de I. Paisley.

En revanche, le processus de disqualification mis en place par le DUP à l’encontre du Sinn Féin fonctionne essentiellement sur la production d’un lexique sémantiquement et symboliquement fort. Nous évoquions en introduction de cette analyse que le DUP développe une argumentation ad hominem et ad personam (à l’encontre de G. Adams et de D. Trimble) à deux niveaux. Cette courte étude nous a permis de préciser le premier niveau de disqualification : axé sur l’action politique de l’UUP, il s’inscrit dans un discours d’opposition classique, selon une diachronie binaire, avant/ après. Le second degré de disqualification est dépendant du premier, puisque c’est à partir de lui que le DUP amorce sa forte opposition discursive au Sinn Féin.

Notes
172.

Voir annexe 11-1, p. 563.

173.

« 1- On Sinn Féin government », « 2- On North-South matters », « 3-On devolution of policing and Justice », « 4-On Sinn Féin policing and Justice Matters », « 5-On ministerial accountability »

174.

Voir annexe 11-2, p. 565.

175.

« In 2003, Assembly elections, the DUP was elected as the largest political party in Northern Ireland. […] In 2002, with the UUP as the largest party 34,5% of unionists believed there would be a united Ireland by 2020, now with the DUP in the lead position, over 82% believe there will not ».

176.

«  Whereas the UUP was prepared … », «  When the UUP led unionism », «  While Republicans happily continued their paramilitary and criminal activity, David Trimble and Reg Empey… », «  While the UUP did not even… », «  Whereas for years the UUP… ».