Les deux quotidiens français adoptent une posture discursive très différente par le nombre d’articles publiés, un seul pour Le Monde et sept pour Libération, et donc aussi par le choix éditorial de couvrir ou pas les différents incidents.
Le Monde consacre un article aux événements : « La rentrée scolaire relance les tensions intercommunautaires en Irlande du Nord. » (07/09/2001) ; il décrit les Catholiques comme « victimes […] d’insultes et de jets de projectiles de la part de manifestants protestants ». L’opposition entre Catholiques et Protestants apparaît donc être le centre de l’événement violent ; mais l’argument religieux - comme explication des violences - n’est avancé à aucun moment dans l’article. Le journal évoque « des luttes sectaires » et relie les affrontements à la question du territoire, divisé « en une succession d’enclaves catholiques et protestantes ». Laqualification de « Catholiques » et de « Protestants » appartient à un répertoire lexical antérieur à l’événement, répondant à la grille interprétative du conflit nord-irlandais. Le quotidien qualifie cependant différemment les groupes paramilitaires mentionnés dans l’article, par les termes « loyalistes » et « nationalistes ». Mais cette terminologie n’appartient pas à une taxinomie usuelle pour le lecteur, le quotidien en indique le bon niveau de lecture par une définition qu’il inclut dans l’article : « loyalistes (littéralement, ‘loyales » à la Couronne britannique’) ». Il procède de la même façon pour le terme « unionistes ». Il distingue néanmoins les deux utilisations, puisqu’il associe le qualificatif « loyalistes » au Rad Hand Defenders, « groupe terroriste loyaliste », alors que le terme « unionistes » est employé pour qualifier l’idéologie politique (protestante, « fidèle à l’union de l’Irlande du Nord et du royaume »).
Libération dédie sept articles à l’affaire Holy Cross School ; quatre d’entre eux sont des brèves. Trois sont des articles de fond ; un seul revient sur cet épisode. Les deux autres font état de la situation politique en Irlande du Nord. Les violences survenues à Holy Cross School semblent embarrasser les quotidiens français puisque, à partir du 20/09/2001, Libération consacre ses papiers non plus à l’événement mais à la question plus générale de la situation politique nord-irlandaise. Ce décentrage discursif, sur la question des violences intercommunautaires et du terrorisme, permet au quotidien de faire le lien avec les événements du 11 septembre 2001. Dans un élargissement du plan discursif, puisque le journal passe d’un gros plan à un plan d’ensemble : « L’Irlande du Nord s’enlise dans la crise. » (20/09/2001) et « Le camp du refus protestant à Belfast ».
Libération qualifie différemment du Monde les auteurs et les victimes des violences, puisque dès le premier article, « Violente rentrée scolaire en Irlande du Nord. » (04/09/2001), il oppose « des écoliers catholiques » aux « loyalistes protestants ». Alors que Le Monde différencie les termes de « loyaliste » et de « protestant », Libération les associe en surdéterminant lexicalement la communauté protestante nord-irlandaise. Il établit une symétrie lexicale entre les deux groupes nominaux, « écoliers catholiques » et « loyalistes protestants », les qualificatifs religieux déterminant le « camp » des acteurs, pendant que les substantifs « écoliers » et « loyalistes » désignent leur fonction actancielle.
Libération poursuit la symétrie lexicale dans le second article, « L’Irlande du Nord à l’école de la haine. » (05/09/2001) mais, à travers les propos du journaliste, elle devient rapidement une dissymétrie symbolique forte entre « des petites filles (souligné par nous) catholiques » et « des militants protestants ». Par cette juxtaposition terminologique, il insiste sur l’incongruité de la scène, opposant des enfants à des adultes armés de bouteilles.
Dans les autres articles, l’événement est construit selon l’opposition binaire Catholiques / Protestants ; le journal semble trouver une justification à l’utilisation de ces termes, dans la déclaration d’une mère protestante : « Nos enfants sont trop différents. […] C’est la religion ». Par ailleurs, Libération emploie la formule « conflit confessionnel » dans l’article « Affrontements à Belfast. », paru le 10/01/2002.
Seules deux occurrences ne comportent pas de stigmates religieux « deux militants loyalistes » et « ce ne sont pas des pères de familles mais des poseurs de bombes de l’IRA 203 » ; il est intéressant de noter que celles-ci ne concernent pas non plus de simples citoyens mais font référence au militantisme, voire au terrorisme.
Enfin, le quotidien stigmatise l’opposition entre les deux communautés par l’emploi de marqueurs énonciatifs soulignant la passivité et l’émotion des victimes catholiques : « terrifiés », « en sanglot », « attaques perpétrés contre des fillettes », « une enfant silencieuse tassée sur elle-même », « la tête penchée » ; au contraire, l’énonciation entourant les acteurs protestants est celle de la violence « hurlaient des insultes», « insultaient », « jetaient des pierres », « les attaques ». En confrontant les champs lexicaux de l’émotion et de la violence, Libération disqualifie l’action protestante même si, comme Le Monde, il équilibre la proportion de discours (rapporté ou non) entre Protestants et Catholiques dans ces différents articles. Cependant, le journal par l’intermédiaire de Christophe Boltanski, envoyé spécial à Belfast, met très explicitement en cause les Loyalistes dans l’article, « L’Irlande du Nord s’enlise dans la crise. » (20/09/2001) : « Pourtant, sur le terrain, ce sont les militants loyalistes et non les Républicains qui font le coup de feu ».
D’une façon générale, les deux quotidiens français consacrent assez peu d’articles à l’affaire Holy Cross School et qualifient les acteurs de l’événement selon une taxinomie généralisante, reprenant des schèmes interprétatifs déjà connus des lecteurs.
Les termes en gras signalent que ce sont des propos issus du discours rapporté.