Le territoire et son caractère sacré sont avancés par les quotidiens français comme l’épicentre des violences sectaires d’Holy Cross School ; la question de la violation du territoire est présentée par Libération comme la raison principale des hostilités : « Les élèves catholiques […] doivent, pour se rendre à leur établissement, emprunter une rue protestante ». (« Violente rentrée scolaire en Irlande du Nord. », 04/09/2001). Le quotidien parle également de « marquage de territoire ». L’argument de la possession de la terre (du territoire urbain) est donc premier. Le Monde, dans l’article « La rentrée scolaire relance les tensions intercommunautaires en Irlande du Nord. » (07/09/2001), évoque un territoire divisé « en une succession d’enclaves catholiques et protestantes ».
Le territoire, dans la presse britannique, n’est pas présenté comme le seul déclencheur des violences nord-irlandaises survenues à Holy Cross School ; le traitement journalistique qui lui est réservé est à la fois intradiégétique et extradiégétique. Il est inclus dans le discours et l’action des personnages, acteurs de l’événement (les Protestants et les Catholiques), et il est présent dans le discours du journaliste-narrateur. En d’autres termes, il appartient à l’argumentaire et à l’identité des deux communautés, et il est tellement ancré dans le quotidien de la société nord-irlandaise qu’il devient élément naturel du discours dans la narration du journaliste.
The Times inscrit dans son discours des éléments qui révèlent le caractère essentiel du territoire dans la qualification de l’événement et des acteurs. Les personnes, catholiques et protestantes, sont fréquemment désignées par le lieu où elles vivent : « les résidents de Glenbryn », les parents d’Ardoyne », le territoire leur donne une consistance dans le discours journalistique. Réciproquement, le territoire appartient à une communauté : « le quartier loyaliste de Glenbryn », « le quartier catholique d’Ardoyne 228 ». The Times décrit le lien entre la terre (urbaine) et les hommes qui y vivent comme l’union sociale et politique d’une géographie et d’une identité. Une partie du caractère « sacré » du territoire nord-irlandais 229 réside dans le rapport des deux communautés à une terre sociale et politique. Les Catholiques républicains sont d’Ardoyne ou de Shankills, les Protestants loyalistes sont de Glenbryn. Il est question de « rues catholiques » et d’« avenue protestante 230 », et non d’une avenue de Belfast Nord. La notion de propriété privée est une notion presque obsolète, tant les communautés se construisent par et pour le territoire ; la propriété est collective et communautaire. Et chacun défend son bien : « il faisait ce que beaucoup de jeunes loyalistes font, défendre son quartier 231 », (« Ardoyne : the bitter heart of a divided province. », «Ardoyne : le coeur endurci d'une province divisée. », 09/09/2001).
Le territoire est présenté par The Times à la fois comme un élément fédérateur et perturbateur. Par souci de clarté, nous avons dressé un tableau recensant les diverses occurrences référant à la question du territoire comme facteur de désordre et de lutte.
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« School of tears and terror » (« L’école des pleurs et de la terreur », 09/09/2001) | * Il y avait des barricades séparant les secteurs catholiques et protestants | *There were barricades segregating the Protestant and Catholic area | ||
« Ardoyne : the bitter heart of a divided province » (« Ardoyne : le coeur endurci d'une province divisée », 09/09/2001) |
* la guerre pour le territoire
* un mur au milieu pour garder Catholiques et Protestants à part. * les « peace lines » dans ce secteur * il faisait ce que beaucoup de jeunes loyalistes faisaient, en défendant son territoire |
*the war for territory
* a wall down the middle to keep Catholics and Protestants apart. * the peace lines 232 in this area * he was doing what many young loyalists do, defending this area |
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« Lessons in hate» (« Leçons de haine », 09/09/2001) |
* les secteurs les plus divisés d’Irlande du Nord
* Belfast Nord est une mosaïque d’interfaces sectaires * Un secteur public, Alexandra Park, a un mur en son centre pour garder Catholiques et Protestants à part |
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Northern Ireland’s most divided areas
* North Belfast is a mosaic of sectarian interfaces * One public area, Alexandra Park, has a wall down the middle to keep Catholics and Protestants apart |
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« Loyalists keep up school protest » (« Les loyalistes entretiennent la protestation scolaire », 09/09/2001) | * Glenbryn est une enclave protestante dans le secteur en grande partie catholique | *Glenbryn is a protestant enclave in the largely catholic area | ||
« New riots grip Holy Cross » (« De nouvelles émeutes saisissent Holy Cross »10/10/2002) | * La cité protestante de Glenbryn au sommet de la route d’Ardoyne | *the Protestant Glenbryn estate at the top of Ardoyne Road |
L’épisode Holy Cross School est la résultante de l’exacerbation des tensions intercommunautaires et l’hypertrophie de la symbolique du territoire urbain est la conséquence et non la cause de ces violences. The Times le résume ainsi dans l’article, « Crying shame of bomb on the school run of terror. », 06/09/2001) : « L’étendue de 300 yards de la route de Holy Cross en est venue à symboliser tout ce qui est fondamental pour leur communauté et leur identité 233 ».
L’article « Peace lines that have never seen ceasefire. » (« Des “Peaces lines” qui n’ont jamais vu de cessez-le-feu. », 06/09/2001) met en scène les divisions territoriales et communautaires, et présente le territoire urbain de Belfast Nord comme le lien symbolique entre les deux communautés :
« Un patchwork complexe, fait d'enclaves ouvrières vertes et oranges, […] où les rues sont coupées dans leur moitié par pas moins de 14 des 17 "peace lines" de Belfast, forgés dans le meilleur acier. Comme des chiens levant leurs pattes contre des réverbères, Républicains et Loyalistes jalonnent leur territoire de drapeaux, de graffitis et de peintures murales géantes sur des pignons - et ils ne livreront pas un pouce 234 ».
C’est un des rares cas où la question territoriale est ainsi mise en avant ; The Times adopte une position méta par rapport à cette question, contrairement au Belfast Telegraph qui est inclus - géographiquement, socialement et économiquement - dans le territoire nord-irlandais. L’extrait ci-dessus montre que le journal affiche une certaine distance énonciative avec le cas nord-irlandais ; la présence dans l’article d’une carte des quartiers nord de Belfast renforce cette impression d’étrangeté du quotidien (et de ces lecteurs) vis-à-vis des événements. La carte devient ici un relais visuel et discursif qui permet aux lecteurs d’accéder à l’événement dans sa complexité et sa complétude.
The Belfast Telegraph partage avec The Times la qualification du territoire ; ce dernier est défini par la communauté qui y vit, « le quartier catholique d’Ardoyne » ou « les résidents de Glenbryn 235 ». Cependant, le quotidien nord-irlandais thématise différemment le territoire ; il l’envisage davantage comme un lieu de souffrance, de problèmes et de discordes. Nous avons relevé un certain nombre d’occurrences, illustrant cette tendance.
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« Pupils’right must come first. » (« Le droit des élèves doit passer en premier. », 03/09/2001 | * des pions dans un conflit territorial âpre | *pawns in an ugly territorial dispute |
« School terror – Time for responsible people to get a grip on an appaling situation. » (« La terreur à l’école – Il est temps pour les gens responsables d’avoir prise sur une situation épouvantable. », 04/09/2001) |
*un symptôme des problèmes territoriaux dans beaucoup de parties de Belfast
* où deux communautés rivales vivent tout près l’une de l’autre |
*a symptom of territorial problems in many parts of Belfast
* where two rival communities live in close proximity |
« Loyalist protest turns up the volume . »(« La protestation loyalist monte le son. », 06/09/2001) | * entre l'Armée de Saracens qui a marqué la 'frontière ' avec la nationaliste Ardoyne | *between the Army Saracens wich marked the’border’ with nationalist Ardoyne |
« What an own goal ? » (« Quel est le but ? »08/09/2001) |
* la communauté protestante assiégée de Glenbryn a dit 'assez', ayant combattu pour une bataille perdue d’avance contre le voisin, le géant d'Ardoyne.
* Leur erreur était de camper sur leurs positions au sujet de l'itinéraire des enfants, endroit qui n'avait jamais posé de problème auparavant. |
*the beleaguered Protestant community of Glenbryn said ‘enough’, having fought a losing battle against neighbouring giant of Ardoyne.
* their mistake was to take their stand on the children’s route, which had never been challenged before. |
« New homes for troubled area. »(« De nouvelles maisons pour un secteur à problèmes. »19/09/2001) | * les résidents protestants ont protesté contre des enfants catholiques traversant de leur quartier. | *protestant residents have been protesting against catholic children going trough their area. |
« Peaceline is a ‘necessary evil’, says Adoyne priest . »(« Le Peaceline est “un mal nécessaire” .», 11/10/2001) | * le Peaceline existant sera prolongé pour séparer le parc protestant de Glenbryn et l'Avenue catholique de l’Alliance. | *the existing peaceline wall will be extended to separate Protestant Glenbryn Park and Catholic Alliance Avenue. |
« Priest at centre of school row tells of fears for pupils . » (« 12/10/2001) | * Toute la violence et le harcèlement qui sont décrits comme caractéristiques des quartiers de Belfast | *all violence and harassment which it describes as a feature areas of Belfast |
Alors que The Times aborde la question du territoire de façon beaucoup plus distancié, The Belfast Telegraph en fait le facteur principal, non seulement des violences d’Holy Cross School mais d’une réalité quotidienne sombre et violente. Sous les mots du journal nord-irlandais, le territoire est presque exclusivement celui de la division.
Les violences survenues près de l’école catholique en font un peu plus le symbole de la ségrégation, de la partition. La terre n’est plus perçue dans son entier, mais comme une succession d’enclaves séparées par des murs. Plus encore que le territoire (urbain), c’est la matérialisation de sa division qui devient un symbole. Les propos du Père Aidan Troy 236 , rapportés par le quotidien, en sont la preuve : « Je pense que la construction d’un mur entre les gens est triste, et je la comparerais avec la joie et le plaisir du monde quand le mur de Berlin est tombé 237 », (« Peaceline is a ‘necessary evil’»).
Le territoire enfin est le lieu de l’affirmation et de l’exacerbation identitaire comme l’explique l’article « Sectarian divisions : learning the lesson of mutual trust is the only way forward » (« Divisions sectaires : apprendre la leçon de la confiance mutuelle est la seule voie pour avancer », publié le 05/01/2002 : « Le territoire loyaliste et républicain est jalonné, de façon provocante, de drapeaux, de peintures murales et des bordures de trottoir peintes. Une carte de nord et ouest Belfast, avec toutes ses séparations (peacelines), ressemble à un patchwork vert et orange ». Le territoire possédé est la première manifestation identitaire de chaque communauté qui se l’approprie en produisant chacune ses propres emblèmes, symboles dans le symbole.
Identité et territoire sont donc étroitement liés dans le conflit nord-irlandais ; les représentations médiatiques relatant l’affaire Holy Cross School le montrent. La relation de contiguité entre le lexique qualifiant les communautés (Catholiques / Protestants) et celui désignant le territoire est prégnante dans le discours des journaux britanniques alors qu’elle est effacée voire absente des quotidiens français. Cette particularité discursive peut se comprendre comme marquant l’impasse narrative du Monde et de Libération ; les deux journaux ne constituent pas le territoire comme l’élément explicatif central dans l’affaire Holy Cross School.
« Glenbryn residents », « Ardoyne parents » « the loyalist Glenbryn area », « Catholic Ardoyne area ».
Nous avons développé cet aspect dans le chapitre 2 (4-2) de la thèse.
« Catholic streets », « Protestant avenue ».
« he was doing what many young loyalists do, defending this area ».
Les «Peace lines » sont des barrières de séparation disposées dans la longueur, allant de quelques centaines de yars à trois miles, séparant le voisinage Protestant et Catholique. On les trouve à Belfast, Derry et ailleurs en Irlande du Nord. Le but de ces séparations est de réduire au minimum la violence sectaire intercommunautaire entre Protestants et Catholiques (sourceWikipédia, consulté le 15/09/2007 :http://en.wikipedia.org/wiki/Belfast_Peace_Lines).
« the 300 yards stretch of Road to Holly Cross has come to symbolize everything that is fundamental to their community and their identity ».
« an intricate patchwork quilt of green and orange working-class enclaves […] where streets are sliced in half by no fewer than 14 of Belfast’s 17 great steel “peace walls”. Like dogs cocking their legs against lampposts, republicans and loyalists stake out their territory with flags, graffiti and giant murals on gable ends – and they will surrender not an inch ».
« Catholic Ardoyne area », « Glenbryn Residents ».
Le Père Aidan Troy est le responsable de la paroisse catholique du quartier d’Ardoyne.
« I think that putting up a wall between people is sad and I would compare this with the joy and delight of the world when the Berlin wall came down ».