1-2-3 Palestiniens versus Israéliens, les vingt-et-une implantations israéliennes et la bande de Gaza : identités et territoires

Représenter médiatiquement le démantèlement des implantations israéliennes de Gaza, c’est aussi prendre en compte la dualité de la terre dans la région. Le territoire y apparaît comme indivisible et il est pourtant le fruit des divisions entre Palestiniens et Israéliens. Même si l’épicentre médiatique au moment de la décolonisation de Gaza est construit sur la base de la bipolarisation de la société civile israélienne, le point de vue palestinien est envisagé, avec une intensité discursive variable selon les journaux.

Libération axe largement son discours sur la représentation des colons israéliens et de leur désarroi face à l’évacuation des colonies, mais il réserve néanmoins un certain nombre d’articles à l’après-Gaza vu du côté palestinien. Nous distinguons trois types de traitement discursif : la parole de l’expert sur la situation économique, politique et démographique palestinienne, le récit de l’envoyé spécial qui rend compte de la situation à Gaza après l’évacuation des colons et, enfin, la parole dialoguée, sous la forme des interviews de Sami Abou Zohri - porte parole du Hamas - et de Mahmoud Abbas - chef de l’Autorité palestinienne.

A plusieurs reprises, Libération s’intéresse à l’aspect politique et économique de l’après-Gaza ; quatre articles traitent de cela : « Désengagement israélien, un test pour les Palestiniens. » (13/08/2005), « L’Autorité palestinienne ne parvient plus à faire autorité » (18/08/2005), « Tsahal s’en va et les problèmes demeurent. » (12/09/2005), et « Des groupes armés incontrôlables » (24/08/2005). Vu du côté palestinien, l’évacuation des colonies de Gaza est donc envisagée presque exclusivement par Libération sous l’angle politique et sécuritaire : « une situation sécuritaire profondément dégradée » (« L’Autorité palestinienne ne parvient plus à faire autorité. »), « Désormais seule en charge du maintien de l’ordre dans l’ensemble de la bande de Gaza, l’Autorité palestinienne se trouve confrontée à un immense défi » («Tsahal s’en va et les problèmes demeurent »).  Le territoire de Gaza est alors perçu par le quotidien comme un moyen de pression politique entre factions palestiniennes. L’Autorité palestinienne doit aussi régler le problème de la démographie galopante de la bande de Gaza : « Gaza le défi démographique » (18/08/2005). La terre et le sacré sont donc totalement absents de l’analyse de Libération ; laseule vision qu’offre le quotidien est celle d’un « territoire surpeuplé au taux de chômage record »(« Décolonisée, Gaza reste entravée », 24/08/2005).

L’évacuation des colonies juives de Gaza est aussi envisagée par le biais du récit qui expose alors la vision de la situation par deux Palestiniens, un vieux bédouin sans nom et Abdallah Abou Darrouj - voisin de la colonie de Netzarim. Par ces deux témoignages, Libération souligne surtout le fait que rien ne changera vraiment avec le départ des colons et de l’armée israélienne : « Le vieil homme n’envisage, au mieux, l’évacuation des colonies que comme un répit dans un trop long conflit » (« Les Palestiniens “d’en face ”, sans illusions. », 19/08/2005). Pour le vieux berger, « Gaza restera toujours une prison » (« Décolonisée, Gaza reste entravée. »). La terre n’est mentionnée qu’à une seule reprise, « Mais notre terre ne sera jamais libérée » ; dans les propos de ces Palestiniens, elle n’est envisagée que comme un lieu de cultures agricoles et de commerce avec les Israéliens. Le territoire est donc représenté ici comme un argument économique pour la nation palestinienne.

Enfin, la terre de Gaza devient l’emblème idéologique d’un combat politique contre celui que le porte-parole du Hamas nomme « l’occupant ». Le territoire devient alors le terrain de guerre des factions armées palestiniennes contre l’Etat d’Israël : « Nous n’avons pas participé à la résistance pour une parcelle à bâtir mais pour chasser l’occupant, pour faire avancer les intérêts palestiniens », (« Le retrait de Gaza est une victoire de la résistance. », 13/08/2005). Il s’agit là non plus de luttes intestines pour le pouvoir entre partis palestiniens, mais d’un combat réel et symbolique à gagner contre Israël. La terre devient alors un enjeu politique entre deux nations désireuses de conclure une paix durable, comme le laisse entendre l’interview de M. Abbas, « Les Israéliens doivent retirer leurs colonies de Cisjordanie » (26/08/2005) : « Le retrait n’est ni une victoire palestinienne ni israélienne. C’est une victoire de la paix, pour tous ».

Libération dépeint donc le démantèlement des colonies de Gaza comme un enjeu politique et économique important pour les Palestiniens. L’identité palestinienne est effacée derrière la question politique, soulignant les divisions internes, et opposant finalement assez peu la terre palestinienne à la terre israélienne. Le territoire est vu comme une entité essentiellement politique et non comme la matérialisation de deux volontés divines qui s’affrontent. L’identité palestinienne est assez peu représentée et développée dans les articles de Libération, au profit de l’hypertrophie d’une identité israélienne disloquée.

Le discours du Monde envisage dès le début le retrait de Gaza du point de vue palestinien et israélien ; il peut être divisé en deux moments narratifs principaux : avant et pendant le retrait de Gaza, le quotidien relaie la parole palestinienne et, après le départ des troupes israéliennes, Le Monde propose une analyse sociale et économique de la situation. La première partie est donc largement réservée au discours rapporté, le journal se situe dans le traitement de l’actualité à chaud, alors que la seconde consacre le commentaire distancié.

Ainsi, à partir du mois de juin 2005 et jusqu’au départ des soldats israéliens des implantations de Gaza, Le Monde consacre huit articles à des témoignages d’habitants de Gaza ou à des analyses de la situation politique interne en Palestine. Le quotidien se démarque donc de Libération, puisque ses choix éditoriaux montrent qu’il ne fait pas du retrait de Gaza un événement essentiellement israélien.

Notre corpus débute au mois de mai et s’achève en octobre 2005 ; Le Monde commence à produire un discours suggérant la dualité de la terre dans un article intitulé, « A quelques mois de son évacuation annoncée, la colonie de Sa-Nur vit une seconde jeunesse », (20/05/2005). Le texte oppose très symboliquement l’indice d’une ancienne vie palestinienne à l’omniprésence israélienne sur une terre qui sera bientôt évacuée : «Le drapeau israélien accroché à la coupole ne pourra rien y faire : cette tour est bien un minaret. […] Une ruse de l’histoire a voulu que la colonie la plus ‘idéologique’ […] soit la seule à compter une ancienne mosquée dans ses murs ». L’article revient ensuite sur l’histoire de Sa-Nur et met clairement en évidence la concurrence entre Palestiniens et Israéliens pour la possession de la terre.

Le quotidien français adopte deux postures énonciatives pour évoquer la question d’une terre duelle, objet de discordes : soit il produit, comme nous l’avons indiqué précédemment, des articles entièrement consacrés au point de vue palestinien, soit il rapporte les propos de colons israéliens, mentionnant la centralité du territoire. Nous avons relevé plusieurs occurrences illustrant cette tension entre les deux nations pour la possession de la terre :

Titre /date  
« Le réquisitoire de Haïm Yavin contre l’occupation israélienne. » (03/06/2005) Les Palestiniens sont un peuple et nous devons partager cette terre avec eux.
« Israël lance l’opération d’évacuation des colons de Gaza. » (16/08/2005) * La veille les colons n’avaient pu lire, comme c’est la coutume, les Lamentations de Jérémie – où il est dit :“ Nos maisons été livrées à des étrangers et notre héritage est maintenant une terre étrangère” – sans penser à leur propre sort .
« Dans un village bâti à la hâte pour les accueillir, les colons expulsés commencent leur nouvelle vie. » (18/08/2005) * Mais quoiqu’il arrive nous y reviendrons, car Gaza est notre terre ; les Arabes nous l’ont volée.

Les trois cas montrent que la terre ne peut être envisagée que comme une propriété singulière et que sa réalité « politique et symbolique » est conditionnée au refus d’une terre partagée. Elle se construit donc autant sur l’appartenance d’une identité collective que sur la figure de l’altérité.

Le Monde représente la terre palestinienne comme un territoire astreint par les logiques sécuritaires et militaires israéliennes. Dans deux articles, « Isolée dans le Goush Katif, Maouasso attend le départ des colons. » (09/06/2005) et « A Gaza, Khalil Al-Bachir attend, stoïque, le départ des soldats israéliens qui occupent sa maison. » (06/08/2005), les Palestiniens sont des personnages agis, contraints dans leurs déplacements et leurs actions par l’armée israélienne : « les Palestiniens sont généralement confinés derrière des murs de béton ou des barbelés », « mais il arrive que les soldats ne laissent passer personne », « son emploi dépend du bon vouloir des soldats » ou encore « Ce jour là, Khalil Al-Bachir n’a pu nous recevoir chez lui. L’armée israélienne en avait décidé ainsi ». Les titres des deux articles sont eux aussi révélateurs du positionnement discursif du journal, qui envisage la population palestinienne et la terre de la bande de Gaza, comme une « grande prison » : Massaoui est « isolée dans le Goush Katif », K. Al-Bachir est « stoïque », et tous les deux attendent le « départ des colons » et « des soldats israéliens ». Le Monde représente l’absence d’agir des Palestiniens et figure leur territoire comme l’objet d’une quête symbolique et politique

La terre semble tirer sa valeur sacrée non pas d’une origine religieuse, mais de son caractère agraire. Dans les propos relayés par le journal, la terre est sacrée parce qu’elle fournit un moyen de subsistance et procure une liberté d’agir et d’être : « Après le départ des Israéliens, “ la source de ma vie va pouvoir couler à nouveau ”, assure Khalil Al-Bachir. Il retrouvera ses terres, replantera des arbres et remontera des serres comme avant », (« A Gaza, Khalil Al-Bachir attend, stoïque, le départ des soldats israéliens qui occupent sa maison »). Elle devient profondément symbolique et politique à partir du moment où l’Etat d’Israël autorise l’implantation de colonies dans la bande de Gaza. Le Monde souligne d’ailleurs cet aspect-là dans un article : « Les Palestiniens de Gaza saluent une victoire de la résistance » (19/08/2005).

La terre palestinienne, et ses habitants avec elle, changent de statut dans le discours du Monde à partir du 24 août 2005, au moment où s’achèvent le retrait de Gaza. La terre n’est plus représentée comme une fatalité mais comme un « espoir » : Côté palestinien, l’espoir d’une “tranquillité” retrouvée. » (24/08/2005). Après cela, les articles du Monde s’intéressent essentiellement à l’avenir économique, social et politique des Palestiniens dans « l’après-Gaza » : le titre « A Gaza, les Palestiniens doivent relever le défi économique. » (15/09/2005) consacre une suite de plusieurs articles qui résonnent comme une injonction de faire dans le discours du Monde, et qui s’opposent fortement à la passivité représentée dans la première moitié du corpus : « Comment utiliser et renommer les terres récupérés ? », « Trouver del’eau et améliorer sa qualité : une nouvelle bataille pour les Gazouis ». La terre dans ces articles est « libérée », « récupérée », « stratégique ».

Le Monde représente donc le territoire palestinien comme une terre en évolution ; d’abord agie, elle est montrée agissante après le démantèlement des implantations de Gaza. La terre semble tirer son caractère sacré dans la liberté d’être et d’agir (du fait de la levée des interdits israéliens) qu’elle représente désormais pour la population palestinienne. La terre comme enjeu politique palestinien est moins représentée que dans Libération, puisque nous n’avons relevé que deux articles traitant uniquement de la question politique entre le mois de juillet et d’août 2005 : « A Gaza, l’Autorité palestinienne et le Hamas se préparent aux défis de l’après-libération. » (21/08/2005). Le territoire de Gaza, vu côté palestinien, devient la terre du peuple.

L’Orient le Jour rend centrale la figure palestinienne au moment du retrait de Gaza ; nous avons relevé une trentaine d’articles référant à l’événement du point de vue palestinien, ce qui constitue près d’un tiers des textes produits par le quotidien entre les mois de mai et d’octobre 2005. Les photos représentant les Palestiniens sont d’ailleurs beaucoup plus nombreuses que dans les quotidiens français ; la présence iconographique souligne une fois encore le parti-pris discursif du journal. Aux visuels montrant des colons juifs opposés à Tsahal, s’ajoutent des photos soulignant que l’événement touche aussi la population palestinienne 262  ; dans le cas présent, les signes iconiques deviennent des indices discursifs supplémentaires, révélateurs de la rhétorique argumentative du journal.

La terre représentée par L’Orient le Jour est une entité complexe, duelle, objet de tous les espoirs. La représentation du territoire n’a pas de temporalité clairement définie comme dans les deux quotidiens français, avec un avant et un après-Gaza. Le quotidien s’intéresse au point de vue palestinien et à l’avenir politique de la bande de Gaza avant la fin du retrait. Le récit du journal peut être comparé à une longue métaphore filée de la terre palestinienne, concentrée autour de quatre axes principaux et non exclusifs les uns des autres : une terre politique, une terre symbolique, une terre de souffrance et une terre d’espoir.

Le territoire palestinien est une terre politique dans les mots de Ahmed Qoreï, « les territoires palestiniens constituent une seule unité géographique et territoriale », (« Manifestation monstre à Tel-Aviv des opposants au retrait de Gaza pour rallier l’opinion », 11/08/2005). Elle l’est encore lorsque son statut est disputé et qu’elle est l’enjeu de tractations juridiques: « Polémique israélo-palestinienne autour du nouveau statut de Gaza » (23/08/2005). Les statuts « d’occupant » et « d’occupé », après avoir joué un rôle symbolique important dans le discours des médias et des hommes politiques palestiniens, deviennent un attribut juridique à conserver pour bénéficier d’un certain nombre d’avantages économiques de la part de l’Etat israélien. Elle est aussi la cause ou la raison de luttes intestines palestiniennes, « Des membres du Hamas menacent de lancer une Intifada interne à Gaza » (27/08/2007). Elle est enfin leprétexte à un argumentaire politique contre l’adversaire israélien lorsque, dans une interview, Leila Shahid impute à l’Etat hébreu la responsabilité « du chaos sécuritaire qui règne dans la bande de Gaza » et évoque « sa stratégie pernicieuse visant à « atomiser le tissu social de cette bande de terre palestinienne », (« Leila Shahid : les Israéliens ont atomisé le tissu social de Gaza. », 25/08/2005).

Le territoire palestinien tel qu’il est représenté dans le quotidien libanais est aussi une terre symbolique, re-possédée et re-prise aux Israéliens, comme en témoigne un courrier des lecteurs : « Demain c’est le jour J pour les Palestiniens et un jour noir pour les colons de Gaza. Vous serez 8000 à quitter des terres qui n’ont jamais été vôtres », (« Lettre ouverte aux colons de Gaza. », 16/08/2005). Elle est récupérée et rebaptisée, « De Neve Dekalim à … Arafat City. », 23/08/2005). Il y a dans cet article une mise en abyme du symbole ; celle-ci est constituée d’une terre symbolique une première fois par son statut de territoire convoité et reconquis. Le second niveau d’attribut symbolique est bâti sur la signification du futur nom donné à la terre, traduction de la conquête du territoire (« Terre de la victoire »), ou expression du souvenir d’un leader lui-aussi symbolique (« Arafat city »). La terre devient le moyen d’une double célébration et acquiert par le fait d’une attribution nominale particulière, un degré supplémentaire dans la sacralisation.

Dans le discours de L’Orient le Jour, Gaza est aussi une terre de souffrance ; le quotidien la représente, à travers le discours cité, comme appartenant aux « zones de la mort » ; Neve Dekalim est « un champ de ruines », les quartiers sont « transformés en champ de bataille ». La comparaison avec des symboles historiques forts accentue ce trait : « On dirait Hiroshima », (« A Gaza, les Palestiniens reviennent dans les zones de la mort. », 22/08/2007). Le quotidien libanais développe un champ lexical véhiculant des valeurs négatives, notamment lorsque le territoire est désigné comme la conséquence de l’ancienne possession israélienne. La terre est contrainte, restreinte, « Gaza va vivre dans un état d’enfermement (souligné par nous) » (« Polémique israélo-palestinienne autour du nouveau statut de Gaza. », 23/08/2005) ; un article précise encore ce statut d’enfermement : « A Beit Lahiya, certains habitants craignent de se retrouver dans une grande prison. » (22/08/2005). Ce sont ici essentiellement le résultat et les conséquences de la présence israélienne qui sont dénoncés par le journal ; la bande de Gaza est un territoire subi par ses habitants, stigmatisé par son immobilisme : «  Cet aéroport, c’était le symbole de l’indépendance et de la liberté pour les Palestiniens  », (« L’aéroport international de Gaza somnole en attendant des jours meilleurs », 27/08/2005). C’est donc une terre palestinienne meurtrie et léthargique qui est décrite par le quotidien.

Mais le territoire de Gaza concentre aussi tous les espoirs de la nation palestinienne ; le quotidien libanais le montre fêté, « Les Palestiniens commencent à fêter le retrait de Gaza. » (05/08/2005), « Gaza fête sa libération, le Hamas appelle à poursuivre la lutte.» (13/09/2005). C’est une terre libérée : les habitants sont désormais montrés sur un territoire en mouvement, « aller à la plage », « se déplacer librement ». Ils sont caractérisés par le faire, « se baigner », « cultiver »), et ne sont plus passifs : «  je vais pouvoir enfin cultiver la terre qui nous permettait de bien vivre autrefois  », «  transformer notre terre en paradis  », (« A Beit Lahiya, certains habitants craignent de se retrouver dans une grande prison. »). La terre palestinienne « occupée » se transforme en un « sol libéré », sur lequel « Après le retrait de Gaza, les enfants palestiniens se laissent à rêver. » (29/08/2005).

Les choix éditoriaux du journal libanais caractérisent la métamorphose du territoire palestinien, d’« Hiroshima » il devient « paradis » dans le discours du quotidien. Il s’oppose très fortement à un territoire qui, sous l’autorité israélienne, était perçu comme assujetti. Paradoxalement, L’Orient le Jour ne fait exister le territoire palestinien que dans son rapport (proche ou lointain) à Israël ; il ne semble n’avoir d’existence médiatique qu’à travers la représentation d’une altérité de la terre. Enfin, le Nous identitaire palestinien est effacé derrière la prééminence de la terre. L’Orient le Jour hypertrophie la présence médiatique du territoire, au détriment des marques de personnes - Nous israélien et Nous palestinien.

The Jerusalem Post accorde une place extrêmement réduite à l’altérité palestinienne ; le territoire palestinien est totalement absent des discours du journal. Les seules occurrences qui réfèrent à l’identité palestinienne renvoient à l’agir violent et terroriste, « L'ombre persuasive de terrorisme palestinien », « un bandit armé qui a tiré 60 horribles balles », (« 48 hours. », 05/08/2005), « un terroriste est apparu sur la route et à tiré dans toutes les directions 263 » (« Praying for a miracle. », 05/08/2005). Le territoire de Gaza est représenté par le quotidien israélien comme une terre rendue dangereuse par les roquettes et les attentats palestiniens, et sécurisée par la force militaire israélienne, « les soldats et la police , […] ces gens-même qui ont risqué leurs vies pour protéger les colonies 264  », (« The internal fallout from Gaza. », « Les retombées internes de la Bande de Gaza. », 21/08/2005). Un seul article évoque le point de vue palestinien :

- titre : « Settler tears have Gaza Palestinians smiling. » (« Les larmes des colons donnent le sourire aux Palestiniens. », 18/08/2005)

Le titre oppose sémantiquement les larmes des colons au sourire palestinien et souligne ainsi l’irrévérence palestinienne. Le trait est récurrent puisqu’il apparaît en écho dans le cœur de l’article, « A Gaza, les larmes des colons amènent les sourires palestiniens. », ou de manière plus emphatique encore « Un rêve devient réalité pour elle 265 . ». Le territoire israélien devient dans cet article la terre des Palestiniens ; il y a un transfert symbolique de la propriété entre les articles précédents et celui-ci : «  Nous sommes heureux de retrouver notre terre.  », «  Nous ne voulons pas sa maison sur notre terre.  », «  Ce pays est le nôtre . Comment pensent- ils que cette terre est la leur 266  ? ». Ces exemples montrent une hypertrophie du Nous identitaire palestinien et de la concurrence pour le territoire ; il y a là une radicalisation de l’appartenance communautaire et de l’identité fondée sur la possession de la terre.

The Jerusalem Post représente donc le territoire de Gaza comme un endroit rendu dangereux par les Palestiniens, et comme le lieu d’une identité et d’une altérité exacerbées.

Les quatre quotidiens lient à des degrés divers le territoire palestinien et le territoire israélien. La terre centralise très largement l’altérité des deux nations ; elle est profondément politique dans le discours de Libération, en évolution dans celui du Monde et de L’Orient le Jour, et violentée dans celui du Jerusalem Post.

Les discours journalistiques représentant le retrait de Gaza questionnent la figure de l’altérité associée au territoire, dont le caractère sacré est exposé différemment selon les journaux. Dans le conflit israélo-palestinien, les identités palestiniennes et israéliennes sont donc intrinsèquement liées à la terre et ne semblent pouvoir exister médiatiquement qu’en concurrence les unes des autres. Le territoire est une terre sacrée pour des raisons religieuses, politiques et économiques. Dans le conflit nord-irlandais, la question du sacré de la terre est étroitement liée au territoire politique et social, et les représentations de la presse en font une terre urbaine et communautaire. Si nous nous référons à la définition du sacré proposée par Emile Durkheim 267 , dans les deux conflits et pour des motifs différents, le territoire est une terre sacrée car il est isolé et protégé par des interdits.

Dans la presse écrite, l’altérité est représentée comme étant étroitement liée au territoire ; il convient à présent d’interroger l’expression de cette altérité sur les sites internet des partis politiques et d’envisager les critères sur lesquelles elle s’appuie pour s’exercer.

Notes
262.

Voir annexe 7-5, p. 509 (« Après le retrait de Gaza, la violence et la colonisation reprennent en Cisjorndanie », L’Orient le Jour, 26/08/05).

263.

« the persuasive shadow of Palestinian terrorism », « a gunman who fired a horryfing 60 bullets », « a terrorist burst out onto the road and fired at them from all sides ».

264.

« the soldiers and police now sent to remove them were their fellow Israelis , the self-same people who have risked their lives to protect the settlements ».

265.

« In Gaza, settlers tears bring Palestinian smiles. », « A dream come true for her ».

266.

«  We are happy we are getting our land back .», «  We don’t want his house on our land .», « This land is ours . How do t hey think this land is theirs  ? »

267.

E. Durkheim précise que le sacré est « ce que les interdits protègent et isolent. », in Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p 56.