2-2-1 Kadima et le Likud

Nous avons arrêté notre analyse sur les rubriques communes aux versions anglaise et hébreu de Kadima : nous avons procédé ainsi car ces rubriques constituent le socle de l’idéologie politique du parti. Le site en hébreu développe des rubriques annexes – « Les jeunes », « Les actifs » qui nous semblent relever davantage du programme politique que de la revendication d’une identité politique et territoriale.

Les deux versions du site lient étroitement le territoire à l’identité ; dans le document « Action Plan », Kadima décline son agir politique selon trois modalités : le territoire, la population israélienne et les Palestiniens. Ce triptyque constitue les fondations de la rhétorique argumentative du parti. Les trois éléments sont interdépendants et fonctionnent dans une relation discursive triangulaire :

Ces quelques exemples 278 issus du texte « Action Plan » permettent de mettre à jour la logique discursive de Kadima, et d’envisager la façon dont ces trois îlots énonciatifs interagissent. Le territoire est le point discursif et symbolique culminant des discours de Kadima, puisque ceux-ci conditionnent la sécurité, le développement économique et démographique d’Israël, ainsi que la nature des relations avec l’Autorité palestinienne. La dénomination générique du territoire est « Terre d’Israël » (« Land of Israël »)  ou « Etat d’Israël » (« State of Israël ») ; autour de ce point lexical sont déclinées plusieurs thématiques :

une terre sacrée : «  Israël conservera les places saintes juives qui sont d’une importance nationale religieuse et symbolique centrale  » (« Action Plan ») ou « Chaque colline de Samarie et chaque vallée de Judée fait partie de notre patrie historique » (« Vice Prime Minister Ehud Olmert’s speech at Herliya Conference »),

un territoire sioniste : « La colonisation de la terre comme la continuation de la vision de Sioniste de “délivrer la terre” et constituer un État » (Yes to Kadima »),

un territoire pour la paix et la sécurité : « Israël conservera les secteurs qui sont cruciaux pour sa sécurité 279  » (« Yes to Kadima »).

L’identité politique de Kadima se définit donc en premier lieu à partir du territoire politique, sécuritaire et du caractère sacré de la terre.

Le territoire est lui-même spécifié par ses habitants ; ceux-ci constituent la seconde figure discursive du site. Le discours de Kadima oppose principalement le peuple et l’Etat juifs à l’Autorité et la population palestiniennes. Les marqueurs de personne sont ceux habituellement rencontrés dans les discours d’altérité, la première personne du pluriel marquant la collectivité qui énonce (« nous », « we ») et l’adversaire étant désigné par la troisième personne du pluriel « ils  » (« they »). Il est intéressant de noter que le site Kadima ne propose pas la troisième instance énonciative « vous  » (« you »), fréquente dans la parole politique ; cette déficience pronominale peut s’expliquer par le fait que la parole de Kadima n’est pas dialogale comme peut l’être celle du SDLP en Irlande du Nord. L’opposant est figé dans une posture énonciative où l’altérité se conjugue sur le mode binaire « ils / nous » (« they / we »).

L’adversaire désigné par les propos de Kadima est constitué alternativement de l’Autorité palestinienne et des Palestiniens ; nous n’avons relevé que peu d’indices faisant état d’une personne tierce – le Likud ou le parti travailliste. Seule une occurrence réfère à une instance autre, pouvant potentiellement indiquer les adversaires politiques directs de Kadima : « Ceux qui sont très pressés ont demandé, à cause des élections, si le présent gouvernement s’est déjà engagé à un autre démantèlement si les contacts futurs avec les Palestiniens ne sont pas couronnés de succès 280  » (« Vice Prime Minister E. Olmert‘s Speech »).

La figure palestinienne, désignée par les syntagmes nominaux « les Palestiniens » (« Palestinians ») ou « l’Autorité palestinienne » (« Palestinian Authority »), est essentiellement attachée à la question sécuritaire et territoriale ; son crédit politique est directement lié à sa capacité à stopper le terrorisme et à tenir ses engagements. Le lien politique et idéologique entre la violence terroriste et l’Autorité palestinienne apparait central dans le discours d’altérité de Kadima : « La clef de l'avancement du processus politique est pour les Palestiniens d’abandonner la voie de la terreur » (« Vice Price Minister E. Olmert’s Speech ») ou encore « Le futur état palestinien doit être sans terreur 281  » (« Action Plan »). L’association récurrente sur le site entre le terrorisme et l’Autorité palestinienne remet en cause le crédit politique de l’institution gouvernementale palestinienne. Le discours de l’altérité se construit pour partie par référence à l’espace public palestinien ; il implique donc Kadima dans des logiques discursives référant directement au conflit israélo-palestinien.

La figure israélienne est déclinée selon deux constructions lexicales, « Jewih » + substantif  ou substantif + « of Israël » ; nous constatons cependant que le terme « Jewish » est généralement associé à une communauté humaine, « population juive » (« Jewish people »), « nation juive » (« Jewish nation »), alors que le déterminant Israël est agrégé fréquemment au territoire géographique et politique, « Terre d’Israël » (« Land of Israël ») et « Etat d’Israël » (« State of Israël »). Nous avons relevé une exception cependant, « the Jewish Holy place » mais la détermination lexicale réfère à un lieu saint donc « habité » par une idéologie religieuse, issue de la croyance humaine. Sur le site de Kadima, l’identité israélienne semble donc bâtie sur la judaïté ; le texte « Yes to Kadima » renvoie d’ailleurs à plusieurs éléments constitutifs de celle-ci, tels que le thème de l’héritage juif ou encore la nécessité d’une interconnexion diasporique entre les communautés juives du monde entier. L’identité israélienne sur le site de Kadima est donc en premier lieu une identité juive qui se définit par un discours politique dont l’altérité – essentiellement exogène - reste modérée, mais dans laquelle le territoire occupe une place prépondérante.

Le multimédia permet d’appuyer, sans l’hypertrophier, l’identité du parti largement fondée sur la figure de son leader charismatique, A. Sharon.

Le site du Likud, contrairement aux indices d’une altérité prononcée dans sa page d’accueil, propose un site qui, au-delà du niveau 0 de la page, produit un discours relativement neutre et factuel. En effet, en dehors de plusieurs rubriques qui sont en construction, telles que « Le programme du Likud », « Les municipales », « Les activités sur le terrain » pouvant receler les marques d’une certaine altérité, les propos du Likud demeurent très descriptifs et explicatifs. Ils détaillent la constitution du parti, les événements marquants en Israël et pour le Likud, les communiqués de presse des douze derniers mois : mais, point de manifeste politique en ligne qui aurait pu témoigner d’une altérité marquée. La parole engagée de la page d’accueil est une parole de façade qui ouvre sur une profondeur discursive atone ; l’hypothèse d’une corrélation entre le niveau de la page écran et la gradation de la représentation de l’altérité n’est pas validée sur le site du Likud. Le parti de B. Netanyahu offre à l’internaute une vision extrêmement pragmatique du mouvement et de sa politique. Il y a peu de traces d’une altérité endogène (vis-à-vis des autres partis israéliens) ou exogène (vis-à-vis de l’Autorité et les partis palestiniens) dans les strates inférieures du site.

La parole du Likud sur internet est un dire technique (« Le règlement intérieur du Likud »), administratif et bureaucratique avec la rubrique « Les institutions du mouvement », et médiatique par l’utilisation de vidéos. L’écrit semble davantage être réservé à un discours pédagogique et le multimédia à l’expression d’une parole politique plus engagée. C’est le cas des trois vidéos diffusées sur le site ; dans chacune d’elle B. Netanyahu est mis dans une situation de discours différente. La première le représente interviewé sur une chaîne américaine HBO, la seconde diffuse de son intervention à l’assemblée annuelle des communautés juives à Los Angeles ; la troisième enfin est une interview en hébreu sur la politique économique d’Israël. Les deux premières vidéos réfèrent notamment à la question du nucléaire en Iran et du danger potentiel qu’il constitue pour Israël ; B. Netanyahu répond aussi aux accusations qui sont parfois faites à l’Etat d’Israël de « se comporter en Nazi » à l’égard des populations palestinienne et libanaise. Il y a donc dans ces vidéos uneréaffirmation politique et identitaire contre un discours issu de l’altérité. Ellesrendent centrale la place du leader politique dans la construction de l’identité israélienne et de sa représentation dans le monde, alors que le site centre davantage le discours sur l’identité du parti.

Celle-ci est d’ailleurs, en dehors des points que nous avons signalés dans le chapitre précédent, une identité profondément politique et électoraliste. Seuls quelques éléments lexicaux permettent de la relier explicitement au territoire et à la nation israélienne, mais l’identité du Likud est effacée derrière l’identité nationale, « Etat d’Israël », « l’intérêt national israélien », « la souveraineté d’Israël », et s’oppose à la nation palestinienne. C’est à cet endroit précis qu’apparaissent les marques d’une altérité exogène : « une série d’attaques dures des Palestiniens », « attaques des terroristes » (« Evénements marquants »), « l’activité terroriste du Hamas », « état ennemi », « des activités terroristes contre Israël » (« Communiqués de presse »). L’adversaire (palestinien) est très fréquemment associé à un faire violent et terroriste ; on observe donc, à certains endroits du site, l’expression d’une altérité patente. La systématisation de l’association entre un agir terroriste et les termes palestinien et Hamas est une façon de stigmatiser et de délégitimer l’agir politique de l’Autorité palestinienne. Une seule occurrence distingue l’agir politique et légitime « d’un gouvernement palestinien modéré » de celui totalement illégitime du Hamas dans la rubrique « Communiqués de presse ».

Le multimédia permet d’étayer et d’amplifier une représentation identitaire faible dans les strates inférieures du site du Likud. Les discours d’altérité sont présents sur les sites du Likud et de Kadima, mais à des degrés divers et selon des logiques politiciennes divergentes. La parole politique du Likud sur internet est à l’image de son site, inachevée.

Notes
278.

« Israel will restrain areas that are crucrial for its security », « historic right to the land of Israel », « to achieve genuine peace between the two people ».

279.

« Israel will retain Jewish Holy places that are of central religious and symbolic national importance », « Every hill in Samaria and every valley in Judea is part of our historic homeland », « the settling of the land as the continuation of the Zionist vision of ‘redeeming the land’ and settling the State », « Israël will retain areas that are crucial for its security ».

280.

« Those who are in a rush asked wether, because of the elections, the present gouvernement has already committed to another disengagement if the future contacts with the Palestinian are not successfull ».

281.

« The key to moving the political process forward is for the Palestinians to abandon the path of terror », « The future Palestinian state must be free of terror ».