Les dispositifs économiques intercommunaux étudiés, au prisme de l’histoire de la communauté urbaine de Lyon

Les deux événements que nous venons de décrire pour introduire ce travail sont les présentations officielles des deux dispositifs d’action publique sur lesquels s’est concentrée notre enquête de terrain : ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’. L’institution publique qui porte ces deux dispositifs, et qui occupe ainsi une place centrale dans notre recherche, est la communauté urbaine de Lyon. Nous commencerons ici par présenter brièvement cette institution. Nous exposerons ensuite les principaux éléments qui nous ont incitée à choisir d’étudier ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’ pour comprendre ce qu’est la « gouvernance économique métropolitaine » à Lyon. Cela nous amènera, enfin, à revenir sur l’histoire de la structure intercommunale telle qu’elle est contée par ses élus et ses agents.

Les communautés urbaines (dont celle de Lyon) sont créées à la fin des années 1960 dans une logique de lutte contre l’émiettement communal et de recherche d’un développement harmonieux sur l’ensemble du territoire français. Depuis, les formes d’intercommunalité se sont multipliées, même si l’« Acte II » de la décentralisation ne clarifie ni l’importance ni le rôle de ces structures intercommunales 21 . La communauté urbaine, qui est un EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunale) à fiscalité propre, représente aujourd’hui la forme la plus aboutie de la coopération intercommunale avec le plus haut degré d’intégration de ses communes membres 22 .

La « carte d’identité » de la communauté urbaine de Lyon peut se résumer dans les termes suivants. Elle représente environ 1,3 million d’habitants répartis sur 55 communes 23 . Près de 4 500 agents travaillent dans cette structure dont le pilotage politique est assuré par 155 élus. Les locaux de la communauté urbaine de Lyon sont situés dans le centre de Lyon, à côté de la gare de la Part-Dieu. Il s’agit d’une institution locale et communautaire relativement concentrée puisque l’essentiel de ses politiques sont définies et mises en œuvre depuis cet Hôtel de communauté. Ce bâtiment aux très nombreuses vitres est, d’ailleurs, ironiquement baptisé « l’aquarium » par certains élus et agents communautaires qui souhaitent souligner la tendance de la structure intercommunale à se couper de son environnement 24 . La vie politique communautaire se déroule notamment au sein du conseil de communauté et des commissions réunissant des élus des 55 communes membres de la communauté urbaine. Mais les relations entre la communauté urbaine de Lyon et la Ville de Lyon sont plus étroites qu’entre la communauté urbaine et les autres communes 25 . Cela envenime les relations entre la ville-centre, d’une part, et des communes importantes et centrales telles que Villeurbanne ou encore des communes plus petites et plus périphériques telles que celles du nord-ouest lyonnais, d’autre part 26 .

En termes partisans, la Ville de Lyon, dont le maire est par tradition président de la communauté urbaine, se caractérise par une longue domination des partis de centre droit. En 1995, Raymond Barre (UDF) ouvre néanmoins le conseil communautaire aux partis de gauche et en 2001, Gérard Collomb (PS) devient maire de Lyon et donc président de la communauté urbaine 27 .

Les compétences intercommunales officielles concernent d’abord les services urbains à la fin des années 1960, auxquels sont ajoutés l’aménagement urbain dans les années 1980 et le développement économique dans les années 1990 28 . L’agglomération lyonnaise, capitale régionale de Rhône-Alpes, dispose de ressources très importantes 29 . Pour mettre en œuvre l’ensemble de ses politiques, la communauté urbaine de Lyon dispose ainsi d’un budget annuel de plus de 1,5 milliard d’euros. L’administration intercommunale est structurée selon des organigrammes régulièrement modifiés dont la lecture révèle l’émergence, puis le renforcement, d’un service économique 30 . Ce service mène des politiques qui visent le système productif lyonnais. Celui-ci se caractérise par un tissu très dense de petites et moyennes entreprises (PME) et par une longue tradition industrielle ainsi que par un développement net du secteur tertiaire depuis les années 1980 31 .

L’étude de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’, qui sont précisément deux politiques économiques intercommunales, va nous permettre d’appréhender la « gouvernance économique métropolitaine » telle que les acteurs rencontrés la présentent, se la représentent et, surtout, la mettent en œuvre. Le choix de ces deux politiques s’appuie sur une série de constats, établis grâce au premier matériau recueilli.

À Lyon, les discours sur la « gouvernance métropolitaine » sont, d’abord, tout particulièrement fréquents lorsqu’il est question de « développement économique » intercommunal. Dans ce domaine, les discours des acteurs sont, en outre, accompagnés de nombreuses tentatives concrètes de coopération entre acteurs dits publics et privés. La mise en œuvre des politiques économiques intercommunales passe alors par la mise en place de structures précisément baptisées « structures de gouvernance ». Les discours des acteurs locaux sur la « gouvernance économique métropolitaine » sont ainsi accompagnés de dispositifs d’action concrets, au premier rang desquels figurent ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’. Or ces dispositifs émergent dans un cadre spécifique de décentralisation : c’est avec la loi relative à l’Administration Territoriale de la République (ATR) du 6 février 1992 qu’est transférée la compétence économique des communes vers les communautés urbaines 32 .

Les présentations officielles de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ visent à légitimer ces « nouvelles » politiques intercommunales. Leurs organisateurs recourent pour cela à la thématique de la « gouvernance » présentée comme un « nouveau » mode d’action publique fondé sur la coopération entre acteurs publics et privés. Ces dispositifs font néanmoins suite à d’autres expériences de coopération entre milieux économiques et institutions politiques locales autour de projets ponctuels, tels que des projets d’aménagement urbain auxquels la communauté urbaine de Lyon prenait déjà part.

La dimension « innovante » des dispositifs étudiés alors revendiquée par les acteurs locaux, ne prend pleinement sens que dans le cadre de l’histoire intercommunale telle que ces derniers (se) la content. L’institution communautaire, à l’origine communément appelée « Courly » (COmmunauté URbaine de LYon), a été rebaptisée « Grand Lyon » au début des années 1990. Ce changement de nom, opéré par Michel Noir (RPR), maire et président de la communauté urbaine de Lyon de 1989 à 1995, n’est pas anodin. Il reflète la volonté de certains élus et agents communautaires de présenter l’institution intercommunale et son histoire sous le signe d’un accroissement, progressif et continu, de son emprise sur les politiques locales. Un schéma présentant l’évolution du « pouvoir d’agglomération » à Lyon a ainsi été dressé par la direction générale de la communauté urbaine de Lyon, à la fin du mandat de Michel Noir 33 . Le « pouvoir d’agglomération » y est représenté sous la forme d’une courbe croissante. À en croire ce schéma, l’emprise sur les politiques locales du « Grand Lyon » serait plus importante que celle de la « Courly » et serait aussi amenée à continuer de croître 34 . Les facteurs sélectionnés pour expliquer et, par là, légitimer cette emprise croissante sont l’élargissement des compétences intercommunales et l’évolution des modes de pilotage de l’action communautaire.

Si ce schéma était mis à jour, les présentations officielles de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ incitent à penser que la compétence économique et la « gouvernance » y apparaîtraient en tant que facteurs expliquant et légitimant un « pouvoir d’agglomération » croissant. Aux yeux des élus et des agents de la communauté urbaine de Lyon, ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’ constituent en effet, nous le verrons, une opportunité de modifier la répartition des capacités d’action publique locales au profit de leur institution, grâce à l’affichage de relations étroites avec les milieux économiques locaux.

Notes
21.

Nous serons amenée à préciser les principaux éléments que nous évoquons dans le cours du développement de ce travail. Ces éléments visent simplement, ici, à fournir quelques points de repères au lecteur ne connaissant pas la communauté urbaine de Lyon.

22.

Cf. BARAIZE et NÉGRIER (dir.), L'invention politique de l'agglomération, op. cit.

23.

La communauté urbaine de Lyon rassemble plus exactement 57 communes depuis janvier 2007. La plupart des informations qui suivent peuvent être retrouvées sur le site internet de la communauté urbaine de Lyon ( http://www.grandlyon.org ). Elles sont également présentées sous forme de tableaux et de cartes dans le volume d’annexes de ce travail.

24.

Discussions avec l’enquêté n°4 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA, chargé de mission « INTERACT » de 2001 à 2004.

25.

Il est à noter, à ce titre, que les bureaux de la Ville de Lyon sont symboliquement les seuls à être reliés à ceux de la communauté urbaine par une ligne téléphonique interne directe.

26.

Notamment, Entretien avec l’enquêté n°64 : un consultant auprès des collectivités locales du Cabinet Équation responsable de l’enquête auprès des maires dont les résultats conduisent à la mise en place de « Conférences des maires ».

27.

Cf. Taoufik BEN MABROUK, Le pouvoir d'agglomération en France : Logiques d'émergence et modes de fonctionnement du gouvernement métropolitain (1964-2001), Thèse de science politique, Lyon, Université Lumière Lyon II / IEP de Lyon, octobre 2003.

28.

Cf. notamment Jacques CAILLOSSE, Intercommunalités, invariance et mutation du modèle français, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. "Res Publica", 1994.

29.

Cf. Bernard JOUVE, Vincent SPENLEHAUER et Philippe WARIN (dir.), La région, laboratoire politique - Une radioscopie de Rhône-Alpes, Paris, La Découverte, coll. "Recherches", 2001.

30.

Archives de la communauté urbaine (ACU), pochette intitulée : Organigrammes communautaires, 1969-2003.

31.

D’après les informations produites par l'OPALE (Observatoire PArtenarial Lyonnais en Économie) : http://www.opale-lyon.com .

32.

Autorisant dès lors ce que certains auteurs appellent un « changement d’échelle de gouvernement », cf. Emmanuel NÉGRIER, La question métropolitaine. Les politiques à l'épreuve du changement d'échelle territoriale, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, coll. "Symposium", 2005.

33.

« Évolution de la communauté urbaine et de son pouvoir d’agglomération », Schéma produit par la direction générale de la communauté urbaine (document interne), 1995, voir le volume d’annexes de ce travail.

34.

Idem.