La capacité d’action publique des acteurs locaux

D’après les présentations officielles de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ (cf. Supra), le fonctionnement concret de la démocratie représentative locale aurait connu des évolutions importantes que ces dispositifs illustreraient. Le « nouveau » mode de gouvernement du local alors qualifié de « gouvernance économique métropolitaine » est ainsi défini comme un outil de pilotage de l’action publique locale ouvert aux acteurs privés de l’agglomération. Nous cherchons dès lors à définir à quel type de « démocratie » correspond la « gouvernance économique métropolitaine » telle qu’elle est mise en œuvre à Lyon. Le questionnement général de ce travail peut ainsi être formulé comme suit : à Lyon, la mise en place de dispositifs dits de « gouvernance économique métropolitaine » révèle-t-elle une transformation de la composition du groupe des gouvernants ? En d’autres termes, la mise en place de ces dispositifs entraîne-t-elle une modification de la réponse à la question « qui gouverne cette agglomération ? » Ou encore à la question « qui a les capacités d’agir à Lyon ? » 67  ?

Nous nous pencherons, plus précisément, sur un facteur important pouvant entraîner une série de recompositions de l’action publique lyonnaise, à savoir le transfert de la compétence économique des communes à la communauté urbaine de Lyon qui précède de quelques années la mise en place de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’. Nous chercherons à établir si ce transfert, qui s’opère dans le cadre des lois de décentralisation, s’accompagne d’une redéfinition des frontières et des spécificités de l’action publique urbaine. Nous analyserons, pour cela, les frontières entre les élus et les agents communautaires, d’une part, et les groupes d’intérêt représentant certains segments de la société, d’autre part, et plus particulièrement les spécificités de l’action de ces élus et de ces agents par rapport à celle de ces groupes d’intérêt. Dans un contexte où l’action économique intercommunale s’appuie avant tout sur des partenaires chefs d’entreprise, nous serons amenée à discuter, paradoxalement, le caractère privé de cette action publique. À discuter, plus précisément, le type de participation des chefs d’entreprise sur laquelle cette action publique repose, le rôle de ces partenaires privés dans la mise en place d’une telle action, le poids des intérêts des chefs d’entreprise locaux sur le contenu de cette action économique, et, enfin, le rôle des élus et des agents communautaires dans cette action publique très privée.

À la fin des années 1990, les acteurs investis dans ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’ considèrent que la « gouvernance économique métropolitaine » doit être affichée de manière à accroître le rayonnement international de Lyon et, ce faisant, favoriser le « développement économique » local. Loin d’être uniquement un processus aux origines exogènes, la « métropolisation » semble ainsi être également un outil en partie construit par les acteurs locaux 68 .

Par ailleurs, de nombreux travaux scientifiques ont montré que la décentralisation et l’européanisation placent l’ensemble des acteurs locaux dans une situation de concurrence (cf. Supra). La fragmentation des intérêts des acteurs locaux ne semble pas pour autant empêcher leur coopération, notamment du fait de leur multiples réseaux de sociabilité.

Cette concurrence contraint enfin les acteurs locaux à continuellement légitimer leurs interventions dans l’action publique locale, chaque acteur individuel ou collectif jouissant d’une légitimité limitée, telle que celle des représentants nommés au sein des conseils municipaux –et non élus– de la communauté urbaine. La mise en place de structures de « gouvernance » (dans le cadre desquelles les acteurs locaux échangent notamment des ressources et des légitimités) semble enfin représenter l’occasion d’accroître l’emprise sur les politiques locales de l’ensemble des acteurs amenés à en être partenaires, grâce à la transformation des registres de leur légitimité à intervenir dans ces politique 69 .

Nous analyserons donc les redéfinitions des modes de régulation de l’action publique locale potentiellement en jeu lors de la mise en place de structures de « gouvernance ». L’emploi du terme « régulation » renvoie ici avant tout à l’ensemble de règles guidant l’action publique ou, en d’autres termes, un ensemble de règles permettant de rendre compte de la capacité des acteurs locaux à se mobiliser, à coopérer et ainsi à mettre en place des politiques publiques 70 . Nous mènerons ainsi une sociologie politique de la « gouvernance économique métropolitaine » dans le cadre de laquelle nous interrogerons la capacité de ces différents groupes d’acteurs lyonnais à gouverner 71 . Nous tiendrons compte des positions de ces groupes d’acteurs (des postes de décision ou de mise en œuvre qu’ils occupent), de leurs ressources (financières mais aussi en termes de compétences reconnues progressivement acquises) et, enfin, des processus de légitimation qui leur permettent de gouverner.

Notes
67.

Cf. DAHL, Qui gouverne ?, op. cit., puis STONE, "Urban regimes and the capacity to govern : a political economy approach", op. cit.

68.

Cette question nous amènera à aborder, sous un prisme particulier, la question des conséquences du transfert d’une compétence de l’État et des communes vers une structure de coopération intercommunale, sur les modes et les dispositifs d’action de cette dernière. De nombreuses études cherchent en effet à identifier les variables permettant d’expliquer le degré de « métropolisation » atteint par les agglomérations européennes, voire mondiales, dans une perspective comparée parfois teintée d’évolutionnisme qui valide, au moins en creux, le caractère inéluctable de l’ensemble des dimensions démographique, économique et politique de ce processus, cf. Saskia SASSEN, La ville globale. New York, Londres, Tokyo, Paris, Descartes & Cie, 1996 (1ère édition américaine, 1991).

69.

Nous discuterons de l’emprise des différents acteurs partenaires des dispositifs étudiés sur les politiques locales concernant l’agglomération en termes de lancement, de formulation, de financement et/ou de mise en œuvre de ces dernières. En ce qui concerne les élus, nous serons alors plus particulièrement amenée à discuter leur leadership. Cette expression nous permettra notamment d’analyser l’implication de ces élus dans l’action publique locale à la lumière de leur activité de représentation politique, cf. François BARAIZE, Alain FAURE, William GENIEYS, Emmanuel NÉGRIER et Andy SMITH, "Le pouvoir local en débats. Pour une sociologie du rapport entre leadership et territoire", Pôle Sud, n°13, novembre 2000, pp.103-119.

70.

Cf. Jacques COMMAILLE et Bruno JOBERT (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris, L.G.D.J., 1999.

71.

Cf. Remi DORMOIS, "Structurer une capacité politique à l'échelle urbaine. Les dynamiques de planification à Nantes et à Rennes (1977-2001)", Revue Française de Science Politique, vol.56, n°5, octobre 2006, pp.837-867.