Un bon observatoire de la « gouvernance économique métropolitaine »

Le premier type de dispositifs étudiés, nous l’aborderons grâce à ‘Grand Lyon, l'Esprit d'Entreprise’ 88 . Il concerne les relations entre la communauté urbaine et les instances patronales lyonnaises : syndicats professionnels et chambres consulaires. Le second type de dispositifs étudiés, nous l’aborderons grâce au ‘Pack’ 89 . Il concerne quant à lui les relations entre la communauté urbaine et des chefs d’entreprise locaux mobilisés à titre individuel.

‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ est d’abord considéré par les élus et les agents communautaires comme une politique phare de la communauté urbaine depuis le mandat de Raymond Barre. Il s’agit, en outre, d’une politique cadre qui définit les principaux axes de la politique économique intercommunale. Cette politique et son « comité de gouvernance » réunissant le président de la structure intercommunale et les responsables des instances patronales locales sont, enfin, placés au cœur de la stratégie de communication de la communauté urbaine. Cette politique est donc apparue très vite incontournable dans le cadre de notre étude.

Le ‘Pack’ n’a, en revanche, jamais été mentionné spontanément par un acteur communautaire. Il s’est même progressivement révélé être un sujet tabou au sein de la communauté urbaine de Lyon. S’y intéresser a d’ailleurs été assez mal perçu au sein de cette institution. Le fait que ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ soit plébiscité comme un objet de recherche digne d’intérêt quand l’existence même du ‘Pack’ était au contraire fréquemment niée, nous a pourtant précisément incitée à les étudier simultanément. Cela nous semblait notamment un bon moyen d’évaluer l’importance de la dimension discursive de ces politiques (tout particulièrement de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’). En outre, le ‘Pack’ diffère de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ par le type de relations qu’il vise à établir entre la communauté urbaine et les milieux économiques locaux. Ce groupe nous a dès lors semblé pouvoir constituer une porte d’entrée intéressante sur ces milieux économiques locaux. Plus précisément, étudier ce groupe en observant ses réunions nous offrait une opportunité de contourner la structure officielle de la représentation des intérêts des chefs d’entreprise locaux. Plus précisément encore, le ‘Pack’ constituait une opportunité d’accéder aux processus autorisant le maintien d’une telle structure ainsi qu’aux processus risquant de la déstabiliser.

Ces deux dispositifs ont donc notamment été choisis parce qu’ils s’opposent sur de nombreux points. Ils offrent la possibilité d’identifier différentes définitions et différents usages de la « gouvernance économique métropolitaine » à Lyon. Étudier simultanément ces deux tentatives d’institutionnalisation d’une action collective en faveur du « développement économique » à l’échelle de la « métropole » lyonnaise offre donc bien la possibilité d’analyser l’impact de modes d’action intercommunaux et partenariaux sur les modes de représentation et de mobilisation des milieux économiques (et vice versa).

Le choix de mener un travail microsociologique sur la base d’une enquête de type ethnographique nous a néanmoins contrainte à focaliser notre attention sur seulement deux dispositifs économiques. Notre focale d’observation reste centrée sur ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’, deux dispositifs certes emblématiques mais forcément partiels dont nous devrons bien sûr questionner les limites 90 .

Cette focale d’observation semble notamment impliquer une concentration exclusive sur un type particulier de « gouvernance métropolitaine » puisque la dimension « participation citoyenne » paraît d’ores et déjà être absente de ces politiques économiques intercommunales. La question de la participation des citoyens aux dispositifs d’action publique urbaine, souvent sous-entendue par l’expression « gouvernance » 91 , ne pourra effectivement être appréhendée ici qu’en creux. Nous avons certes choisi d’étudier ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’ parce que les politiques économiques de la communauté urbaine de Lyon, devenues prioritaires, nous semblaient centrales pour appréhender la « gouvernance métropolitaine ». Malgré tout, notre focalisation sur un seul secteur d’action, a rendu difficile de vérifier que d’autres politiques ne comptent pas autant, voire davantage, dans la quête d’emprise sur les politiques locales de la communauté urbaine de Lyon. Pour éviter de mener une démonstration tautologique, nous avons réalisé des « coups de sonde » de manière à avoir une meilleure vision d’ensemble des politiques intercommunales 92 . Ces « coups de sonde » ont été l’occasion de valider mais aussi d’affiner la thèse d’un lien étroit entre « gouvernance métropolitaine » et « développement économique » avancée dans ce travail. Leur réalisation a été facilitée par notre rattachement officiel au service de la stratégie d’agglomération (la DPSA). Ce service est en lien avec tous les autres services de la communauté urbaine. Il est, en outre, lui-même très impliqué dans la « gouvernance » de la « métropole » alors davantage entendue comme participation des citoyens à l’action publique locale (notamment via le Conseil de Développement de Lyon).

C’est ainsi finalement l’immersion qui nous a permis d’identifier certaines des limites de notre observatoire de la « gouvernance économique métropolitaine » et de tenter d’en réduire au maximum l’impact sur notre recherche.

Par-delà ces limites, le statut monographique de ce travail centré sur l’étude de deux dispositifs d’action publique devrait nous permettre de procéder à des montées en généralité contrôlées 93 . Nous nous appuyons pour cela, en tout premier lieu, sur des sources de première main. Ces sources concernent un terrain circonscrit que nous sommes ainsi en mesure de décrire finement. Elles permettent de mettre à jour des éléments « essentiels » 94 et d’identifier des « composantes transposables » à discuter à partir d’autres études de cas singuliers. Ce que nous perdons en exhaustivité, nous le gagnons donc en capacité d’analyse. « L’erreur consiste [en effet] à croire que par la généralisation nous retrouverions des choses identiques. Cela n’arrive pas en raison des circonstances particulières. Hugues a dégagé des composantes transposables, c’est ça la généralisation » 95 . Le parti pris, ici, est dès lors celui de la mise en lumière de la singularité de notre terrain afin de mieux saisir à la fois ce qui autorise mais aussi ce qui limite la « transposition » de ce que nous montrons à partir du cas lyonnais 96 . Les sources de première main que nous citons, et auxquelles nous renvoyons fréquemment de manière à permettre au lecteur de suivre les étapes de nos montées en généralité, sont constituées à la fois d’entretiens retranscrits, de notes d’observations et d’archives ou, plus généralement, de documents écrits. Elles ont, en effet, été rassemblées entre janvier 2002 et décembre 2006, au cours de périodes d’immersion au sein des milieux enquêtés et grâce au croisement de trois méthodes distinctes.

Notes
88.

Ponctuellement mis en perspective grâce au ‘Plan Technopole’ de manière à historiciser cette étude.

89.

Ponctuellement mis en perspective grâce au ‘Lyen’ (‘LYon ENtreprises’) de manière à historiciser cette étude. Nous appréhendons ainsi notre objet de recherche en opérant deux types de comparaisons : une comparaison entre types de dispositifs d’action et une comparaison dans le temps (ces dispositifs n’étant pas tous mis en œuvre à la même période).

90.

Certaines actions du service économique communautaire (la DAEI), sans lien direct avec ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, ‘Lyon, Métropole Innovante’, le ‘Pack’ ou le ‘Lyen’ ont ainsi attiré notre attention car leur mise en œuvre croisait celle de ces dispositifs. La politique ‘Grands-comptes’ de la DAEI, par exemple, qui vise les plus grandes entreprises de l’agglomération lyonnaise, n’est pas explicitement mentionnée dans ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’. Or elle permet notamment d’appréhender la nature des relations privilégiées entre la communauté urbaine de Lyon et certaines très grandes entreprises locales (telles que Renault Trucks), « Rapport d’activité 2003 », Document de la communauté urbaine (DGDEI : Délégation Générale au Développement Économique et International), voir également l’organigramme de la DAEI dans le volume d’annexes de ce travail.

91.

Toujours telle qu’elle est utilisée par les acteurs, « Cahiers Millénaire 3 », Documents produits par la communauté urbaine de Lyon (DPSA).

92.

La deuxième étude de cas que nous avons dû réaliser dans le cadre d’INTERACT, portant sur des politiques choisies par dessein sans lien avec notre thème de recherche, s’est ainsi finalement montrée importante car elle nous a permis d’observer des dispositifs d’aménagement urbain de l’agglomération (notamment le projet des Berges du Rhône au centre de Lyon et celui du Carré de Soie entre Vaulx-en-Velin et Villeurbanne).

93.

Il nous semble ainsi que les nombreuses critiques adressées aux travaux monographiques permettent d’en éviter les principaux pièges sans pour autant remettre en cause leur intérêt scientifique. D’ailleurs ces nombreuses critiques sont avant tout évoquées dans des articles qui visent à défendre les travaux fondés sur des comparaisons. Pourtant, la monographie n’interdit pas de procéder à des comparaisons (cf. Supra). Par-delà cette opposition entre monographie et comparaison, la méthode employée pour réaliser son enquête nous semble compter bien davantage (pour un aperçu des principales critiques adressées à la monographie pour justifier l’intérêt de la comparaison, cf. notamment Patrick HASSENTEUFEL, "Deux ou trois choses que je sais d'elle. Remarques à propos d'expériences de comparaisons européennes", dans CURAPP (dir.), Les méthodes au concret. Démarches, formes de l’expérience et terrains d’investigation en science politique, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, pp.105-124).

94.

Ainsi « (…) seul un fragment limité de la réalité peut constituer chaque fois l’objet de l’appréhension scientifique et seul il est ‘essentiel’, au sens où il mérite d’être connu. », cf. Max WEBER, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, coll. "Recherches en sciences humaines", 1992 (1ère édition : 1904), p. 149.

95.

Cf. Howard BECKER, Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte, coll. "Repères", 2002 (1ére édition américaine : 1998, University of Chicago Press), p.11.

96.

La mise en lumière de la singularité du terrain choisi permet, en apparence paradoxalement, de justifier la montée en généralité à partir d’une étude monographique car ce n’est qu’à la condition de bien prendre en compte toutes les spécificités du terrain étudié que l’on pourra identifier des pistes d’analyse transposables, cf. DUBOIS, La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, op. cit.