L’immersion et le croisement d’entretiens retranscrits, de notes d’observation et de sources écrites

En nous inspirant de travaux de type ethnographique, nous avons plus précisément cherché à articuler trois méthodes de recueil de sources de première main 97 . Un entretien peut en effet devenir une situation particulière d’observation 98 . Une observation peut offrir l’occasion de discussions informelles, avec plusieurs acteurs et « à chaud » 99 . Enfin, le dépouillement puis l’analyse des archives peuvent être fréquemment orientés et facilités par les données obtenues, précédemment ou en parallèle, au cours des entretiens et des observations (et vice versa). Cette articulation implique proximité et familiarité avec les acteurs étudiés. Nous avons donc procédé par immersion au sein de milieux enquêtés avec un degré d’interconnaissance relativement haut 100 .

Certes, cette immersion s’est avérée imparfaite car nous l’avons pratiquée de manière hachée. Malgré tout, elle s’est avérée fondamentale, dès le tout début de l’enquête, pour pénétrer un terrain réputé fermé. Nos premiers contacts avec des chefs d’entreprise locaux ont confirmé cette difficulté d’accès comme l’illustre l’interaction suivante, qui a eu lieu au cours d’une réunion du ‘Pack’ :

‘« - Et vous êtes qui vous ? [Ton suspicieux] Vous êtes la nouvelle secrétaire ?
* Non, je… J’assiste simplement à cette réunion… [Phrase interrompue]
- Vous êtes un jeune créateur d’entreprise ?
* Non, je fais une thèse de science politique… [Phrase interrompue]
- Ah, bon… [Silence] Et, qu’est-ce que vous faites là ? Pourquoi vous êtes là ? » 101 .’

Par la suite, cet acteur s’est adressé à nous comme si nous étions la secrétaire du ‘Pack’. Si les premiers contacts se sont avérés difficiles à établir, la plupart des acteurs se sont rapidement habitués à notre présence en nous attribuant une place qui faisait sens à leurs yeux, qui correspondait à leur manière de concevoir les configurations d’acteurs dans lesquelles nous nous intégrions. L’immersion nous a donc permis de pénétrer les milieux économiques locaux et de faire en partie oublier notre statut de jeune femme, non originaire de Lyon, « étudiante de longue durée » et à la socialisation éloignée de celles des membres de ces milieux 102 .

Bien qu’a priori plus simple à pénétrer, une communauté urbaine demeure néanmoins une institution publique locale également relativement close 103 . Concrètement d’ailleurs, les principaux bâtiments de cette institution ne sont pas ouverts au public. Il est impossible d’y pénétrer sans être membre de l’institution intercommunale ou sans avoir quelque chose de spécifique à y faire, comme vous le rappelle le contrôle d’identité à chaque entrée dans ces bâtiments, au cours duquel vous devez préciser avec qui vous avez rendez-vous, où et combien de temps doit durer votre rendez-vous. Quant aux bureaux de la DPSA (Direction de la Prospective et de la Stratégie d’Agglomération), situés à côté de ces bâtiments principaux, leur entrée est surveillée grâce à une caméra et vous ne pouvez y pénétrer que si vous avez rendez-vous ou si vous êtes connu de son secrétariat 104 .

L’immersion s’est ensuite avérée plus ou moins contrainte. Nous étions, en effet, sous contrat avec la communauté urbaine. Nous avons ainsi été amenée à passer beaucoup de temps à circuler entre les différents services centraux de la structure intercommunale (en partant en quelque sorte de la DPSA, service responsable du programme INTERACT, auquel nous étions rattachée). Nous avons alors également observé quelques rencontres entre élus, agents et chefs d’entreprise ou leurs représentants. Le responsable du ‘Pack’ a, par ailleurs, fixé comme condition sine qua non de notre suivi des activités de ce groupe, notre participation à l’association Émergences 105 . Cette association a été mise en place par le ‘Pack’ à partir de 2002, afin de réunir de « jeunes talents » capables de formuler des projets de « développement de la métropole lyonnaise » 106 . L’intégration a, là encore, été profonde puisqu’il nous a été imposé, en dehors des entretiens, de nous présenter et de nous comporter en tant que membre de cette association Émergences 107 .

Nous présentons ici les entretiens, les observations et les archives conformément à l’ordre dans lequel nous les avons réalisés, sans tenir compte du fait qu’à de nombreuses périodes nous avons réalisé les trois en parallèle. Nous avons recouru à chacune de ces méthodes de différentes manières en fonction de la nature des informations que nous recherchions et de la nature des informations que nous trouvions au fur et à mesure de la réalisation de notre enquête de terrain.

La méthode centrale que nous avons utilisée pour récolter notre matériau est celle de l’entretien semi-directif, d’une durée moyenne de 1h30, centré sur la trajectoire personnelle de l’interviewé, sa connaissance (et son expérience) du terrain d’étude, ses intérêts et ses représentations de l’action publique locale 108 . La réalisation de ces entretiens, lancée dès le début du travail de terrain, a été poursuivie tout au long de l’enquête. Notre démonstration s’appuie ainsi sur nos rencontres avec 71 acteurs interviewés 109 .

Différents types d’entretiens ont progressivement été menés. Les premiers étaient purement exploratoires. Peu nombreux et plus courts que les suivants, ils avaient avant tout pour but de nous permettre d’obtenir les autorisations nécessaires à la réalisation de notre enquête et d’identifier les principaux acteurs engagés dans les dispositifs étudiés. Dans un second temps, des entretiens informatifs plus longs nous ont en premier lieu permis de retracer l’histoire de ces dispositifs. Réalisés auprès de nombreux acteurs, ils nous ont en outre permis, loin de rechercher une quelconque représentativité des discours recueillis, de comparer les informations recueillies de manière à les valider ou les invalider (notamment en ce qui concerne les pratiques des acteurs et la nature de leurs interactions au quotidien). Enfin, le cœur du matériau oral que nous avons recueilli sur la base d’entretiens et que nous mobilisons dans ce travail est qualitatif. Après avoir identifié des acteurs à la fois centraux pour notre enquête et disposés à nous recevoir plusieurs fois, nous avons en effet effectué des entretiens répétés avec ces quelques acteurs. Cette répétition avait trois objectifs : creuser davantage la dimension historique de notre enquête, saisir les dispositifs étudiés de manière dynamique et, enfin, établir quelques profils-types d’acteurs dont nous avons analysé finement les trajectoires.

Au cours de l’enquête, nous avons ainsi interviewé 99 personnes, dont 44 agents de la communauté urbaine et de l’agence d’urbanisme, 36 acteurs des milieux économiques, 5 agents d’autres institutions locales, 7 élus locaux, et 7 « autres » (avant tout des consultants). 10 personnes ont été interviewées pendant la phase d’exploration de notre enquête, 69 ont été interviewées une fois dans un objectif avant tout informatif et 20 ont été interviewées au moins deux fois de manière plus qualitative (tout particulièrement 2 élus, 4 acteurs des milieux économiques et 4 agents de la communauté urbaine).

Néanmoins, certains entretiens exploratoires n’ont finalement pas été véritablement exploités. En outre, nous avons tenu à maintenir le complet anonymat de certains des acteurs cités ou mentionnés dans ce travail. Enfin, certains entretiens informatifs se recoupaient. Si ces recoupements nous ont aidée à identifier des thèmes récurrents pendant la phase de traitement de notre matériau, il ne nous a pas semblé utile de les signaler systématiquement dans notre démonstration.

Au final, donc, 71 personnes interviewées sont explicitement mentionnées dans ce travail, dont 31 agents de la communauté urbaine et de l’agence d’urbanisme, 28 acteurs des milieux économiques, 5 élus locaux, 3 agents d’autres institutions locales et 4 « autres » (avant tout des consultants) 110 .

Nous avons également accordé une place conséquente à la méthode de l’observation dans notre protocole d’enquête. Cette dernière nous semblait en effet tout particulièrement adaptée à notre terrain. Notre démonstration s’appuie ainsi sur deux très longues observations participantes et sur une quinzaine d’observations plus ponctuelles non-participantes 111 .

Notre rattachement à la communauté urbaine dans le cadre d’INTERACT a d’abord facilité la réalisation d’observations au sein de cette structure plus souvent étudiée sous l’angle des législations encadrant son fonctionnement ou encore des arrangements entre élus nécessaires à ce fonctionnement, que sous l’angle des pratiques d’action publique de ses élus et de ses agents 112 . Les premiers entretiens avec des acteurs des milieux économiques lyonnais se sont, par ailleurs, révélés très longs à obtenir et ont fréquemment conduit à des rencontres au cours desquelles la « langue de bois » dominait largement 113 . Nous avons ainsi rapidement constaté qu’il faut systématiquement s’attacher à être recommandé par quelqu’un d’importance que l’enquêté connaît directement lorsqu’on se présente à un entretien avec un chef d’entreprise ou un représentant patronal 114 . Dans ce contexte, un doctorant travaillant sur les patronats du Nord nous a conseillé de rencontrer un « lobbyiste patronal » installé à Lyon, Maxence Brachet, afin de lui demander les coordonnées de quelques représentants patronaux et de nous recommander auprès d’eux 115 . Néanmoins, il nous a rapidement semblé que les relations délicates de Maxence Brachet avec certains représentants des chefs d’entreprise lyonnais risquaient de limiter l’impact positif de ses éventuelles recommandations. Nous lui avons donc plutôt demandé l’autorisation de suivre les activités du ‘Pack’ (dont il était précisément l’organisateur). C’est ainsi que nous avons été amenée à accepter de devenir membre de l’association Émergences.

Différents types d’observations ont donc également été réalisés. Des observations non-participantes pendant les réunions et les événements auxquels nous avons assisté au sein de la communauté urbaine ainsi que, plus ponctuellement, pendant les réunions du ‘Pack’. Mais aussi des observations participantes dans le cadre d’INTERACT et d’Émergences. Des informations de nature différentes ont également été recueillies : nous avons progressivement identifié et positionné un certain nombre d’acteurs au sein des institutions locales intervenant dans le domaine économique et, surtout, nous avons étudié les pratiques des acteurs engagés dans les dispositifs étudiés, ainsi que le fonctionnement d’un groupe en train de se construire : le ‘Pack’. Ces observations ont finalement constitué des occasions régulières de nous rendre sur le terrain, pour des laps de temps plus ou moins longs, au cours desquels notre attention a fréquemment été attirée par des pistes d’analyse (parfois un peu intuitives) par la suite approfondies ou abandonnées grâce aux entretiens et aux archives. À l’inverse, elles ont aussi constitué un moyen de vérifier ou de préciser des éléments trouvés grâce aux entretiens et aux archives. Elles nous ont alors notamment semblé constituer un excellent complément à la méthode de l’entretien semi-directif pouvant conduire au recueil de reconstitutions d’interactions mettant avant tout en valeur l’enquêté interrogé 116 . Cette méthode s’est néanmoins naturellement avérée impraticable dans le cadre de nos comparaisons diachroniques visant une mise en perspective historique.

Au sein de la communauté urbaine de Lyon, de janvier 2002 à décembre 2004, outre un déplacement de trois jours effectué tous les quatre mois dans l’une des agglomérations du réseau INTERACT (en tant que membre de la délégation lyonnaise), nous avons concrètement passé un à deux jours par semaine à l’Hôtel de communauté (où nous réalisions les deux études de cas dont nous étions responsable pour le programme INTERACT). Nous avons, par ailleurs, progressivement pris l’habitude de passer à l’improviste à la DPSA, ou encore d’aller déjeuner de manière totalement informelle avec certains agents communautaires dont nous devenions plus proche.

Parallèlement, de janvier 2003 à décembre 2005, nous avons participé à certaines des réunions du ‘Pack’ et à l’intégralité des réunions de l’association Émergences. Cette participation a ainsi concrètement consisté en une réunion mensuelle en moyenne, ainsi qu’en un week-end de travail de trois jours organisé pour les membres de l’association Émergences. Nous avons, là aussi, progressivement noué des liens avec certains « jeunes » de cette association que nous avons été amenée à rencontrer de manière totalement informelle pendant la durée de réalisation de notre enquête (notamment le soir et le week-end).

Tout au long de la réalisation de ces observations, nous avons tenu une sorte de « journal de terrain ». Ce « journal », dont le contenu est entièrement manuscrit, comporte trois volumes dans lesquels s’alternent matériau brut, remarques personnelles et conseils d’autres chercheurs. L’observation la plus longue représente 80 pages de notes manuscrites. Ces notes sont essentiellement constituées de remarques non rédigées articulées autour de schémas qui, s’ils permettent à l’observateur de mémoriser les interactions qu’il observe, limitent la possibilité de les retranscrire. Les passages de ce « journal » que nous mobilisons dans notre démonstration ont ainsi dû être largement repris avant d’apparaître dans le corps du texte de la thèse.

Le travail de recueil de sources écrites a été lancé en dernier. Il s’est malgré tout avéré beaucoup plus conséquent que prévu aussi bien en termes de temps que nous lui avons consacré, qu’en termes de richesse du matériau rassemblé. Notre démonstration s’appuie ainsi finalement sur des sources écrites nombreuses et diverses 117 .

Nous avons d’abord travaillé sur une série d’archives publiques. Nous avons dépouillé les archives de la communauté urbaine et de l’agence d’urbanisme concernant note objet de recherche depuis le début des années 1990 mais aussi, plus ponctuellement, depuis la création de la communauté urbaine (notamment sur une question telle que celle des étapes de la mise en place d’un service économique intercommunal). Nous avons en effet eu un accès illimité à ces archives, sans obligation de faire de demande d’autorisation spéciale pour les documents protégés car nous étions considérée comme appartenant au personnel intercommunal).

Nous avons ensuite eu accès à une série d’archives privées, c’est-à-dire aux documents écrits qui sont conservés par un acteur (dans son bureau ou à son domicile, le plus souvent sans être classés). Pour cela, nous avons systématiquement demandé à chaque interviewé s’il disposait de documents pouvant nous aider dans le cadre de notre recherche. Suite à ces demandes, des rendez-vous ont été fixés avec quelques acteurs disposant d’archives privées particulièrement conséquentes de manière à nous permettre de les dépouiller (en leur compagnie ou pendant leur temps de travail). Ces archives privées se sont avérées particulièrement nombreuses et diverses en ce qui concerne ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et ‘Lyon, Métropole Innovante’, aussi bien au sein de la communauté urbaine que de l’agence d’urbanisme.

L’ensemble des sources écrites trouvées dans ces archives publiques et privées nous a permis de vérifier (au moins en partie) l’adéquation entre ce que disent les acteurs et ce qu’ils font ou encore ce qu’ils ont fait. Elles nous ont surtout offert la possibilité de creuser la partie la plus « historique » de notre recherche et, ainsi, d’opérer une déconstruction des catégories utilisées par les acteurs pour qualifier l’action publique à laquelle ils prennent part (notamment la catégorie « développement économique »).

Par-delà la nature de leur archivage, deux types de sources mobilisés dans ce travail peuvent par ailleurs être distingués : la documentation officielle et la documentation interne. Ces deux types de sources apportent des éléments d’information très différents. Ils se sont ainsi tous deux avérés importants. La documentation officielle est pour l’essentiel constituée de plaquettes de communication, de rapports officiels publiés concernant les dispositifs que nous étudions, de sources électroniques, de tableaux et de documents Powerpoint, ainsi que des plans de mandat des maires de Lyon. Elle permet notamment de saisir certaines logiques de communication institutionnelle et, dès lors, d’analyser le travail de légitimation des acteurs. La documentation interne est, quant à elle, pour l’essentiel constituée de comptes rendus de réunions, de courriers, de notes manuscrites, de tracts, de rapports d’évaluation et de rapports d’activité internes. Elle est aussi constituée de sources plus confidentielles que nous ne citerons donc pas, telles que des fiches de poste, des notes manuscrites visant à faire circuler des rumeurs ou encore des échanges écrits « sur la toile » (notamment l’ensemble des e-mails échangés entre membres de l’association Émergences ainsi qu’au sein du réseau INTERACT). Cette documentation interne permet de reconstituer les étapes des processus de décision et de mise en œuvre des dispositifs étudiés mais aussi, voire surtout, de saisir les rapports internes aux institutions qui portent ces dispositifs, notamment ici à la communauté urbaine. Documentations officielle et interne ont, enfin, ponctuellement été complétée par des articles de presse, des sources électroniques, des rapports (études ou encore ouvrages) publiés mais mobilisés comme des sources et des textes législatifs.

Au vu du temps que nécessite l’immersion, nous avons néanmoins, à de nombreuses reprises, été amenée à nous demander : « À quoi bon ce travail de fourmi (…) ? » 118 . L’immersion est de fait extrêmement chronophage. Sans multiplier les exemples anecdotiques, nous pouvons mentionner la nécessité de se rendre disponible à n’importe quel moment de la semaine (soirées et week-end compris), et le nombre important de coups de téléphone à passer pour obtenir chaque autorisation d’assister à une réunion dite « informelle » en petit comité. Le chercheur qui tente de s’immerger au sein d’un milieu d’enquête est ainsi très rapidement confronté à la question des limites qu’il va donner à son investigation. Le recours à l’immersion se justifie, certes, uniquement si l’on accepte de procéder sur la base d’une logique de détours 119 et de détails 120 . Il n’en demeure pas moins extrêmement facile d’être en quelque sorte happé par le travail de terrain. L’immersion implique en effet, au moins à certaines périodes, des phases ininterrompues de présence sur le terrain, contrairement par exemple à un travail uniquement réalisé sur la base d’entretiens et/ou d’archives.

L’immersion présente aussi un certain nombre de difficultés liées à la pratique de l’observation participante qu’elle entraîne. D’abord des difficultés relationnelles, notamment sur le long terme. Les personnes rencontrées sur le terrain peuvent attendre un type de relation que vous n’êtes pas en mesure de construire sans toujours être en situation de leur expliquer pourquoi. Ensuite, et surtout, des difficultés en termes de conséquences potentielles du travail de terrain réalisé sur l’action étudiée. Dans le cadre de notre participation à Émergences, par exemple, notre volonté a été ferme d’intervenir le moins possible dans les projets en cours de formulation. Notre position au sein du groupe n’en était que plus délicate, comme l’illustre la remarque suivante qu’un jeune d’Émergences nous a adressée au cours d’un repas de travail :

‘« Tu ne dis jamais rien toi ! Alors… Vas-y ! Qu’est-ce que tu en penses ? On pourrait ajouter des éléments ? Tu n’es pas là pour donner ton avis ? Alors, vas-y ! » 121 .’

Même si nous avons tenté de feindre donner un avis en ne faisant que résumer ce qui avait été dit précédemment (en prenant garde, toutefois, de ne pas trop agacer la personne qui venait de nous faire cette remarque), nous avons été contrainte, au moins ponctuellement, de prendre position personnellement : d’émettre un avis sur ce qui venait d’être dit, voire de faire des propositions aux membres de notre groupe.

Toutes ces difficultés viennent renforcer la principale limite à l’articulation des méthodes mises en œuvre grâce à une immersion, à savoir le foisonnement des matériaux récoltés couplé à un manque d’homogénéité de ces matériaux 122 . L’immersion au sein de deux milieux d’enquête, dont nous allons progressivement montrer qu’ils ne se recoupaient que partiellement, nous a semblé nécessaire à la réalisation de ce travail. Elle nous a néanmoins notamment posé problème du fait de la comparabilité limitée des données recueillies dans le cas de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et dans le cas du ‘Pack’.

Notes
97.

Cf. Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide de l'enquête de terrain, Paris, La Découverte, coll. "Repères", 1998 (1ère édition : 1997) mais aussi BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, op. cit.

98.

Cf. Stéphane BEAUD, "L'usage de l'entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l'entretien ethnographique", Politix, n°35, 1996, pp.226-257, p.236. C’est pourquoi nous nous efforçons, avant la retranscription proprement dite de nos entretiens, de fournir de nombreuses informations sur les interviewés pour partie obtenues dans des sources écrites (âge, profession, parcours scolaire, religion, fréquentation de clubs, encartage politique…), mais aussi de décrire le contexte de la rencontre et son déroulement (lieu de l’échange, attitude de l’interviewé, évolution de la relation au cours de la discussion ou encore d’une rencontre sur l’autre quand plusieurs entretiens ont été réalisés avec une même personne).

99.

Cf. Michel PINÇON et Monique PINÇON-CHARLOT, Voyage en grande bourgeoisie, Journal d'enquête, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p.63. William FOOTE WHYTE souligne également l’importance des discussions, des échanges parfois vifs entre les jeunes qu’il observe, qui lui permettent de comprendre comment fonctionne l’apprentissage des normes dans un quartier italo-américain, cf. William FOOTE WHYTE, Street corner society. La structure sociale d'un quartier italo-américain, Paris, La Découverte, 1995 (1ère édition américaine : 1943, University of Chicago Press).

100.

Toujours d’après Stéphane BEAUD et Florence WEBER, l’interconnaissance n’est pas alors synonyme d’harmonie, ni de connaissance visuelle. Cela autorise à appliquer des méthodes d’enquête de type ethnographique pour l’étude de ce que les acteurs lyonnais rencontrés appellent la « gouvernance », même si cette dernière recouvre un ensemble varié de types de relations plus ou moins étroites et plus ou moins institutionnelles entre milieux économiques locaux et institutions publiques locales (Ibid., p.296).

101.

Réunion du ‘Pack’, observation réalisée le 31 mars 2003.

102.

Les quelques entretiens retranscrits intégrés au volume d’annexes de ce travail donnent un aperçu des difficultés que nous a posées la réalisation de cette enquête. Nous avons en effet été amenée à rencontrer avant tout des « décideurs », notamment des chefs d’entreprise face auxquels nous devions nous « imposer » et, souvent, expliciter l’intérêt d’un travail de recherche en sciences sociales (cf. Hélène CHAMBOREDON, Fabienne PAVIS, Muriel SURDEZ et Laurent WILLEMEZ, "S'imposer aux imposants. À propos de quelques obstacles rencontrés par des sociologues débutants dans la pratique et l'usage de l'entretien", Genèses, n°16, juin 1994, pp.114-132).

103.

Cf. Fabien DESAGE, Le consensus communautaire contre l'intégration intercommunale. Séquences et dynamiques d'institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille (1964-2003), Thèse pour l'obtention du doctorat de science politique, Lille, Université Lille I / IEP de Lille, octobre 2005 (notamment l’introduction).

104.

L’immersion s’est ainsi notamment avérée décisive car elle nous a permis de circuler très librement au sein des milieux que nous enquêtions. Elle nous a, en outre, permis d’établir des relations régulières puis étroites avec deux personnes ressources (l’une au sein de la communauté urbaine et l’autre au sein du ‘Pack’), qui nous ont notamment aidée à nous orienter au sein des structures locales représentant les intérêts des acteurs des milieux enquêtés ou dans lesquelles ces acteurs travaillent.

105.

Si les raisons de cette obligation ne nous ont jamais été données, nous avons identifié trois facteurs pouvant à nos yeux l’expliquer. En premier lieu, l’organisateur du ‘Pack’ cherche des jeunes à recruter pour intégrer l’association Émergences au moment où nous lui demandons de suivre les activités de « son » groupe. Ensuite, à plusieurs reprises au cours de la réalisation de notre enquête, il nous demande : « où en est ton histoire du ‘Pack’ en train de se faire ? ». Il nous demande d’ailleurs, en outre, d’intervenir lors de l’inauguration prévue des bâtiments du ‘Pack’ (finalement jamais acquis), pour présenter les étapes de cette mobilisation. Enfin, le fait que nous soyons membre de l’association Émergences évite à cet organisateur d’avoir à nous présenter et à justifier notre présence aux réunions de cette association mais aussi de celles du ‘Pack’, dans un contexte où certains chefs d’entreprise qu’il tente de mobiliser se montrent parfois un peu suspicieux face à ces deux dynamiques.

106.

Expressions utilisées par les membres du ‘Pack’ et de l’association Émergences.

107.

De très nombreux membres du ‘Pack’ et d’Émergences ne savaient pas que nous réalisions une recherche portant, en partie au moins, sur leurs groupes. Cela a facilité notre intégration dans ce milieu d’enquête mais nous a également posé des problèmes d’ordre éthique concernant les relations que nous avons établies avec ces enquêtés (cf. Infra).

108.

Nous avons mené une enquête de type ethnographique. Néanmoins le regard que nous portons sur les acteurs de l’action publique urbaine (cf. Infra) n’épouse pas celui que certains ethnographes portent sur les acteurs sociaux : « (…) cela n’a aucun sens de penser que nos enquêtés sont des témoins. D’abord, on évite toujours les entretiens dits retrospectifs. On a très peu confiance dans la façon dont les gens peuvent raconter le passé et, à la limite, cela ne nous intéresse pas ». (cf. Florence DESCAMPS, Florence WEBER et Bertrand MULLER, "Archives orales et entretiens ethnographiques", Genèses, n°61, mars 2006, pp.93-109, p.100). Nous accordons, au contraire, pour notre part, une grande importance au contenu des discours recueillis au cours des entretiens. Nous veillons simplement à contextualiser les discours que nous avons recueillis : à saisir le poids du contexte de la rencontre sur le contenu de ces discours, et à identifier les éléments de la trajectoire de l’enquêté rencontré qui l’amènent à tenir ces discours, mais aussi à vérifier que l’enquêté rencontré n’est pas le seul à tenir de tels discours.

109.

Voir la liste des sources mobilisées dans le cadre de cette recherche présentée à la fin de ce volume de texte et, pour une présentation détaillée de certaines des sources orales, voir le volume d’annexes de ce travail.

110.

Deux étudiantes dont nous avons encadré le Travail de Fin d’Études à l’ENTPE, Anne BIARNEIX et Bénédicte GUÉRINEL, ont rencontré 6 de ces personnes. Leurs recherches portaient en effet respectivement sur l’Aderly et ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’. Nous tenons à les remercier de nous avoir donné accès à l’intégralité de leur matériau.

111.

Voir la liste des sources mobilisées dans le cadre de cette recherche présentée à la fin de ce volume de texte.

112.

Pour une présentation des travaux sur la mise en place de l’intercommunalité en France, cf. DESAGE, Le consensus communautaire contre l'intégration intercommunale. Séquences et dynamiques d'institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille (1964-2003), op. cit.

113.

Voir le volume d’annexes de ce travail.

114.

Cf. PINÇON et PINÇON-CHARLOT, Voyage en grande bourgeoisie, Journal d'enquête, op. cit.

115.

Nous serons amenée à faire référence aux travaux de Laurent MATEJKO lorsque nous évoquerons les liens entre patronats lyonnais et lillois, notamment dans le cadre de notre analyse du ‘Pack’.

116.

Cf. Philippe BONGRAND et Pascale LABORIER, "L'entretien dans l'analyse des politiques publiques : un impensé méthodologique?", Revue Française de Science Politique, vol.55, n°1, février 2005, pp.73-111.

117.

Voir la liste des sources mobilisées dans le cadre de cette recherche présentée à la fin de ce volume de texte et, pour une présentation détaillée de certaines des sources écrites, voir le volume d’annexes de ce travail.

118.

Cf. BEAUD et WEBER, Guide de l'enquête de terrain, op. cit., p.293.

119.

Cf. Jean-Michel EYMERI, "Les gardiens de l'État. Une sociologie des énarques de ministère", dans Lucien SFEZ (dir.), Science politique et interdisciplinarité. Conférences (1998-2000), Paris, Publications de la Sorbonne, coll. "Série science politique", 2002, pp.161-174, p.172.

120.

Ou encore d’anecdotes (cf. Carlo GINZBURG, "Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice", Le Débat, novembre 1980, pp.3-44).

121.

Observation d’une réunion du groupe de l’association Émergences dont nous étions membre réalisée le 14 septembre 2004.

122.

Cf. BEAUD et WEBER, Guide de l'enquête de terrain, op. cit., p.307.