Conclusion du chapitre I

Dans les années 1990, à Lyon, émerge une série de discours sur la « gouvernance économique métropolitaine ». Dans un contexte de remise en cause des interventions étatiques, certains acteurs lyonnais érigent alors progressivement cette « gouvernance économique métropolitaine » en modèle de régulation de l’action publique locale devant permettre de résoudre le « problème » de gouvernabilité de Lyon.

L’entrée via INTERACT nous a permis de commencer à appréhender les voies de l’adhésion de certains acteurs lyonnais à ce récit de la « gouvernance ». Cette adhésion apparaît clairement, au vu de l’histoire, de la constitution et du fonctionnement de ce réseau d’agglomérations européennes, déjà, comme le reflet d’un projet de réforme de l’action publique locale. Cette entrée permet ainsi de souligner que les acteurs locaux dont nous étudions les mobilisations participent à faire évoluer les cadres cognitifs et les pratiques de l’action publique locale. Ces acteurs locaux apparaissent dès lors moins passifs, moins transparents que ne le suggèrent certains travaux sur l’émergence ou le renforcement de structures de gouvernement au niveau local 443 . Ils affirment, certes, prendre acte de transformations globales (tant économiques qu’institutionnelles) qui s’accompagneraient d’une évolution inéluctable, et déjà observable, des modes de gouvernement vers la « gouvernance ». Pourtant, ils appellent aussi une telle évolution de leurs vœux. L’entrée sur notre terrain d’enquête via INTERACT nous a, en outre, permis de commencer à appréhender l’émergence de la « gouvernance économique métropolitaine » comme enjeu et comme projet à Lyon de manière inductive, sans choisir a priori de grille de lecture rationnelle, institutionnelle ou sociologique 444 . Cette posture inductive invite à tenir compte du poids du système productif lyonnais, tel qu’il évolue et tel qu’il est perçu, mais aussi du poids de l’histoire des acteurs locaux organisés en groupes structurés autour d’institutions locales ainsi que du poids de l’histoire de leurs coopérations, sur la mise à l’agenda politique lyonnais de la « gouvernance économique métropolitaine » 445 .

L’effort de contextualisation, que nous avons fait dans l’ensemble de ce premier chapitre, est ainsi fondamental pour situer les dispositifs que nous étudions 446 . Il permet, d’abord, de rendre compte des interconnexions entre scènes européenne, nationale et intercommunale lyonnaise. L’emploi articulé des termes « gouvernance », « métropole » et « développement économique » par les acteurs locaux rencontrés au cours de cette étude n’apparaît pas ici comme le fruit d’un processus d’imposition qui serait subi par une scène intercommunale passive, mais bien comme le fruit d’interactions entre différents niveaux de gouvernement qui connaissent des évolutions parallèles de leurs discours (dont certaines s’opèrent néanmoins en premier lieu au niveau des agglomérations). L’analyse des représentations, des intérêts et des trajectoires des acteurs locaux recourant au terme « gouvernance » devient dès lors primordiale pour comprendre le processus de réforme ici étudié.

Cet effort de contextualisation est, également, la première étape nécessaire pour ne pas prendre au mot les évolutions que les termes « gouvernance », « développement économique » et « métropole » prétendent décrire et que les dispositifs dits de « gouvernance économique métropolitaine » prétendent illustrer 447 . Insister sur l’importance des changements subis par l’action publique locale notamment observables depuis le début des années 1990, doit en effet, à leurs yeux, permettre aux acteurs lyonnais de légitimer l’action publique locale telle qu’ils la produisent aujourd’hui. Cette légitimation se fonde avant tout sur une caricature du fonctionnement de l’État avant la décentralisation et la construction européenne, selon laquelle cet État dit « traditionnel », unifié et naturalisé, aurait traditionnellement agi comme un seul homme et de manière autoritaire. Les acteurs locaux qui se réfèrent à la thématique de la « gouvernance économique métropolitaine » cherchent alors en premier lieu à distinguer l’action publique locale des interventions étatiques qu’ils considèrent comme inefficaces, notamment au vu des évolutions du contexte économique local telles qu’ils les perçoivent.

Dans ce contexte, les coopérations entre agents des collectivités locales et des services déconcentrés de l’État, d’une part, et chefs d’entreprises et leurs représentants locaux, d’autre part, sont anciennes. Pourtant, de « nouvelles » scènes de coopération entre certains de ces groupes d’acteurs locaux sont précisément créées ou au moins affichées 448 . Pour justifier la mise en place de ces « nouvelles » scènes, les acteurs locaux rencontrés invoquent, avant tout, l’incapacité de l’État à intervenir en faveur du « développement économique » local ainsi que l’obligation de parer à une fragmentation des capacités d’action au niveau local. Néanmoins, cette fragmentation pourrait précisément se trouver paradoxalement encore davantage accrue par la création de « nouvelles » scènes de coopération alors qu’il en existe déjà. En outre, ces « nouvelles » scènes sont lancées puis animées par une seule institution locale : la communauté urbaine de Lyon. Reste ainsi à tenter de comprendre quels sont les groupes d’acteurs qui se lancent progressivement dans un pari aussi risqué et comment s’opère progressivement l’agrégation de leurs objectifs et de leurs intérêts notamment liés à l’histoire de leurs institutions respectives de rattachement. Dans le deuxième chapitre de ce travail, nous verrons que la « métropole » existe avant tout par le biais des injonctions de plus en plus nombreuses à la mobilisation d’acteurs dits publics et privés qu’elle suscite. Nous constaterons ainsi l’émergence d’un impératif métropolitain qui associe désormais clairement et étroitement « métropolisation », « développement économique » et « gouvernance ». La « métropolisation » n’a pas pourtant pas toujours été associée à une manière spécifique de gouverner, encore moins à la mise en place de coopérations entre acteurs publics et privés.

Notes
443.

Cf. notamment BRENNER, New state spaces. Urban Governance and the Rescaling of Statehood, op. cit.

444.

Un processus de réforme peut, en effet, être le fruit d’une conjonction aléatoire entre des flux indépendants de problèmes, de solutions et de groupes d’acteurs (cf. BEZES, Gouverner l'Administration : une sociologie des politiques de la réforme administrative en France (1962-1997), op. cit.). De manière à comprendre quels processus conduisent les acteurs lyonnais engagés dans ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et dans le ‘Pack’ à adhérer à de tels projets de réforme de l’action publique locale, nous croisons ainsi à la fois des éléments de contexte (notamment économique), des facteurs cognitifs, des facteurs sociologiques et des facteurs institutionnels.

445.

Nous prenons bien en compte à la fois des dynamiques exogènes et des dynamiques endogènes de changement permettant de rendre compte des transformations des discours et des pratiques des acteurs de l’action publique lyonnaise. Nous prenons ainsi en compte à la fois les résultats de lectures fonctionnalistes (cf. Jean-Louis QUERMONNE, "Vers un régionalisme 'fonctionnel' ?", Revue Française de Science Politique, vol.13, n°4, 1963, pp.849-876) et les résultats de lectures constructivistes de ces transformations (cf. Pierre BOURDIEU, "L'identité et la représentation. Éléments pour une réflexion critique sur l'idée de région", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°35, 1980, pp.63-72).

446.

De manière à situer historiquement et sociologiquement le processus de réforme que nous étudions (cf. BEZES, Gouverner l'Administration : une sociologie des politiques de la réforme administrative en France (1962-1997), op. cit.).

447.

Piège qu’un effort de mise en perspective historique permet nous semble-t-il d’éviter (cf. Yannis PAPADOPOULOS, "Gouvernance et transformations de l'action publique : quelques notes sur l'apport d'une perspective de sociologie historique", dans Pascale LABORIER et Danny TROM (dir.), Historicités de l'action publique, Paris, PUF, coll. "CURAPP/GSPM", 2003, pp.119-135).

448.

Soit à côté, soit en remplacement de celles déjà existantes, voir Partie II.