b / Des chefs d’entreprise qui se mobilisent à titre individuel pour améliorer l’image de Lyon

Depuis quelques années, une autre mobilisation de chefs d’entreprise lyonnais en faveur du rayonnement international de Lyon fondée sur un autre type de « gouvernance », a vu le jour : le ‘Pack’. Cette mobilisation suivant une même ambition générale, se veut distincte de celle des représentants patronaux critiquée par son organisateur dans la citation suivante :

‘« À la fin de l’année dernière, je me suis dit [concernant ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise] : ils filent un mauvais coton parce que c’est tellement complexe comme fonctionnement avec tellement d’étages et puis il y a tellement de sujets que c’est l’usine à gaz. [Mais] à mon sens c’est excellent qu’il y ait un conseil de gouvernance de l’agglomération dans lequel on trouve côte à côté Gérard Collomb, Bertrand Millet, Jean Agnès, François Turcas et Chambre des métiers ! C’est excellent. [Simplement] c’est une gouvernance institutionnelle. Mais il vaut mieux qu’il y en ait une ! Toute initiative fédérant les systèmes institutionnels n’est pas à jeter ! Maintenant, c’est le mode de fonctionnement qui fait qu’avec les meilleures volontés du monde, il va y avoir les réunions, les comités, les sous-comités, etc. Et puis on va faire une commission. Qui on va mettre dans la commission ? Ceux qui n’en seront pas ne seront pas contents… [… Nous, on a] repéré plein d’individus [et on leur a] proposé de se trouver dans un ensemble flou [… On leur dit] : non seulement vous vous retrouvez dans un ensemble flou, dans un lieu convivial et agréable, mais vous avez une sacrée mission, celle de vous retrouver pour essayer de définir une vision de ce que peut devenir l’agglomération […] à 15/20 ans » 502 .’

Dès la fin de l’automne 2001, Gérard Collomb charge ainsi la communauté urbaine de Lyon de mettre en place un groupe, pour réunir des acteurs locaux, dont des chefs d’entreprise, sans passer par les instances patronales 503 . Nous sommes alors face à une situation de mimétisme d’une alternative lilloise à l’établissement de relations entre acteurs dits publics et privés sur la base d’échanges entre instances patronales et institutions publiques. Il s’agit là, en quelque sorte, d’une tentative de mimétisme anti-institutionnel : le ‘Pack’, à l’image du ‘Comité Grand Lille’, prétend réunir des acteurs sur une base individuelle dans un cadre informel, c’est-à-dire en dehors de toute structure existante 504 . Le ‘Comité Grand Lille’, dont le ‘Pack’ s’inspire, existe depuis une dizaine d’années. Il réunit des acteurs locaux aux statuts différents mais il est majoritairement constitué de chefs d’entreprise réunis à titre individuel. Il dispose aujourd’hui de bâtiments et de moyens financiers 505 . Bien que finalement assez différentes du fait de leur localisation, de leur durée de vie mais aussi de leur taille et de leurs moyens, les deux structures partagent une même ambition : mettre en place une « gouvernance économique métropolitaine » permettant de favoriser le rayonnement international de Lille et de Lyon. Si le ‘Comité Grand Lille’ et le ‘Pack’ sont lancés dans deux régions où les chefs d’entreprise sont réputés puissants, la situation lilloise diffère notamment de la situation lyonnaise du fait de l’existence d’une Union patronale étroitement associée à la démarche. Ainsi, si le ‘Comité Grand Lille’ réunit des chefs d’entreprise à titre individuel, les instances patronales le soutiennent : « en effet, l’Union patronale du Nord est un organisme unique en France qui réalise durant les années quatre-vingt la réunion des branches professionnelles de toute la région en une Maison des Professions » 506 . Les relations entre le ‘Pack’ et les instances patronales lyonnaises sont, quant à elles, beaucoup plus complexes 507 .

L’ambition du ‘Pack’ et du ‘Comité Grand Lille’ se fonde, elle aussi, sur une lecture objectivante de la « métropolisation ». Les deux groupes font référence à une même étude commandée à un géographe par les collectivités locales et les représentants patronaux du Nord, qui définit les « métropoles » mondiales selon dix caractéristiques au sein desquelles on retrouve la population, l’accessibilité, les grandes entreprises… ainsi que l’image de la ville 508 . Le ‘Comité Grand Lille’ réunit officiellement plus de cinq cents personnes. Il affirme être à l’origine de la candidature de Lille pour les jeux olympiques mais aussi pour devenir capitale européenne de la culture. L’impératif métropolitain n’est ainsi pas propre aux acteurs lyonnais. Certaines de ses traductions se retrouvent dans d’autres agglomérations telles que Lille ou encore Paris, notamment autour du soutien de nombreux acteurs locaux aux candidatures pour accueillir les Jeux Olympiques dans ces deux agglomérations 509 . Les liens étroits entre ces mobilisations lilloise et lyonnaise sont la conséquence directe du choix de Gérard Collomb de charger un acteur très impliqué dans la mise en place du ‘Comité Grand Lille’, de lancer une dynamique identique à Lyon 510 . Maxence Brachet a ainsi progressivement réuni plus de quatre-vingt personnes dans le cadre du ‘Pack’.

Maxence Brachet, Lyonnais d’origine de 48 ans, a fait des études de droit public puis de gestion du personnel à Lyon. Il a réalisé une grande partie de sa carrière au sein du CNPF à Blois puis à Lille où il a participé à la mise en place puis à l’animation du ‘Comité Grand Lille’ aux côtés du chef d’entreprise Bruno Bonduelle. Marié à une Lyonnaise, il a quitté le Nord en 2000 pour un emploi à Lyon au sein de l’entreprise Decathlon, avant d’être recruté par la communauté urbaine de Lyon pour mettre en place le ‘Pack’. Issu d’une famille d’entrepreneurs, il est souvent présenté comme ayant beaucoup d’entregent et appréciant l’atmosphère des salons ou clubs lyonnais. Il s’est beaucoup investi dans le monde associatif patronal (dans des structures telles que les associations de formation continue). Il n’a néanmoins jamais travaillé pour le Medef Rhône 511 .

Dans un contexte national où l’entreprise est devenue un acteur légitime du « développement économique » dès le début des années 1980 512 , ce groupe entend formuler des projets d’action publique visant à améliorer l’image de Lyon. L’objectif du ‘Pack’ est de pouvoir peser sur les décisions locales concernant la définition des options ou voies choisies par les autorités locales pour faire de Lyon une grande « métropole » européenne. La « gouvernance » que ses membres se proposent de mettre en place est néanmoins fondée sur le principe suivant : « La richesse institutionnelle tue la richesse » 513 . Dans un mémoire rédigé suite à un stage de sept mois au sein du ‘Pack’, nous retrouvons, résumées, les ambiguïtés de la définition que les membres de ce groupe donnent de la « gouvernance » :

‘« 2.1 L’émergence du pouvoir de la société civile : 2.1.1 Vers une nouvelle gouvernance urbaine : […] dans la perspective de la gouvernance, le projet est abordé comme un instrument de coordination et de mobilisation. Il consiste à associer des partenaires à l’action publique urbaine pour faire de la ville un acteur collectif. Le projet d’agglomération devient donc avant tout l’affaire de la société lyonnaise. Le registre d’action pour internationaliser l’agglomération n’est plus seulement d’ordre d’aménagement territorial mais devient un projet sociétal. [… Le Pack est] une tentative de mise en place d’un groupe de réflexion et d’action rassemblant un grand nombre de décideurs rhônalpins, motivés par leur envie de dynamiser l’agglomération. […] Maxence Brachet essaie de faire émerger [le] même type de démarche [que le Comité Grand Lille] au sein des acteurs rhônalpins. Cependant son intention n’est pas du tout de transposer une recette qui marche. Car le contexte lyonnais est totalement différent du contexte lillois. En effet, l’agglomération lyonnaise ne connaît pas de difficultés majeures, étant la seconde région la plus riche de France après l’Île de France. Ce type d’initiative n’est donc pas une réaction face à une situation qui se dégrade. En revanche, cela peut être interprété comme une prise de conscience de la nécessité de rebondir et de réagir face à des illusions trop ancrées dans cette seconde agglomération de France ‘trop’ prospère. Il s’agit donc plus d’une réaction d’‘amour propre’ que de survie. Mais ces deux sources de motivation poursuivent cependant le même but : comment faire exister son agglomération à l’échelle européenne ? Quelle démarche mobilisatrice pour faire de Lyon une des 10 premières métropoles au monde ? Maxence Brachet vous répondrait : ‘Le développement par la notoriété, la notoriété par l’image’ » 514 .’

Certains élus et agents de la communauté urbaine sont, malgré tout, eux aussi porteurs de discours et initiateurs de dispositifs qui rappellent la « nécessité » de mettre en place de « nouvelles » coopérations entre acteurs locaux pour accroître le rayonnement international de Lyon. A contrario de ce que souhaitent mettre en place les membres du ‘Pack’, ces discours sont centrés sur la définition du rôle que les élus et les agents de la communauté urbaine peuvent, voire doivent, jouer au sein de ces configurations d’acteurs locaux. En outre, ce sont eux qui labellisent ces coopérations : « gouvernance économique métropolitaine ».

Notes
502.

Entretiens et discussions avec l’enquêté n°10 : l’organisateur du ‘Pack’ de 2001 à 2005, agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA de 2001 à 2004. Les représentants officiels des chefs d’entreprise locaux ne peuvent donc pas prétendre représenter l’intégralité des points de vue de ces derniers, dont certains tentent de mettre en place des mobilisations autonomes.

503.

Cette décision conduit à réitérer une tentative opérée sous le mandat de Raymond Barre. Le ‘Lyen’, alors mis en place autour de quelques chefs d’entreprise locaux sollicités individuellement, n’a néanmoins vécu que quelques mois.

504.

Le mimétisme est une des formes d’isomorphisme institutionnel identifiées par les néo-institutionnalistes, aux côtés de la coercition et de la norme, cf. Walter POWELL et Paul DI MAGGIO, The new institutionalism in organizational analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991.

505.

Constitués de fonds propres de cette structure, qui loue des salles et vend des services aux entreprises locales, ainsi que de cotisations et de dons de ses membres. Nous ne connaissons pas le montant total de ces fonds que les organisateurs du ‘Comité Grand Lille’ n’affichent pas publiquement.

506.

Cf. MATEJKO, "Quand le patronat pense le territoire. Le Comité Grand Lille et la pensée métropole", op. cit., p.6 (notre pagination).

507.

Voir Partie II.

508.

Charles GACHELIN, "Métropolisation. Dynamique de métropolisation. Hypothèses pour la métropole lilloise", Rapport pour l'Agence de développement et d'urbanisme, Lille, 1992. Le ‘Comité Grand Lille’ a fait l’objet d’une enquête qui souligne précisément les références de ses membres à cette étude de Charles GACHELIN, cf. MATEJKO, ibid. et Laurent MATEJKO, Mobilisations patronales et métropolisation à Lille et Marseille, Mémoire d'étape de thèse de l'École Nationale Supérieure des Sciences de l'Information et des Bibliothèques, Lille, CERAPS, janvier 2005.

509.

Voir Chapitre III.

510.

Entretiens et discussions avec l’enquêté n°10 : l’organisateur du ‘Pack’ de 2001 à 2005, agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA de 2001 à 2004 et Entretiens et discussions avec l’enquêté n°5 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA, directeur de service de 1998 à 2004. Gérard Collomb paraît avoir joué un rôle d’initiateur du ‘Pack’. S’il a effectivement favorisé la mise en place de ce dernier, il a décidé de le lancer à la suite d’une rencontre avec celui qui structure ensuite ce groupe, Maxence Brachet, qui l’aurait alors convaincu de l’intérêt d’une telle mobilisation (voir Chapitre IV).

511.

Entretiens et discussions avec l’enquêté n°10 : l’organisateur du ‘Pack’ de 2001 à 2005, agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA de 2001 à 2004. Ces éléments de présentation sont également tirés d’articles de presse (notamment : Jean-François POLO et Marie-Annick DEPAGNEUX, « Les hommes et les femmes qui font vivre les réseaux », Les Échos, 7 mai 2003).

512.

Cf. LE GALÈS, Politique urbaine et développement local, Une comparaison franco-britannique, op. cit.

513.

Intervention lors d’une réunion du ‘Pack’, observation réalisée le 26 janvier 2004.

514.

Ce mémoire de stage nous a été transmis par Maxence Brachet lui-même car il avait relu ce travail avant qu’il ne soit rendu et estimait qu’il donnait une idée précise des objectifs du ‘Pack’ (Charlotte ROSIER, Lyon, seconde agglomération française mais quelle vocation internationale ?, Mémoire de DESS en urbanisme, aménagement et développement local, Paris, Institut d'Études Politiques de Paris, juin 2002, pp. 36 et suivantes).