1/ 1992 : la décentralisation et le transfert de la compétence économique

Les discours des élus et des agents de la communauté urbaine sur la « gouvernance », entendent rendre compte d’une réalité et se veulent aussi, paradoxalement, programmatiques. Ils s’intègrent dans l’histoire de la communauté urbaine telle qu’elle est construite en interne. Cette histoire de la transformation progressive d’un centre urbain en une « métropole » souligne trois périodes d’intégration politique progressive. Celle-ci se caractériserait par l’extension des domaines pris en charge par la structure intercommunale et, parallèlement, par une évolution de ses modes d’action, notamment de ses relations avec les autres institutions et acteurs locaux :

‘« […] la communauté urbaine, quand elle est créée [en] 1966, avait pour but de créer une intercommunalité de gestion, de simple rationalisation des dépenses des communes […] autour de missions de prestation de services à la population […] : l’eau, la propreté, la voirie, etc.[…] Puis il y a eu un changement qui s’est instauré avec les lois de décentralisation en 1982/1985 : la période Deferre. Là, on est passé à une notion de compétence territoriale […] qui disait : ben, finalement, le territoire il faut le structurer […]. On est passé à un début de ce que je qualifierais d’intercommunalité […] de planification. […] C’est là qu’on a eu les premiers plans d’occupation des sols. […] C’est ce qui a donné naissance, à ce moment-là, aux services de l’urbanisme. [Puis] la loi ATR de 1992 [a donné] aux structures intercommunales […] une place dans la façon de […] proposer une action qui venait suppléer un petit peu l’absence d’action de l’État du fait de la décentralisation. Dans cette logique-là s’est inscrite la compétence de développement économique […]. Toutes ces lois me font dire qu’on est passé progressivement à une logique d’intercommunalité on va dire de…, de… gouvernance ! […] On ne se pose plus la question de soi par rapport aux autres ou contre les autres, mais de soi avec les autres : qu’est-ce qu’on fait avec les autres ? [Cela] pose la question d’un territoire central : la communauté urbaine de Lyon par rapport à des territoires périphériques […] » 559 .’

Ces « trois âges » ou ces « trois strates » 560 de la communauté urbaine font de cette structure une institution locale dotée d’une histoire mettant en scène sa grande capacité d’innovation, notamment en termes de modes d’action. Pour dessiner ces « trois âges », élus et agents se réfèrent d’abord aux réformes législatives opérées par l’État censées être les marqueurs de cette évolution. Une plongée dans les archives de la communauté urbaine permet pourtant de nuancer ce rôle réformateur attribué à l’État. Élus et agents de la communauté urbaine font également référence, en ce qui concerne le dernier « âge » de la communauté urbaine, au contexte de concurrence croissante entre institutions et acteurs locaux. Le croisement de sources archivistiques et orales permet alors de saisir un nouvel élément important du travail de construction, par les acteurs locaux, de discours sur la « gouvernance ». Précisément fondés sur le constat d’une concurrence entre institutions et acteurs locaux présentée comme une contrainte forte de toute forme d’action publique locale, ces discours doivent permettre de légitimer les interventions de la communauté urbaine dans les politiques locales en soulignant qu’il existe un mode de gouvernement spécifique de la « métropole » typiquement intercommunal, novateur mais aussi rationnel et efficace. Le recours à cette thématique de la « gouvernance » dans le domaine économique s’opère alors grâce à la constitution d’une expertise économique intercommunale sur la base de la mobilisation d’experts « scientifiques », « techniques » puis « expérimentés ».

Dans les années 1990, alors que les institutions et organismes locaux intervenant dans le domaine économique sont déjà nombreux 561 , la communauté urbaine tente progressivement de développer et de faire reconnaître ses propres actions économiques. Celles-ci deviennent même la priorité affichée de la communauté urbaine de Lyon et la DAEI devient ainsi « la cheville ouvrière de l’internationalisation » de l’agglomération 562 . Pourtant, la loi de 1992 impulse et entérine en même temps la mise en place d’une action économique à l’échelle de la communauté urbaine.

Notes
559.

Entretiens avec l’enquêté n°6 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « veille économique ».

560.

Expressions fréquemment reprises par de nombreux élus et agents de la communauté urbaine qui les attribuent à Raymond Barre.

561.

Cf. Pierre KUKAWKA et Dominique LORRAIN, "Quinze municipalités et l'économie", Revue d'Economie Régionale et Urbaine, n°2, 1989, pp.283-306. Voir également Chapitre I.

562.

Cf. GUÉRANGER et JOUVE, "De l'urbanisme à la maïeutique : permanence et recomposition des politiques urbaines à Lyon", op. cit.