a / Le recours à des « technocrates experts »

Lorsque le bureau intercommunal décide, en janvier 1993, de créer la DAEI (Délégation des affaires économiques et internationales) 604 , la volonté des élus est d’institutionnaliser une expertise économique intercommunale, pour faire de la communauté urbaine de Lyon un acteur important soutenant l’activité économique et l’emploi 605 . Or ils appuient pour cela leurs discussions sur des « Notes de conjoncture économique » 606 produites par l’OPALE (Observatoire partenarial lyonnais en économie) de manière à définir le cadre de cette action économique intercommunale. Mis en place au sein de l’agence d’urbanisme, cet observatoire réunit des économistes chargés de trier, présenter et analyser les données de l’INSEE concernant l’aire urbaine de Lyon. C’est alors par le biais de l’OPALE que se constitue une expertise économique intercommunale. Les élus et les agents intercommunaux tentent d’appliquer, au niveau local, des instruments de connaissance et des méthodes d’action antérieurement déployés par l’État. Ils fondent leurs interventions dans le domaine économique sur des données produites par des « technocrates experts » : les membres de l’OPALE 607 et, indirectement, les agents de l’INSEE.

Si l’officialisation de l’OPALE date d’avril 2000, sa création remonte quant à elle à 1992, suite à une volonté des membres de la RUL de disposer d’un panorama des activités économiques locales 608 . Dès l’origine, cet observatoire est néanmoins situé au sein de l’agence d’urbanisme, fondé sur une partenariat avec l’INSEE et notamment financé par la communauté urbaine de Lyon. L’OPALE participe même, finalement 609 , à la légitimation de l’intervention de la communauté urbaine. Cet observatoire produit des données sur l'économie pour les élus et les agents de la communauté urbaine de Lyon. L’OPALE met par là-même fin au monopole d’expertise de la CCIL sur l’agglomération, comme le souligne la citation suivante :

‘« [Le vice-président « développement économique » de la communauté urbaine] : S’il y a des analyses spécifiques à produire, demandez-les à [l’OPALE]. La bonne information est une condition de réussite de cet immense travail que nous menons ensemble […]. Des approfondissements de connaissance s’avèrent nécessaires : * Sur le dynamisme des filières ou secteurs : les indicateurs tels que la valeur ajoutée, l’investissement par salarié ne sont pas disponibles aujourd’hui. * Sur les mouvements d’entreprise (création, disparition). * Sur les attentes des entreprises en matière d’appui. * Sur les pratiques en matière de développement technologique (transfert recherche-industrie) » 610 .’

La communauté urbaine sort progressivement de la situation paradoxale dans laquelle elle se trouvait. Jusqu’au milieu des années 1990 son intervention dans le domaine économique est restée largement « incantatoire » 611 car elle disposait de ressources budgétaires et de moyens juridiques importants, mais l’unique expertise concernant l’économie locale était détenue par la CCIL.

Malgré tout, les données analysées par les agents de l’OPALE sont interprétées par les élus et les agents de la communauté urbaine de Lyon, comme le signe que l’économie lyonnaise entre, en 1994, dans une période de crise durable qui remet en cause les méthodes dites classiques de l’intervention publique dans ce domaine 612 . Élus et agents de la communauté urbaine s’attachent dès lors à mettre en place un moyen d’action qui se veut spécifique, une sorte de marque de fabrique « Grand Lyon » censée légitimer les interventions de la DAEI. Progressivement, à ce qui relevait d’une tentative de mimétisme ou encore de percolation institutionnelle s’ajoute l’appel à de « nouveaux » acteurs non-institutionnels. La lecture largement interprétative de la laconique loi ATR faite par les membres du bureau communautaire sert alors de base de réflexion pour la définition de ce que peut être l’action de la communauté urbaine dans le domaine économique. Le bureau décide, en effet :

‘« [la] création d’une DAEI ayant pour mission, conformément à la loi ATR, d’être à l’écoute des entreprises et de leurs demandes, de coordonner les acteurs et de mettre en ordre les actions de la communauté urbaine » 613 .’

Dans ce contexte, la communauté urbaine est présentée comme placée au centre d’un système d’acteurs locaux baptisé progressivement « gouvernance ». Cette manière de présenter la communauté urbaine est notamment liée à une évolution, en tout premier lieu, du type d’expertise « académique » ou « scientifique » qu’élus et agents de la communauté urbaine mobilisent à partir de la fin des années 1990.

Notes
604.

ACU 1650 W 001, carton intitulé : Réunions du bureau communautaire 1993/1994.

605.

Idem.

606.

ACU 2204 W OO1, carton intitulé : Petits déjeuners économiques 1993/1997, et AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique.

607.

L’équipe de l’OPALE rassemble environ cinq personnes de manière constante. Celles-ci sont recrutées pour leurs qualifications (un diplôme d’ingénieur ou encore un diplôme de Master recherche ou professionnel) dans les domaines des sciences économiques et des mathématiques, ainsi que pour leur maîtrise des outils informatiques (Entretiens avec l’enquêté n°20 : un chargé de mission « OPALE » au sein de l’agence d’urbanisme de Lyon).

608.

Entretiens avec l’enquêté n°20 : un chargé de mission « OPALE » au sein de l’agence d’urbanisme de Lyon.

609.

Même si cet observatoire a été mis en place dans le cadre de la RUL dont le territoire dépasse très largement celui de la communauté urbaine de Lyon (voir Chapitre I).

610.

AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique, « Compte rendu de la réunion du 13 novembre 1997 », pp.7 et 12.

611.

Cf. JOUVE, "Chambre de commerce et d'industrie et développement local : le cas de Lyon", op. cit.

612.

Notamment d’après les archives suivantes : ACU 1650 W 002, carton intitulé : Réunions du bureau communautaire 1994/1995.

613.

ACU 1650 W 001, carton intitulé : Réunions du bureau communautaire 1993/1994, « CR du bureau du 11 janvier 1993 relevé de décision : suivi des décisions du 21 décembre 1992 ».