Une série d’objectifs plus précis bien que moins explicites

Les interventions de la DAEI se caractérisent ainsi également par une volonté très forte de rationaliser les dépenses publiques. La mise en place de l’ensemble des dispositifs que nous étudions est pensée comme un moyen de rationaliser ces dernières :

‘« Chercher à rationaliser les investissements publics, tel est l’un des objectifs du SDE […]. Par rationalisation, j’entends ici une mise en ordre qui s’efforce de donner du sens, de l’efficacité, un caractère opérationnel et surtout imaginatif aux décisions de la collectivité. Lorsque sur le seul territoire de la communauté urbaine, on peut estimer à quelques 5 milliards de francs par an d’investissements publics ou parapublics qui se réalisent, n’est-ce pas une nécessité ? » 674 .’

Cette rationalisation des dépenses publiques se ferait en évitant les doublons, les différents acteurs intervenants dans le domaine économique se rencontrant et se répartissant des domaines spécifiques d’intervention, mais aussi en intégrant des logiques de marché ou de gestion privée 675 .

‘« La dynamique économique passe par l’esprit d’entreprise. Nous devons tous avoir l’esprit d’entreprise » 676 .’

Deux objectifs centraux apparaissent finalement transversaux aux dispositifs étudiés : rationaliser les dépenses publiques et limiter l’envergure des interventions publiques.

‘« [Le vice-président développement économique de la communauté urbaine] : […] Je crois qu’il faut faire preuve de beaucoup d’humilité face [au sujet des objectifs de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise] et le problème n’est pas d’être élu ou de ne pas être élu. Je crois qu’un Schéma de Développement Économique, vu du côté de l’élu – c’est ma vision des choses – consiste à valoriser ou plutôt à dire comment valoriser les investissements qui ont été faits par une collectivité publique sur un territoire déterminé, que ce soit des investissements au niveau des terrains, ou au niveau de l’éducation, de la voirie, de l’aménagement, de l’assainissement… C’est le minimum qui peut être demandé à un élu : ‘Vous avez fait des investissements publics lourds qui grèvent le budget des collectivités locales, et qui ont donc une interférence sur nos comptes d’exploitation et nos bilans au niveau des entreprises. Comment ces investissements publics peuvent-ils être valorisés pour les entreprises que nous sommes ?’ » 677 .’

La politique économique intercommunale se veut dès lors différente de celle de l’État-providence et, surtout, de celle de la Région.

‘« Les régions sont nées, se sont développées avec un mode de faire qui a été une reproduction en plus modeste des politiques d’État, des politiques keynésiennes, en disant : ‘Je vais abonder avec de l’argent public telle opération, je vais défiscaliser, etc.’. Et donc c’était ni plus, ni moins qu’une reproduction des politiques publiques [de l’État]. Et si vous allez interroger un Préfet, par définition, il va vous sortir la même chose. L’action économique, c’est les DRIRE ou les DRRT, pour le mieux, qui n’est que la vision de la distribution d’un peu d’argent public sur quelques lignes budgétaires : les entreprises en difficulté, les entreprises exportatrices machin truc, etc., etc. Donc c’est une vision hyper restrictive de ce qu’est le développement éco’. Donc les régions, pour l’essentiel, […] ont reconduit ce système-là, ce qui fait qu’elles sont passées complètement à côté de ce qu’étaient les enjeux du développement éco’ et de la prise en compte des tissus, des tissus économiques. Et aujourd’hui, ce qui est une des difficultés objectives du développement éco par les régions, c’est justement : ‘Comment je renouvelle ma boîte à outils ?’, parce qu’aujourd’hui elles n’ont pas le foncier et elles n’ont pas l’immobilier… » 678 .’

Pour mettre en place des politiques économiques distinctes de celles de l’État et de la Région, les élus et les agents communautaires se proposent d’être « proches du terrain et des acteurs » 679 , et de développer des méthodes qu’ils présentent comme « profondément novatrices car fondées sur la construction d’objectifs définis par les acteurs eux-mêmes » 680 . Le moyen que les élus et les agents proposent pour développer une action économique « efficace », la « gouvernance », devient ainsi le premier objectif des dispositifs que nous étudions 681 . Cet objectif premier vise à recomposer l’action publique locale entransformant les interactions entre acteurs locaux 682 . Il s’agit d’un objectif réticulaire 683 . Il va de paire, tout d’abord, avec un objectif de communication en externe :

‘« Notre force dans la compétition européenne, c’est l’affichage d’une ambition commune et la lisibilité des responsabilités de chacun » 684 .’

Il va également de paire avec un objectif de communication en interne. Ainsi les rencontres entre partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ sont-elles fortement médiatisées.

Néanmoins, ‘Lyon, Métropole Innovante’ et ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ puis le ‘Lyen’ et le ‘Pack’ sont tous des dispositifs de « gouvernance économique métropolitaine » lancés par la communauté urbaine entre 1997 et 2001. En outre, les élus et les agents de cette institution publique entendent, par le biais de ces dispositifs, mener des actions traditionnellement prises en partie en charge par les chambres consulaires et les instances patronales (voire, plus ponctuellement, par l’État).

L’affirmation d’un « pouvoir d’agglomération » 685 semble dès lors avant tout passer par la refonte des relations entre sphère publique et milieux économiques locaux. Apparaît ainsi une ambiguïté : la communauté urbaine tente de mettre en place un système de « gouvernance » horizontal, sans relations hiérarchiques entre les partenaires, mais ses élus et ses agents revendiquent aussi « piloter » ce système de « gouvernance ».

‘« Globalement, le pilotage de cette affaire-là, il est ici, à la DAEI, au Grand Lyon. Donc, 5 partenaires évidemment impliqués dans la démarche : Chambre de métiers, Chambre de commerce, et les deux syndicats professionnels : CGPME et GIL Medef. Mais il est très clair qu’aujourd’hui, c’est le Grand Lyon qui pilote, qui anime, qui coordonne et qui, on va dire, lance les impulsions sur le territoire » 686 .’

Un vocable faisant référence à l’horizontalité, au décloisonnement, parfois même au manque d’efficacité de l’administration, etc., est, paradoxalement, utilisé pour instaurer une emprise institutionnelle intercommunale plus grande. La transition du gouvernement des villes vers une « gouvernance métropolitaine » est, certes, très fortement affichée à Lyon mais, non sans ambiguïtés, dans l’optique d’asseoir la reconnaissance de l’action intercommunale par les autres acteurs locaux.

La chronologie ci-dessous permet de repérer les dates de lancement de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, de ‘Lyon, Métropole Innovante’, du ‘Pack’ et du ‘Lyen’. Elle souligne aussi que ces dispositifs sont bien tous portés par une communauté urbaine qui prend parfois en charge le pilotage d’actions lancées par d’autres institutions (notamment l’agence d’urbanisme et la CCIL). Elle montre enfin que certains de ces dispositifs de « gouvernance économique métropolitaine » ne sont mis en œuvre par la communauté urbaine que sur une très courte période. En d’autres termes, un même impératif métropolitain connaît des traductions concrètes distinctes. Les dispositifs que nous étudions ont des durées de vie plus ou moins longues. En outre, certains d’entre eux changent de nom et sont successivement portés par des institutions locales différentes. Quelles sont dès lors les interactions entre ces traductions différentes d’un même impératif métropolitain (complémentarité, concurrence…), c’est-à-dire entre ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’, mais aussi entre ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et ‘Lyon, Métropole Innovante’, voire entre le ‘Lyen’ et le ‘Pack’ (même si ces deux dispositifs se succèdent dans le temps) ?

Chronologie des dispositifs étudiés
Chronologie des dispositifs étudiés
Notes
674.

La Lettre du SDE, n°1, septembre 1998.

675.

Voir Partie II.

676.

Entretiens avec l’enquêté n°2 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise » depuis 2004.

677.

AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique, « Compte rendu de la réunion du SDE du 3 novembre 1997 », pp.16/17.

678.

Entretien avec l’enquêté n°8 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, directeur de service depuis 1998.

679.

Entretiens avec l’enquêté n°19 : un élu membre de l’UDF, vice-président de la communauté urbaine de Lyon de 1977 à 2001 notamment en charge de la stratégie d’agglomération (initiateur de ‘Lyon, Métropole Innovante’).

680.

Entretiens avec l’enquêté n°1 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise » de 2001 à 2004.

681.

Il y aurait ainsi confusion des moyens et des objectifs de l’action publique mise en œuvre (cf. ROBERT, La fabrique de l'action publique communautaire. Le programme PHARE (1989-1998), enjeux et usages d'une politique européenne incertaine, Thèse ). Cette confusion se confirme lors de la mise en œuvre de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ (voir Partie II).

682.

Cf. PINSON, "Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiques et recomposition d'une capacité d'action collective dans les villes européennes", op. cit., pp. 641/642.

683.

Cf. Ibid., p.638.

684.

ACU archives non-classées de la DAEI, carton intitulé : GLEE, Les réunions des pilotes, « Séminaire des pilotes du 30 mars 2004 ».

685.

Document présenté dans l’introduction générale de ce travail : « Les évolutions des modes et des pouvoirs de la communauté urbaine de Lyon », Schéma produit par la direction générale de la communauté urbaine (document interne), 1995, voir le volume d’annexes de ce travail.

686.

Entretiens avec l’enquêté n°2 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise » depuis 2004.