Conclusion du chapitre II

Les chefs d’entreprise lyonnais et leurs représentants sont les premiers à mettre en place des outils, tels que l’Aderly, leur permettant de coopérer avec des institutions publiques ou, plus précisément, leur permettant d’obtenir des financements publics pour mettre en œuvre leurs projets en faveur du « développement économique » local. Ce sont, néanmoins, les élus et les agents de la communauté urbaine qui labellisent ces coopérations entre acteurs dits publics et privés en recourant au terme « gouvernance ». Ils recentrent parallèlement ces coopérations autour de la communauté urbaine de Lyon en lançant ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’. L’institutionnalisation d’une nouvelle catégorie d’action publique de la communauté urbaine, le « développement économique », s’accompagne ainsi d’une focalisation des coopérations entre acteurs locaux dits publics et privés sur une communauté urbaine qui entend les animer. Les différents types d’experts mobilisés lors de la définition de cette catégorie d’action intercommunale pèsent sur le choix alors opéré par les élus et les agents de la communauté urbaine de revendiquer ce rôle d’animateur de configurations d’acteurs locaux divers mobilisés au service du « développement économique » local. Les premières données concernant l’économie locale fournies par des technocrates experts de l’agence d’urbanisme conduisent les élus et les agents communautaires à remettre en cause les modes d’action économique étatiques. Parallèlement, les experts académiques mobilisés par ces élus et ces agents les incitent à accroître le « développement économique » local de Lyon grâce à un rayonnement international notamment fondé sur la mise en place puis l’affichage de coopérations étroites entre acteurs locaux publics et privés. Un troisième type d’experts émerge enfin : les experts expérimentés, ou les chefs d’entreprise locaux invités à identifier les besoins de l’agglomération lyonnaise en fonction des besoins de leurs entreprises.

‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’ ont finalement tous deux été conçus de manière à permettre à la communauté urbaine d’être à l’écoute des « principaux acteurs économiques métropolitains » et de mener (en collaboration étroite avec ces derniers) des actions assurant l’acquisition, par Lyon, de « fonctions métropolitaines », de manière à assurer le maintien de l’emploi dans cette agglomération tout en rationalisant les dépenses publiques locales. Ces dispositifs doivent ainsi faire de la communauté urbaine un acteur incontournable du « développement économique » local, voire de l’action publique urbaine en général. Le « développement économique » est en effet, désormais, l’enjeu prioritaire inscrit sur l’agenda politique local, autour duquel les autres problèmes et enjeux locaux viennent s’articuler, se décliner.

En fin de compte, le sentiment de crise de l’économie locale et la remise en cause des interventions de l’État qu’il entraîne, ainsi que la situation de concurrence entre acteurs locaux en termes de capacités d’expertise et de financement que nous avons soulignés dans le premier chapitre, sont des éléments de contexte importants qui nous permettent de montrer, à l’issue de ce deuxième chapitre, que la mise à l’agenda politique local de la « gouvernance » et le lancement de dispositifs plus précisément dits de « gouvernance économique métropolitaine », sont avant tout des tentatives de transformation des configurations d’acteurs mises en place dans le cadre de ces dispositifs. Ces dispositifs visent, en effet, à faciliter l’emprise de la communauté urbaine sur un domaine d’action particulier, le « développement économique », censé ensuite faciliter l’emprise de la communauté urbaine sur l’ensemble des politiques locales que ses élus et ses agents entendent prendre en charge 687 . Par le biais des dispositifs étudiés, élus et agents de la communauté urbaine visent la reconnaissance d’un « pouvoir d’agglomération » placé entre les mains de cette institution. Ils se réfèrent pour cela au terme « métropole » également employé par les chefs d’entreprise locaux et leurs représentants qui participent à faire émerger la thématique du rayonnement international à Lyon. Ces derniers croient, eux aussi, au rôle moteur que peut jouer l’existence d’une « métropole » au sens démographique, économique et politique, pour le « développement économique » local.

Les chefs d’entreprise locaux et leurs représentants, lorsqu’ils appellent de leurs vœux la « métropolisation », ne se réfèrent néanmoins pas automatiquement au territoire de la communauté urbaine 688 qu’ils considèrent le plus souvent comme une simple institution publique supplémentaire participant, à leurs yeux, au manque de clarté institutionnelle français et à l’augmentation des dépenses publiques. À défaut de pouvoir s’appuyer sur une « identité territoriale » 689 forte, élus et agents de la communauté urbaine tentent de présenter la « métropolisation » qu’ils proposent de développer comme une « métropolisation » sectorielle et fonctionnelle : ils tentent de faire exister un territoire en indiquant que leur institution va intervenir en faveur du « développement économique », sur la base d’actions collectives 690 . La « métropole », en termes de régulation publique de l’agglomération existerait avant tout via la communauté urbaine : via son secteur d’action prioritaire, le « développement économique », et via sa fonction d’animation de configurations d’acteurs locaux divers. Les membres de cette structure jouent en quelque sorte la carte de la légitimité d’une organisation transversale communautaire susceptible d’agréger des acteurs divers. Élus et agents de la communauté urbaine de Lyon affirment, dès lors, mettre en œuvre des politiques économiques grâce à un moyen d’action qui doit assurer l’ouverture des processus de décision et d’action publique, la « gouvernance ». Ils entendent, en outre, mettre en scène ce moyen d’action au fur et à mesure de la mise en place des politiques économiques.

La « gouvernance » est pourtant loin d’être un simple moyen permettant de rendre l’action publique intercommunale possible. Elle devient même rapidement l’objectif prioritaire de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’. En outre, elle véhicule avec elle une série d’objectifs. Grâce à la référence au vocable « gouvernance », cette série d’objectifs demeure le plus souvent peu explicite. Elle fait, malgré tout, de la « gouvernance » de la communauté urbaine non seulement une réforme des modes de régulation de l’action publique urbaine mais aussi une réforme du contenu des politiques urbaines, notamment en termes d’articulation et de hiérarchisation des objectifs poursuivis par ces dernières. Non seulement le « développement économique » est désormais prioritaire, mais on observe également une dilution d’un objectif pourtant transversal, l’accroissement du nombre d’emplois locaux, ainsi qu’une volonté très puissante de contrôler les dépenses publiques.

Reste que l’impératif métropolitain, qui incite les acteurs locaux à se mobiliser et à coopérer, est traduit en différents dispositifs d’action concrets. Nous allons voir que ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ (et ‘Lyon, Métropole Innovante’) ainsi que le ‘Pack’ et le ‘Lyen’ ne s’appuient pas sur les mêmes configurations, ni sur les mêmes manières d’agir, ni sur les mêmes territoires de référence. Une série d’interrogations demeurent ainsi : quelles sont les différences entre ces dispositifs ? Comment évoluent-ils entre 1997 et 2001 : quels acteurs réunissent-ils, quels sont ceux qui s’engagent réellement, quelles sont leurs dispositions, positions et prises de positions ? Et, finalement, qui profite de ces tentatives de transformation des registres de légitimation des acteurs de l’action publique locale ?

Notes
687.

Les dispositifs étudiés ne sont naturellement pas les seuls à avoir une fonction légitimatrice. La construction de grands équipements, tels que de nouvelles lignes de Tramway ou encore l’aménagement des Berges du Rhône, doivent aussi permettre de légitimer les interventions de la communauté urbaine et, donc, de ses élus et de ses agents. Néanmoins, la fonction légitimatrice des dispositifs ici étudiés ne doit pas uniquement servir aux élus et aux agents directement impliqués dans sa mise en œuvre, mais à l’ensemble des acteurs invités à y prendre part. ceux-ci se trouvent d’ailleurs systématiquement présentés dans les documents de communication visant à présenter l’agglomération lyonnaise.

688.

Voir Partie II.

689.

Cf. BOURDIEU, "L'identité et la représentation. Éléments pour une réflexion critique sur l'idée de région", op. cit.). Nous avons vu que les élus et les agents de la communauté urbaine ne renoncent pas pour autant à l’idée de précisément faire émerger une telle « identité territoriale » à l’échelle de l’agglomération.

690.

Cf. QUERMONNE, "Vers un régionalisme 'fonctionnel' ?", op. cit.