Chapitre IV. De la participation des milieux économiques aux rôles des partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’entreprise’ et du ‘Pack’

‘« [Un dirigeant de Plastic Omnium, équipementier automobile] : [La] chose importante est de ne pas avoir peur de la défaite. Si on veut mobiliser des énergies sur un dossier important, il ne faut pas avoir peur d’afficher ses ambitions sur la place publique même si elles n’aboutissent pas. Et c’est vrai que les différents leaders […] ont tous peur, l’Aderly ou les autres, de se voir porter le chapeau. Ils craignent le ‘ça n’a pas marché, c’est de sa faute !’ » 1033 .’

Comme le souligne cette citation, les partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ considèrent que coopérer leur permet de partager la responsabilité des actions mises en place dans le cadre de ces dispositifs, et donc de partager les risques que chacun prend en intervenant dans le domaine économique. L’ensemble de ces partenaires accepte alors qu’ils soient organisés et animés par la communauté urbaine. Néanmoins, cette acceptation ne se fait pas au nom d’un intérêt communautaire, mais plutôt sur la base d’un compromis entre des groupes d’acteurs aux logiques d’action identifiables et distinctes 1034 . La réforme de la « gouvernance économique métropolitaine » est ainsi portée par des acteurs locaux qui traduisent un contexte international, national et local 1035 à la fois en fonction de leurs intérêts professionnels, de leurs idées concernant l’action publique locale, et des normes véhiculées au sein de leurs institutions de rattachement. Leurs logiques d’action sont en grande partie exogènes à la structure intercommunale. Elles sont liées à des positions, dispositions et prises de position qui dépassent leur engagement au sein, ou auprès, de cette structure.

Nous avons vu que la contrainte que représente l’augmentation du nombre d’acteurs locaux investis dans le domaine économique est transformée en opportunité, pour la communauté urbaine de Lyon, d’accroître son emprise sur ce domaine d’action. Les agents et les élus communautaires la transforment, plus précisément, en source de légitimation du transfert de la compétence économique, voire même de légitimation de l’existence de la structure intercommunale, en multipliant les interactions que celle-ci entretient avec ces nombreux acteurs locaux 1036 . Ainsi les agents et les élus de la communauté urbaine organisent-ils et animent-ils ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’. S’ils ne créent pas des coopérations radicalement « nouvelles » entre la communauté urbaine de Lyon et les chefs d’entreprise locaux, ces dispositifs partenariaux peuvent néanmoins engendrer une modification des formes de coopération entre les acteurs locaux qu’ils sélectionnent et qu’ils mobilisent. Nous nous interrogeons dès lors, ici, sur la question des recompositions de l’action publique urbaine que ces dispositifs peuvent entraîner. Nous cherchons plus précisément à définir d’abord les formes que prend la participation des milieux économiques à la formulation ainsi qu’à la mise en œuvre de deux dispositifs emblématiques de l’action économique intercommunale. Nous cherchons ensuite à identifier les conséquences de cette participation sur le rôle de l’ensemble des partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et ‘Pack’ : les représentants patronaux, les élus et les agents communautaires.

Nous tentons de répondre à cette question non seulement en observant les acteurs qui participent à la formulation et, surtout, à la mise en œuvre des actions de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ (voir Section I), mais aussi en étudiant la répartition des ressources nécessaires à la mise en œuvre de ces actions entre les partenaires de ces dispositifs (voir Section II) et, enfin, en tenant compte du rôle de ces partenaires dans l’action économique intercommunale, c’est-à-dire en tenant compte des modes de légitimation de leur accès à ces ressources nécessaires à la mise en œuvre des politiques économiques intercommunales (voir Section III) 1037 .

Nous allons montrer que, du fait de la sélection des partenaires de la communauté urbaine et de l’institutionnalisation des pratiques de coopération de ces partenaires qu’ils entraînent 1038 , le principal effet des dispositifs que nous étudions est de renforcer un gouvernement privé des actions économiques intercommunales. L’emprise que la communauté urbaine de Lyon acquiert sur le « développement économique » local, grâce à ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et au ‘Pack’, se trouve tout à la fois favorisée et limitée par ce renforcement. La communauté urbaine est, certes, progressivement reconnue comme un acteur important du « développement économique » local par les autres institutions publiques ainsi que par certains chefs d’entreprise et, surtout, par leurs représentants officiels 1039 . Néanmoins, parallèlement, cette structure intercommunale délègue une partie des actions qu’elle met en œuvre dans ce domaine à des chefs d’entreprise et, surtout, à leurs représentants.

L’emprise de la communauté urbaine de Lyon sur cette action économique a dès lors des effets pervers. Si le poids financier de la structure intercommunale lui assure une position centrale dans l’action économique urbaine, sa capacité d’intervention se trouve aussi limitée car une partie du processus de mise en œuvre des interventions économiques lui échappe 1040 . Les dispositifs partenariaux de la communauté urbaine renforcent par ailleurs une concurrence déjà prégnante entre les structures représentant les chefs d’entreprise locaux. Leurs membres sont dès lors pris dans des logiques d’action où prédominent la quête de mandats et le multipositionnement. Le rôle des agents communautaires investis dans l’action économique se transforme en retour. Ces derniers constituent malgré tout une catégorie d’agents communautaires aux contours flous dont certains membres se caractérisent par leur tendance à circuler entre institutions publiques et privées du « développement économique » local. ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’ sont, enfin, des dispositifs inscrits dans la compétition électorale. Ils permettent à certains des élus de la communauté urbaine d’afficher des liens avec les chefs d’entreprise locaux et leurs représentants, auxquels ils accordent un grand poids sur les résultats de la compétition électorale et qui sont désormais des partenaires privilégiés de l’action économique intercommunale. La réforme de la « gouvernance économique métropolitaine » accompagne finalement une modification du rôle de ces élus. Elle leur permet avant tout de transformer le type de compétence économique sur lequel il fonde leur leadership.

Notes
1033.

AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique, « Compte rendu de la réunion du 13 novembre 1997 », p.52.

1034.

Voir Chapitre III.

1035.

Voir Partie I.

1036.

Idem.

1037.

« Le rôle (…) c’est l’ensemble des comportements qui sont liés à la position qu’on occupe et qui permettent de faire exister cette position, de la consolider et, surtout, de la rendre sensible aux autres. (…) Les rôles ne sont pas univoques, mais sont travaillés par les acteurs en fonction des situations et des cadres d’interaction. Ce changement est le fruit non du volontarisme individuel, mais des transformations des groupes auxquels [l’acteur] s’adresse, ainsi que des images de l’efficacité qui prévalent à différents moments ». Dans l’entretien que nous venons de citer, Jacques LAGROYE s’intéresse avant tout au rôle des élus. Il apporte une précision importante concernant cette notion qu’il utilise fréquemment dans ses travaux : les acteurs ne subissent pas un rôle qu’un public leur attribue, ils participent à le construire, cf. Jacques LAGROYE, "On ne subit pas son rôle. Entretien avec Jacques Lagroye (préparé et recueilli par Brigitte Gaïti et Frédéric Sawicki)", Politix, n°38, 1997, pp.7-17 et Jacques LAGROYE, Sociologie politique, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, coll. "Amphithéâtre", 1997 (3ème édition).

1038.

Voir Chapitre III.

1039.

Idem et cf. Infra.

1040.

La notion de capacité a notamment été définie par Clarence STONE de manière à souligner que le pouvoir ne consiste pas uniquement à occuper des mandats ou des postes importants mais consiste plutôt à disposer des capacités de mobilisation des ressources nécessaires à l’action (cf. STONE, Regime politics. Governing Atlanta 1946-1988, op. cit.).