a / Une attention accordée aux intérêts des entreprises locales antérieure à la mise en place de la DAEI

Les premières décisions de la communauté urbaine concernant le « développement économique » sont paradoxalement antérieures à la définition (à partir du milieu des années 1990) de ses missions concernant ce domaine d’action 1049 . Dès la fin des années 1970, la « commission des activités économiques, industrielles et commerciales » de la communauté urbaine de Lyon prend en effet en charge un certain nombre de dossiers. Ses membres se penchent alors avant tout sur des questions de logement au sein de l’agglomération et lancent des programmes de destruction des logements insalubres et d’augmentation du parc des logements sociaux 1050 . L’aménagement des zones industrielles de l’agglomération est, à cette période, pris en charge directement par certaines entreprises 1051 ainsi que par les communes, qui adressent néanmoins parfois, à la « commission économique » communautaire, une demande d’aide financière liée à des acquisitions foncières 1052 .

En 1979, en outre, cette commission étudie un « dossier industriel » 1053 dressant un état de l’activité économique à l’échelle de l’agglomération. Ses membres établissent les deux constats suivants. Premièrement, les secteurs traditionnels (la chimie, la construction électrique, les poids lourds, le textile et la mécanique) sont en perte de vitesse quand d’autres secteurs émergent (la pharmacie, la transformation des plastiques et l’agroalimentaire), même s’ils sont moins porteurs d’emplois et si les sièges de ces entreprises sont souvent situés à l’extérieur de Lyon. En second lieu, de nombreuses industries souhaiteraient demeurer ou s’installer au centre de l’agglomération mais elles seraient confrontées à un problème récurrent de mauvais état de l’équipement des zones qui leur sont réservées (notamment en termes d’accessibilité). Les élus évoquent alors deux possibilités d’agir pour favoriser l’activité économique locale : un soutien aux secteurs émergents, et une répartition équilibrée des zones d’activités équipées sur le territoire de l’agglomération. Néanmoins, la possibilité que l’État (alors seul légalement compétent dans le domaine économique) intervienne sur ces questions, pèse sur les débats de ces élus. Ils craignent que ce dernier ne prenne des décisions contraires à leur stratégie, notamment en tentant de redéployer les activités industrielles au profit de la périphérie de l’agglomération, voire au profit de Saint-Étienne et de Grenoble 1054 . C’est pourquoi ces discussions, qui constituent les premières traces d’une volonté de changement de définition du contenu de l’intervention économique communautaire, ne donnent finalement lieu à aucun programme concret d’action intercommunale 1055 .

À la fin des années 1980, la « mission économique » rattachée au service de l’aménagement urbain 1056 focalise ses actions sur les questions de gestion d’une offre foncière désormais davantage centralisée au niveau communautaire mais dont le volume diminue et, surtout, sur les questions de requalification des zones d’activités existantes 1057 . Jusqu’au milieu des années 1990, un autre type de politique de « développement économique » est davantage médiatisé, même s’il est directement porté par le service d’aménagement urbain : la construction de grands équipements 1058 . Pendant tout le mandat de Michel Noir, cette politique des grands équipements est notamment illustrée par la construction de la Cité Internationale 1059 . Bien que centré sur la construction d’un Palais des Congrès, ce projet est saisi par Michel Noir comme une occasion d’illustrer son ambition économique internationale pour l’agglomération. Il mobilise alors quelques responsables de grandes entreprises lyonnaises, au sein d’un Conseil International de Lyon (CIL), également appelé Conseil Économique. Le CIL, chargé de conseiller le maire de Lyon, réunit des responsables d’Interpol, du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), des Laboratoires Mérieux, de Péchiney, de Boiron et de BSN Danone 1060 . Les industries du secteur des biotechnologies sont donc sur-représentées en son sein.

Notes
1049.

Voir Chapitre II.

1050.

La communauté urbaine participe alors, notamment, à la réhabilitation du quartier de La Grappinière à Vaulx-en-Velin et au relogement des habitants du quartier Olivier de Serres à Villeurbanne (ACU 1796 W 003, carton intitulé : Réunions commission économique 1978, notamment « Compte rendu de la réunion du mardi 18 avril 1978 »). Les entreprises locales sont mentionnées régulièrement au cours de ces discussions quand il est rappelé qu’elles participent au financement de la construction de logements via le « 1% patronal » (investissement annuel obligatoire pour toutes les entreprises du secteur privé non agricole de plus de dix salariés qui correspond à 0,45% de la masse salariale de l’entreprise) ainsi que par des versements à la communauté urbaine, ou encore des investissements directs, en cas de dépassement du plafond légal de densité (limite légale de mètres carrés constructibles par terrain foncier acquis).

1051.

Certaines grandes entreprises lyonnaises s’investissent dans l’équipement des zones industrielles sur lesquelles elles sont implantées, ou encore dans la transformation d’une partie de ces zones lorsqu’elles ne les utilisent pas dans le cadre de leurs activités. C’est par exemple le cas emblématique, à Vaulx-en-Velin, à Vénissieux et à Lyon, de l’entreprise Rhône-Poulenc, cf. LINOSSIER, La territorialisation de la régulation économique dans l'agglomération lyonnaise (1950-2005). Politiques, acteurs, territoires,op. cit., p.420.

1052.

L’aménagement de la zone industrielle de Corbas-Vénissieux donne par exemple lieu à l’octroi d’un prêt de la communauté urbaine à la société concessionnaire des Abattoirs de Lyon déplacés en 1977 (ACU 1796 W 001, carton intitulé : Réunions commission économique 1977, « Compte rendu de la réunion du mardi 27 septembre 1977 »).

1053.

Ce « dossier industriel » est une étude réalisée, en 1979, par la RUL, fondée sur les données de l’INSEE concernant l’économie locale ainsi que sur les réponses d’entreprises locales à un questionnaire concernant leur satisfaction face à leur lieu d’implantation et donc leur souhait éventuel d’en changer (ACU 1796 W 004, carton intitulé : Réunions commission économique 1979, « Compte rendu de la réunion du mardi 4 décembre 1979 »).

1054.

Idem.

1055.

Idem.

1056.

Il s’agit donc, cette fois, du nom d’un embryon de service administratif (et non plus du nom d’une commission d’élus), voir Chapitre II.

1057.

Les années 1980 constituent un véritable « trou noir » dans les archives de la communauté urbaine en ce qui concerne les politiques économiques de cette institution (voir la liste des archives que nous avons pu consulter présentée à la fin de ce volume). Pour cette période, nous pouvons donc uniquement nous appuyer sur les témoignages oraux d’élus et d’agents communautaires (Entretiens avec l’enquêté n°52 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DGDU depuis la fin des années 1980, Entretiens avec l’enquêté n°19 : un élu membre de l’UDF, vice-président de la communauté urbaine de Lyon de 1977 à 2001 notamment en charge de la stratégie d’agglomération et Entretiens avec l’enquêté n°12 : un élu membre de l’UMP, vice-président de la communauté urbaine de Lyon au développement urbain de 1989 à 2001). Il semble que ce soit à cette période que l’expression « zone industrielle » cède la place à celle de « zone d’activités ».

1058.

En réalité, dès les années 1960, les communes et les structures intercommunales naissantes lancent de vastes programmes d’aménagement mais sans les présenter comme des politiques de « développement économique » (cf. LE BART, "Sur l'intervention économique des communes", op. cit.). À Lyon, ces programmes de construction concernent avant tout des équipements en matière de transports, tels que l’échangeur de la gare de Perrache ou encore le métro.

1059.

Illustration de ce que les acteurs lyonnais appellent alors la « planification stratégique », c’est-à-dire l’articulation d’une politique foncière et d’une politique de marketing territorial (voir Chapitre II).

1060.

Voir Chapitre II. Michel Noir charge alors l’élu Jacques Moulinier (qui a été adjoint au maire de Lyon et vice-président de la communauté urbaine à l’urbanisme pendant le mandat de Francisque Collomb) de réunir les membres du CIL. Ces quelques grands chefs d’entreprise locaux ont, en effet, pour la plupart, déjà été consultés lors de la conception du Schéma de Développement de l’Agglomération Lyonnaise pilotée par l’agence d’urbanisme sous le mandat précédent, à partir de 1985. Les conclusions de ce schéma soulignent notamment la nécessité d’agir selon des principes de concurrence en favorisant les entreprises les plus innovantes et les plus dynamiques (Entretiens avec l’enquêté n°19 : un élu membre de l’UDF, vice-président de la communauté urbaine de Lyon de 1977 à 2001 notamment en charge de la stratégie d’agglomération et Entretiens avec l’enquêté n°24 : un ancien chargé de mission « Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise » aujourd’hui en charge des politiques de « développement économique » et d’« aménagement » au sein de l’agence d’urbanisme de Lyon). Cf. également LINOSSIER, La territorialisation de la régulation économique dans l'agglomération lyonnaise (1950-2005). Politiques, acteurs, territoires, op. cit., pp.425 et suiv.