En 1997, la première politique économique de la DAEI, le ‘Plan Technopole’ rebaptisé par la suite ‘Lyon, Métropole Innovante’, lance cette fois une série d’actions de soutien à deux secteurs économiques innovants et structure l’agglomération autour de sites « technopolitains » notamment installés dans le centre de l’agglomération 1061 . Sans qu’il y soit fait explicitement référence, le projet d’intervention économique dessiné par les élus de la « commission économique » à la fin des années 1970 se transforme en actions concrètes 1062 .
Les actions proposées de ‘Lyon, Métropole Innovante’ peuvent être résumées comme suit : * développer deux clusters ou regroupements d’entreprises : celui des biotechnologies et celui des technologies de l’information et de la communication (TIC), en favorisant la création et l’implantation d’entreprises et de centres de recherche, * mettre en place sept sites spécialisés dans l’innovation technologique (La Doua, Gerland, Vaise, Porte des Alpes, Lyon centre (universités), Vaulx-en-Velin et Rockfeller), * réaliser de nombreux projets transversaux dans une logique de décloisonnement : valoriser et promouvoir la recherche (grâce à la base de données « Lyon Science Ressources », au site Internet du ‘Plan Technopole’, à des réseaux internationaux de recherche…), soutenir la création d’entreprises innovantes (grâce à l’incubateur Créalys notamment financé avec l’aide de la région, grâce à des jeux d’apprentissage animés par l’EM Lyon…) 1063 . |
De 1997 à 2001, c’est-à-dire pendant la phase de définition des actions du dispositif ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, l’agence d’urbanisme de Lyon établit un nouveau bilan de l’activité économique à l’échelle de l’agglomération 1064 . La question centrale à laquelle tentent de répondre les partenaires 1065 de ce dispositif concerne là encore la définition des besoins des entreprises locales, comme le suggère le bref extrait de la synthèse du diagnostic alors établi :
‘« Les entreprises attendent moins d’aides des collectivités mais aussi moins de ponctions fiscales. La signalétique routière est défaillante à Lyon, il faut y remédier. Les taxis de l’agglomération sont trop chers et pas assez nombreux. Simplifier les formalités administratives pour les entreprises de moins de 5 personnes » 1066 .’En souhaitant se mettre à l’écoute des entreprises locales, ces partenaires se placent dans une situation délicate puisque les entreprises interrogées, surtout des PME et des PMI très nombreuses à Lyon 1067 , attendent à la fois moins de pression fiscale et des aides aussi diverses que nombreuses. L’extrait de synthèse présenté ci-dessus ne rend d’ailleurs que partiellement compte des intérêts que les chefs d’entreprise interrogés tentent alors de défendre. Ces derniers explicitent également leur insatisfaction face aux interventions des collectivités locales qu’ils ne considèrent pas comme des acteurs du « développement économique » local et auxquelles ils reprochent de ne pas suffisamment investir dans l’aménagement de l’environnement physique de leurs entreprises. Ils soulignent, enfin, les difficultés récurrentes des créateurs d’entreprise à constituer des fonds propres et leur souhait qu’une régulation plus efficace des actions des syndicats de travailleurs soit mise en place (notamment en cas de grève) 1068 .
Les partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ en déduisent que les besoins des chefs d’entreprise ont évolué et qu’il leur faut dès lors transformer le contenu des politiques économiques intercommunales de manière à répondre au mieux à ces besoins. Les chefs d’entreprise, dont les activités sont désormais plus mobiles, seraient selon eux davantage à l’écoute des désirs de leur main d’œuvre, notamment en termes de qualité de vie des cadres 1069 . Dans ce contexte, l’outil foncier perd de sa centralité au profit d’un marketing territorial de plus en plus valorisé 1070 , comme le souligne la citation suivante :
‘« [Le directeur de l’entreprise Solyphar SA] : Le foncier est un mythe du passé. En France on est trop sur le foncier, sur la propriété des murs. […]Les partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ établissent alors un plan de 66 « actions cadres ». Il est présenté au bureau restreint du conseil de communauté présidé par Raymond Barre, puis validé en février 2001.
« Toutes [les] actions [de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’] ont vocation de répondre aux trois grandes orientations stratégiques retenues par les partenaires […] : 1/ ‘Entreprendre et développer’ Favoriser l’esprit d’entreprendre par des actions de sensibilisation et d’accompagnement à la création, transmission ou reprise d’entreprises 2/ ‘Régénérer et innover’ Développer l’adaptation des PME-PMI par la diffusion des innovations technologiques, sociales et organisationnelles 3/ ‘Choisir pour se spécialiser’ Renforcer les secteurs d’excellence (jeux vidéos, biotechnologies/Cancer et mode-création). Pour atteindre les objectifs de ce noyau stratégique, les porteurs du SDE organisent les actions autour de trois fonctions leviers, outils ou méthodes supports pour le développement et l’excellence du territoire : 1/ Le marketing territorial, en intensifiant les efforts de communication au service de l’animation économique du territoire et en vue d’attirer de nouveaux investisseurs, entreprises, touristes, congrès ou salons. 2/ L’aménagement du territoire, en programmant de nouveaux sites d’accueil et en développant des grands équipements d’agglomération comme l’aéroport Lyon Saint-Exupéry, sa liaison en transport en commun avec le centre-ville par LEA et LESLY, la Salle 3000… 3/ Le développement durable, en accompagnant les entreprises dans une prise de conscience et une démarche environnementale » 1072 |
Ces « actions cadres » visent d’abord un petit nombre de secteurs d’activité à haute valeur ajoutée porteurs d’emplois supérieurs (les jeux vidéos, les biotechnologies et la mode-création), et affichent une attention particulière pour les PME et PMI de ces secteurs. L’accent est bien mis, plus globalement, sur le marketing territorial. La communauté urbaine investit dès lors un type d’actions (« vendre » le territoire de l’agglomération pour attirer de nouvelles entreprises) confié à l’Aderly durant les années 1980 et 1990 1073 . Ce marketing territorial passe par l’aménagement de l’environnement physique et, surtout, immatériel des entreprises 1074 .Le contenu de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, bien que plus global et plus transversal, est donc le même que celui de ‘Lyon, Métropole Innovante’. Ces actions sont présentées par les élus communautaires comme des réponses aux besoins des publics auxquels elles s’adressent, comme dans la citation suivante concernant ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ :
‘« [Le président du groupe professionnel textile Unitex] : Le concept est important, mais le pragmatisme aussi, sinon le projet n’aboutira pas… Nos industriels ne vont pas nous suivre… car le but c’est quand même que cela profite aux industriels » 1075 .’Si les partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ entendent notamment soutenir les nombreuses PME et PMI des secteurs innovants qu’ils ont identifiés, la mise en cohérence des actions de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ s’opère notamment, en 2005, grâce à l’acquisition d’un label de « pôle de compétitivité » par certains secteurs visés par ces deux dispositifs (tels que les pôles respectivement national et mondial intitulés Loisirs numériques et Lyon Biopôle) 1076 . Ce label, accompagné d’une aide financière étatique et d’une aide d’encadrement des services déconcentrés de l’État, est obtenu suite à la réponse de la communauté urbaine à un appel à projets national 1077 . Or les responsables d’entreprises impliqués dans la politique ‘Grands Comptes’ sont mobilisés pour formuler la réponse communautaire à cet appel à projets 1078 . Quelques responsables de grandes entreprises industrielles lyonnaises sont donc de nouveau au cœur de la formulation de la stratégie économique d’agglomération.
La définition du contenu des politiques économiques intercommunales est progressive. Elle se fait avant tout grâce à la circulation de propositions d’actions similaires, entre différents acteurs locaux, et sur une longue période. Ce contenu se transforme ainsi de manière incrémentale en entraînant une progressive mise à l’écart de certains des intérêts très divers défendus par les chefs d’entreprise locaux 1079 . En effet, non seulement les intérêts des entreprises diffèrent d’un secteur à l’autre ainsi qu’au sein d’une même filière selon la taille et la trajectoire de chaque entreprise 1080 , mais l’accès direct de chefs d’entreprise au processus de définition du contenu des politiques économiques intercommunales est ponctuel et généralement réservé aux plus grands groupes 1081 , alors même que la capacité de représentation des instances patronales est discutée 1082 . Ainsi il n’existe pas de large coalition de croissance 1083 dont les membres seraient clairement identifiables à Lyon. La simple existence du ‘Lyen’ puis du ‘Pack’ (en parallèle à celle de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’) ainsi que l’abandon de ces politiques sur lesquelles nous allons désormais revenir, est d’ailleurs un révélateur de cette absence de coalition large et stable.
Voir la carte représentant les sept sites technopolitains de l’agglomération lyonnaise dans le volume d’annexes de ce travail.
En réalité, pendant les années 1980, le projet technopolitain est porté puis abandonné par la CCIL (cf. Infra). Il est à noter, cependant, que certains membres de la CCIL sont précisément investis dans la RUL (autrement dit dans l’institution à l’origine du « dossier industriel » qui incite certains élus locaux à penser qu’il faudrait modifier la définition du contenu des actions économiques communautaires à la fin des années 1970). un agent de la CCIL, directeur du service économique de 1989 à 2006 (arrivé à l’Aderly en 1976).
« Pour une métropole technopolitaine », Plan d’actions 1998-2001, document daté du 25 mai 1998, ainsi que : « Lyon, Métropole Innovante », Programme d’actions 2004, document daté du 17 mai 2004.
« Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise, une démarche de gouvernance économique », Présentation de l’état d’avancement du dispositif devant la commission économique de la communauté urbaine de Lyon, 15 septembre 2004, p.3. Voir Chapitre III.
Voir les tableaux présentant les membres de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ : Chapitre III.
AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique, « Compte rendu de la réunion du 26 novembre et du 4 décembre 1997 », p.129.
Voir Chapitre I et Chapitre III.
L’ensemble de ces critiques et de ces demandes est l’objet de discussions entre les partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ entre 1997 et 2001, même si certaines dépassent largement le cadre légal de la compétence économique intercommunale (voir Chapitre II), AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique, « Comptes rendus des réunions du 3 novembre 1997, du 13 novembre 1997, du 19 novembre 1997, du 4 décembre 1997, des 15, 17 et 18 décembre 1997 et du 2 février 1998 ».
Ils demandent effectivement davantage d’équipements tels que des structures de loisirs, des écoles offrant des cursus bilingues… La mobilité croissante des entreprises a fait l’objet de nombreux travaux de recherche (cf. par exemple : KANTOR et SAVITCH, Cities in the International Marketplace, op. cit. et VELTZ, Mondialisation, Villes et Territoires. L'économie d'archipel, op. cit.).
Voir Chapitre II.
AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique, « Compte rendu de la réunion du SDE du 3 novembre 1997 », p.83.
« SDE, Schéma de développement économique. État d’avancement », Document produit par la communauté urbaine de Lyon, la CCIL, la Chambre de Métiers du Rhône, le Medef Rhône et la CGPME, 18 octobre 2002, p.1.
Voir Chapitre II. Pendant cette période, l’Aderly a notamment joué un rôle important dans le retour du siège de Rhône-Poulenc à Lyon (cf. Sally RANDLES, Cities in evolutionary perspective : diversity, reflexivity, scale and the making of economic society in Manchester and Lyon, Thèse de géographie, Manchester, Université de Manchester, 2000, p.269), ainsi que dans la production de rapports permettant de définir les atouts d’une ville internationale (voir Chapitre II).
Et ce, conformément à une partie de la littérature sur l’internationalisation des villes mobilisée par les partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’. Pour rappel : la notion de « gouvernance », telle qu’elle est définie « scientifiquement » lorsqu’il est question de l’urbain, entend le plus souvent rendre compte, dans un contexte de globalisation, de l’émergence de politiques urbaines directement liée à une capacité à générer des relations entre acteurs dits publics et privés (voir Chapitre II).
AAU, Archives non-classées, Pochettes intitulées : Schéma de Développement Économique, « Compte rendu de la réunion du SDE du 3 novembre 1997 », p.15. Dans cette citation, seuls les industriels lyonnais sont évoqués. Ils sont, en outre, considérés comme constituant un tout homogène sans distinction de secteurs, ni de tailles…
« Vade-mecum. Les pôles de compétitivité en Rhône-Alpes. Les pôles de compétitivité moteurs de croissance et d’emploi », Préfecture de la région Rhône-Alpes, Document non-daté.
Idem. La politique industrielle nationale des « pôles de compétitivité » est donc saisie comme une opportunité pour la communauté urbaine de Lyon de donner davantage de visibilité à sa stratégie de spécialisation.
Voir Chapitre III. Discussions avec l’enquêté n°4 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA, chargé de mission « INTERACT » de 2001 à 2004 et Entretien et discussion avec l’enquêté n°53 : un agent de la CCIL.
L’incrémentalisme de Charles LINDBLOM permet d’appréhender les changements de l’action publique comme des processus qui se réalisent par petites étapes. Ils sont opérés par des acteurs qui modifient peu de choses par rapport à la situation initiale qu’ils connaissent et qui ne peuvent anticiper les conséquences des changements qui s’opèrent. Ces acteurs attribuent ensuite une série d’objectifs à des solutions retenues avant tout du fait du degré d’accord qu’elles suscitent (et non du fait de leur contribution à la résolution des problèmes soulevés), cf. notamment Charles LINDBLOM, The intelligence of democracy. Decision making through mutual adjustment, New York, Free Press, 1965.
Pour un exemple d’étude de la diversité des intérêts des entreprises concernant leur localisation à partir du cas des entreprises de services lyonnaises, cf. Anne AGUILERA-BELANGER, Localisation des services aux entreprises et dynamiques intramétropolitaines. Le cas de Lyon, Thèse de sciences économiques, Lyon, Université Lumière Lyon II, juin 2001.
Cet élément confirme donc une tendance déjà soulignée grâce à l’analyse des listes de participants aux réunions de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et de ‘Lyon, Métropole Innovante’ (voir Chapitre III).
Voir Chapitre I et cf. Infra.
Cf. Alan HARDING, "The rise of urban growth coalitions, UK-style ?", Environment and Planning C : Government and Policy, vol.9, 1991, pp.295-317 ou, pour une synthèse des approches du changement dans les politiques publiques sous l’angle des coalitions de croissance : JOUVE, La gouvernance urbaine en questions, op. cit.