a / Une modification à la marge du contenu des politiques économiques mises en œuvre

Les toutes premières actions mises en œuvre dans le cadre de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ concernent respectivement l’aménagement physique des sites technopolitains et l’aménagement ainsi que la requalification des zones d’activités de l’agglomération. Au sein de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, l’« orientation stratégique ‘aménager le territoire’ » est celle qui connaît le calendrier le plus serré 1103 . Dès 2002, cette « orientation stratégique » est celle qui rassemble le plus grand nombre d’actions achevées 1104 . Sur le terrain, la DAEI prend en charge, en tout premier lieu, le jalonnement et la signalétique de l’ensemble des zones d’activités de l’agglomération 1105 . En facilitant l’accès aux zones d’activités depuis le réseau de transports de l’agglomération, et en guidant leurs utilisateurs à l’intérieur de ces zones, cette action vise à améliorer l’environnement physique des entreprises par des opérations classiques d’aménagement 1106 . Une fois mises en œuvre, les actions de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ n’entraînent, dans un premier temps, aucune transformation tangible du contenu de l’action économique intercommunale. La politique foncière de la communauté urbaine de Lyon demeure à ce titre importante, même si elle s’est autonomisée de la politique strictement économique intercommunale 1107 .

Les partenaires de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ identifient puis hiérarchisent en effet, tout au long de la mise en œuvre des actions de ces dispositifs, les besoins des entreprises locales qu’ils identifient. Ils se montrent alors notamment attentifs à la manière selon laquelle les chefs d’entreprise locaux définissent les compétences intercommunales, au rôle qu’ils attribuent à cette institution. Pour s’imposer comme un nouvel acteur dans le domaine économique, la communauté urbaine de Lyon fait d’importants efforts pour rendre ses actions économiques légitimes, comme le souligne un élu responsable de ‘Lyon, Métropole Innovante’ en se remémorant son lancement :

‘« Cette démarche devait correspondre, au moins en partie, à l’idée que se font la plupart des acteurs locaux du rôle du Grand Lyon, c'est-à-dire à l’idée, en clair, que le Grand Lyon fait des trottoirs et pose de beaux panneaux » 1108 .’

Or les chefs d’entreprises font part de très nombreuses attentes en termes d’« efficacité » des interventions de la DAEI, notamment de mise en adéquation de ces interventions avec les contraintes du marché (en particulier en termes de délais et de coûts) 1109 ., Le même élu souligne ainsi, toujours en ce qui concerne ‘Lyon, Métropole Innovante’, que le tout premier enjeu de la mise en œuvre de cette politique est de pouvoir répondre à la question : « Qu’est-ce que ‘Lyon, Métropole Innovante’ ? », grâce à des réalisations concrètes visibles. L’idée est bien de répondre aux intérêts exprimés par le public visé, c’est-à-dire de rationaliser les dépenses publiques selon les logiques du marché telles qu’elles sont traduites par les chefs d’entreprise :

‘« Le problème du plan technopole c’était avant tout un problème de visibilité. Comment rendre une démarche d’animation visible ? Pour que les gens se rendent compte de ce qui se faisait, nous avions besoin de totems. Les sites et leur aménagement urbain sont d’excellents totems ! Ces sites permettent de dire aux chefs d’entreprise : ‘Vous voyez : l’action économique de la communauté urbaine, elle est là, là, ou encore là !’. Il y a une logique, il y a un résultat. Parce que quand vous dîtes à certains chefs d’entreprise que la communauté urbaine fait de l’animation… Ils vous répondent que ces acteurs sont payés à ne rien faire ! [Rire] Et oui, c’est comme ça… » 1110 .’

Les écarts sont finalement importants entre la politique économique intercommunale telle qu’elle est présentée et définie au sein des bureaux de la DAEI et la politique économique intercommunale telle qu’elle est mise en œuvre dans les différentes zones d’activités de l’agglomération 1111 .

‘Le poids de cette tradition aménageuse se fait même sentir en interne à la communauté urbaine, lorsque l’objectif d’aménagement prend le pas sur l’objectif économique dans l’attribution des budgets intercommunaux :
« [...] Dans la tête des élus [...] ce qui compte [encore] c’est : ‘Comment je fais des chèques pour refaire le trottoir, la place de la mairie… ?’ [Rire] Donc il n’y a pas [de] lien… Il n’y a pas [de] raisonnement entre l’origine des moyens [à savoir les entreprises] et la fin, c'est-à-dire l’utilisation de ces moyens » 1112 .’

Les politiques économiques ont parfois du mal à apparaître légitimes au sein même de la communauté urbaine. Dans ce contexte, en choisissant de mettre en œuvre des actions qui vont facilement agréger une majorité des votes des élus communautaires, les initiateurs des dispositifs économiques laissent la tradition aménageuse de cette institution peser sur le contenu de ces dispositifs :

‘« Avec les sept sites, les élus pouvaient trouver un intérêt plus ou moins direct et concret à ce projet. C’était une manière de s’assurer que le Conseil de Communauté voterait ce plan » 1113 .’

Par ailleurs, bon nombre des actions de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ nécessitent la récupération d’autres actions existantes. Les sept sites technopolitains, par exemple, dépendent de la réalisation de travaux de voirie importants qui ne sont ni financés, ni mis en œuvre, dans le cadre de ‘Lyon, Métropole Innovante’. Certaines des actions associées à cette politique ont, ainsi, débuté bien avant sa mise en œuvre. Le Pôle de Compétence en Urbanisme de Lyon (PCUL), c’est-à-dire de la technopole de Vaulx-en-Velin regroupant plusieurs établissements spécialisés dans l’urbanisme (l’École Nationale des Travaux Publics de l’État, l’École d’architecture, l’INSA, l’agence d’urbanisme, etc.) existe, par exemple, déjà sous la forme d’un réseau non-institutionnalisé lorsque la politique ‘Lyon, Métropole Innovante’ est lancée :

‘« À l’origine, le pôle était un réseau qui fonctionnait un peu comme un rotary club. Au printemps 2000, lors de la signature de la convention avec le Grand Lyon, il s’est constitué en association un peu plus structurée. Il y a eu un glissement du club de professionnels vers l’association. Le choix du rattachement au Plan Technopole répondait avant tout à une logique de financement. Il y a eu un effet d’aubaine entre différents acteurs : pour les acteurs du pôle, une opportunité de financement… et pour les responsables du Plan Technopole une opportunité d’intégrer un réseau d’animation déjà existant à leur politique » 1114 .’

De manière plus générale, tout comme à la fin des années 1980, les bilans d’activité de la DAEI font abondamment référence à de grands projets d’équipements tels que le développement de l’aéroport Saint-Exupéry ou l’agrandissement du parc des expositions de Lyon-Eurexpo, ainsi qu’à de grands projets d’aménagement tels que le pôle de loisirs du Carré de Soie ou Lyon Confluence, dont la réalisation dépasse largement le cadre des politiques de ce service économique 1115 . Néanmoins, les documents de communication de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ articulent désormais ces investissements à une stratégie globale ou « transversale » de marketing territorial 1116 . Le contenu très large de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ permet ainsi à la DAEI, donc à la communauté urbaine de Lyon, de s’approprier les fruits de processus anciens et/ou en cours, parfois portés par d’autres institutions.

En ce qui concerne Émergences, aucun des projets portés par des membres de cette association n’aboutit 1117 . Les porteurs de projets au sein même du ‘Pack’, sont parfois, quant à eux, investis dans ces projets depuis de nombreuses années lors de la création de ce groupe. Ils n’affichent toutefois pas nécessairement leur appartenance au ‘Pack’ lorsque les actions dans lesquelles ils étaient impliqués sont finalement soutenues par ce groupe. Une partie des projets du ‘Pack’ se réalise donc progressivement hors de ce groupe et les actions de ses membres lui échappent en partie 1118 . Cela limite la visibilité d’une dynamique qui s’appuie finalement sur des projets qui lui préexistent et qui sont encore loin d’être aboutis.

Aucune action n’ayant été réellement mise en œuvre dans le cadre du ‘Pack’ 1119 , aucune transformation du contenu des politiques économiques de la communauté urbaine telles qu’elles sont mises en œuvre n’est a fortiori engendrée par ce dispositif. Dans le cas de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, des modifications à la marge de ce contenu apparaissent d’abord sur le terrain du fait du poids de la tradition aménageuse de la communauté urbaine. Néanmoins, l’étude de ces actions d’aménagement de zones d’activités donne paradoxalement clairement à voir la spécialisation de cette action directement liée au souci premier de faire accepter le rôle économique de la communauté urbaine. Or ce travail de légitimation central se traduit avant tout par le placement de la communauté urbaine au centre des interactions nombreuses entre « acteurs économiques » que les agents de la DAEI construisent 1120 , en parallèle à leur travail d’aménagement physique des zones d’activités de l’agglomération 1121 .

Notes
1103.

Notamment par opposition à l’« orientation stratégique ‘développer durablement’ », dont le lancement est décalé et qui s’étale sur un plus grand nombre d’années, « SDE. Schéma de Développement Économique, État d’avancement », Document officiel de présentation de la politique, 18 octobre 2002.

1104.

Idem.

1105.

Observation de la réunion de l’association d’industriels PERICA (zone industrielle de Caluire et Cuire) du 25 mai 2003, observation de la réunion de la Conférence des maires du Val de Saône du 11 juin 2003, Entretien avec l’enquêté n°54 : le directeur du service économique de la commune de Caluire et Entretien avec l’enquêté n°48 : le directeur de l’association syndicale du lotissement industriel de Vénissieux, Corbas, Saint-Priest.

1106.

Ce constat d’une tradition aménageuse particulièrement prégnante de la communauté urbaine de Lyon est également établi par une étudiante en aménagement, à la suite d’un stage réalisé auprès des agents du pôle « développement local » de la DAEI (cf. Pascaline ROUSSET, Le développement économique selon le Grand Lyon : bilan d'une politique 'transversale', Mémoire de Master 1 'Aménagement et urbanisme', Lyon, Institut d'Urbanisme de Lyon, septembre 2005, notamment p.51).

1107.

Depuis 2003, au sein de la Délégation générale au développement économique et international (DGDEI) on trouve en effet deux directions : la Direction des affaires économiques et internationales (DAEI) et la Direction du foncier et de l’immobilier. La politique foncière demeure donc importante à la fois en termes de main d’œuvre et en termes de budgets. Ainsi peut-on lire dans le bilan d’activités de la DGDEI : « Principal acteur de l’aménagement foncier, le Grand Lyon a un rôle essentiel à jouer dans la production de sites d’accueil. La très faible production de foncier enregistrée ces dernières années et le niveau élevé de la demande ont tendu la situation du marché. La stratégie retenue est de reconstituer une offre optimale et d’engager la programmation d’opérations pour le moyen et le long terme. […] En 2003 ont eu lieu les premières acquisitions d’opportunités ou stratégiques pour une superficie totale de 14 ha et un investissement de 2,5 millions d’euros » (Rapport d’activité 2003, DAEI, p.11). En outre, cette politique foncière comporte toujours un volet « gestion de l’habitat social » (« Grand Lyon : organisation », Organigramme de la communauté urbaine de Lyon, 2003, p.23).

1108.

Entretiens avec l’enquêté n°19 : un élu membre de l’UDF, vice-président de la communauté urbaine de Lyon de 1977 à 2001 notamment en charge de la stratégie d’agglomération.

1109.

Observation de la réunion de l’association d’industriels PERICA (zone industrielle de Caluire et Cuire) du 25 mai 2003, observation de la réunion de la Conférence des maires du Val de Saône du 11 juin 2003, Entretien avec l’enquêté n°54 : le directeur du service économique de la commune de Caluire et Entretien avec l’enquêté n°48 : le directeur de l’association syndicale du lotissement industriel de Vénissieux, Corbas, Saint-Priest. Ces remarques vont dans le sens du constat établi par Dominique LORRAIN et Pierre KUKAWKA à la fin des années 1980 au sujet des interventions économiques des communes : « Faute de pouvoir agir significativement sur le rapport capital/travail, qui est le cœur même de l’entreprise, [elles] agissent sur sa périphérie, font de l’accompagnement et sont conduit[e]s à s’aligner sur la logique de marché. Ce qui était à l’origine une intervention nouvelle [à savoir l’intervention économique des communes autorisées de 1982 à 1988 à procéder par aides directes aux entreprises en difficultés] permettant de peser sur les solutions de sortie de crise devient progressivement une politique d’équipement urbain dans un marché concurrentiel », cf. KUKAWKA et LORRAIN, "Quinze municipalités et l'économie",op. cit., p.301.

1110.

Entretien avec l’enquêté n°44 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « plan technopole » de 1997 à 2000.

1111.

Les agents de la DAEI ont eux-mêmes conscience de ces écarts (Entretien avec l’enquêté n°18 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « animation des territoires », Entretien avec l’enquêté n°55 : un ancien agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI responsable de ‘Lyon, Métropole Innovante’, désormais chargé de mission de l’Aderly, Entretien avec l’enquêté n°57 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI responsable du « pôle innovation » et Entretien avec l’enquêté n°58 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI responsable du « pôle grands-comptes », cf. Infra).

1112.

Entretien avec l’enquêté n°8 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, directeur de service depuis 1998.

1113.

Entretiens avec l’enquêté n°19 : un élu membre de l’UDF, vice-président de la communauté urbaine de Lyon de 1977 à 2001, notamment en charge de la stratégie d’agglomération.

1114.

Entretien avec l’enquêté n°59 : le président du PCUL. C’est aussi le cas du Biopôle de Gerland. Dès la fin des années 1970, la commune de Lyon équipe une zone d’activités à Gerland en réaction face à la perte de vitesse de l’emploi dans le secteur industriel (cf. KUKAWKA et LORRAIN, "Quinze municipalités et l'économie",op. cit., p.287). L’émergence progressive d’une technopole dans ce quartier est aussi le fruit de la stratégie d’implantation de Charles Mérieux, qui installe d’abord un institut de recherches près des Abattoirs de Lyon puis attire d’autres entreprises de biotechnologies dans ce secteur. Après le déménagement des Abattoirs (en 1977), les terrains libérés permettent notamment la délocalisation de l’ENS Sciences à la fin des années 1980 dans laquelle l’Aderly joue un rôle important. À la fin des années 1990, ‘Lyon, Métropole Innovante’ sélectionne finalement Gerland pour en faire l’un des sept sites technopolitains de l’agglomération et y soutient notamment la pépinière d’entreprises Novacités (Entretien avec l’enquêté n°60 : un contractuel de la politique ‘Lyon, Métropole Innovante’ chargé de mission « site de Gerland », Entretien avec l’enquêté n°61 : un contractuel de la politique ‘Lyon, Métropole Innovante’ chargé de mission « réseaux de recherche »).

1115.

Rapport d’activité 2003, DAEI, notamment p.17.

1116.

Idem.

1117.

Ni avant, ni après la rupture des liens entre la communauté urbaine et le ‘Pack’, même si ce dernier continue à exister sous une forme un peu différente (cf. Infra).

1118.

C’est tout particulièrement le cas du projet de « Cour de Justice pour la Terre ». Le ‘Pack’ n’est qu’un des outils utilisé pour faire avancer ce projet qui dépasse largement le cadre de ce groupe (Entretien avec l’enquêté n°16 : un membre du ‘Pack’ également bâtonnier de l’Ordre des avocats de Lyon de 2000 à 2003).

1119.

Ni dans le cadre du ‘Lyen’ d’ailleurs (cf. Supra). Cet élément souligne les limites de notre comparaison entre des dispositifs très différents. Si cette comparaison permet de souligner différentes tentatives mises en place par la communauté urbaine de Lyon pour favoriser la participation des chefs d’entreprise à ses politiques économiques, ces tentatives diffèrent non seulement par le type de relations qu’elles visent à établir entre les élus et les agents communautaires, d’une part, et les milieux économiques, d’autre part, mais aussi par la nature des actions qu’elles visent à mettre en place, par l’envergure de ces actions et, finalement, par leur « réussite » : par leur mise ne œuvre concrète (ou non).

1120.

Voir Chapitre III.

1121.

Même si ce dernier demeure beaucoup plus important que ne le suggèrent les transformations successives de la définition du contenu de l’action économique intercommunale (cf. Supra).