b / Conventions et incitations à la mobilisation : des politiques économiques libérales

Si les réalisations concrètes issues de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ diffèrent peu de ce que pouvaient précédemment faire la communauté urbaine et ses communes membres, puisque la logique d’aménagement physique de l’environnement des entreprises demeure centrale sur le terrain, ces dispositifs entraînent tout de même une augmentation du nombre de partenariats associant les représentants officiels des chefs d’entreprise locaux, certaines équipes de recherche ainsi que les élus et les agents de la communauté urbaine. ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et ‘Lyon, Métropole Innovante’ sont en effet des dispositifs conventionnels et incitatifs qui structurent les rapports entre la communauté urbaine et ses partenaires. Ces dispositifs engendrent alors une hiérarchisation accrue des types d’intervention intercommunale en faveur du « développement économique ».

La mise en œuvre de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ se caractérise donc également par des conventions dont elle entraîne la signature ainsi que par des incitations à la constitution de partenariats pour soutenir le « développement économique » local 1122 . Dans le cadre de ‘Lyon, Métropole Innovante’, les actions menées donnent concrètement lieu à la signature de trente conventions (conduisant à l’octroi de subventions 1123 ) entre 1997 et 2001, avec des institutions telles que le PUL, la CCIL, le PCUL ou encore l’ENS Sciences 1124 . Dans le cadre de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, les actions menées donnent également lieu à la signature de très nombreuses conventions, notamment avec les instances patronales 1125 . En outre, le budget annuel d’animation et de communication de ‘Lyon, Métropole Innovante’ s’élève à 1,05 millions d’euros (ou 7 millions de francs) par an de 1997 à 2003 1126 . Dans le cas de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, le budget de cette politique est présenté de manière à refléter son fonctionnement partenarial, avec une entrée par action concrète. Il n’est donc pas possible d’évaluer les sommes transversales alors allouées à l’animation de réseaux et à la communication. L’agent de la DAEI responsable de cette politique depuis 2004, évoque d’ailleurs avant tout, en entretien, la faiblesse du budget dont il dispose pour piloter ce dispositif (180 000 euros par an), soulignant ainsi que l’essentiel du budget global est réparti entre les différents partenaires 1127 . Pourtant, l’organisation des États généraux de l’économie lyonnaise représente à elle seule un budget de 150 000 euros pris en charge par la communauté urbaine de Lyon 1128 . Ce budget d’animation et de communication est consacré à l’organisation de réunions à la communauté urbaine, à la structuration de réseaux d’acteurs sur les sites technopolitains, ainsi qu’à la diffusion d’informations concernant l’économie locale au premier rang desquelles figure précisément l’état des réseaux d’« acteurs économiques » mis en place. ‘Lyon, Métropole Innovante’ et surtout ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ créent ainsi une série de sites internet servant à la fois de base de données sur l’économie et la recherche dans l’agglomération lyonnaise et de vitrine pour les réseaux d’acteurs locaux investis dans le « développement économique » de cette dernière 1129 . Ainsi le « portail économique de l’agglomération lyonnaise » doit-il :

‘« facilite[r] l’accès à l’information économique et aux contacts nécessaires pour votre croissance [,] vous oriente[r] vers le meilleur des services offerts par les acteurs du développement de l’agglomération [… et] rendre lisible la stratégie de développement économique du territoire pour améliorer son attractivité à l’échelle internationale. Dans un souci de marketing territorial efficace, le portail contribuera à harmoniser les discours et valoriser le territoire. Surtout, le portail traduit et rend visible le travail en réseau des acteurs sur les projets, les opérations et les politiques » 1130 .’

Le caractère discursif de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ est ainsi paradoxalement prédominant jusque dans l’action 1131 . C’est notamment en donnant à voir les relations existant entre certains acteurs locaux que la communauté urbaine tente d’inciter toujours davantage ses partenaires à la mobilisation. C’est aussi en affichant ces relations que la communauté urbaine tente d’attirer de nouvelles entreprises dans l’agglomération. À ce titre, les deux dispositifs que nous étudions soutiennent et développent les événements internationaux qui prennent place à Lyon tels que Pollutec (salon sur l’environnement et le développement durable), Biovision (forum mondial des sciences du vivant), ou encore Gamagora (université des loisirs numériques) 1132 .

La dimension discursive de ces politiques n’est pas le signe de leur faible importance mais révèle plutôt leur nature profonde. Ces politiques économiques intercommunales sont finalement des politiques d’image qui ne disent pas complètement leur nom, des politiques d’image institutionnelle grâce à la mise en scène du rôle d’animateur de la communauté urbaine. Et des politiques d’image du territoire qui confortent les configurations d’acteurs existantes investies dans le « développement économique » (et surtout dans les innovations technologiques), et qui sont mises en œuvre pour accroître la compétitivité de Lyon sur le marché international des villes 1133 . Il s’agit là de politiques économiques libérales.

Le recours à ces dispositifs conventionnels et incitatifs s’accompagne ainsi d’une hiérarchisation accrue des types d’actions que peut mettre en œuvre la DAEI. La communauté urbaine de Lyon structure ses interventions économiques concrètes autour d’un objectif d’amélioration de l’image de Lyon en favorisant le développement de pôles d’excellences et de services orientés vers les groupes sociaux locaux économiquement favorisés 1134 . Outre la construction de grands équipements, c’est, par exemple, une augmentation progressive des aides à la création d’entreprises innovantes. Par le biais d’incubateurs (tels que Créalys) et de pépinières (telles que Novacités 1135 ), la communauté urbaine prend en charge certaines immobilisations financières nécessaires au lancement d’une entreprise et participe ainsi finalement à résoudre une partie du problème de la constitution de fonds propres 1136 . L’action économique de la communauté urbaine se veut certes aussi « transversale » (et non uniquement spécialisée). Ainsi sont mis en place l’Espace Numérique Entreprises (ENE) 1137 et la Maison de l’Entrepreneuriat 1138 . Ces structures sont bien ouvertes aux chefs d’entreprise et aux créateurs d’entreprises de tous les secteurs d’activité. Elles sont néanmoins toutes deux localisées au sein de deux des technopoles lyonnaises (respectivement à Vaise et à Ecully), et le public de la Maison de l’Entrepreneuriat est avant tout issu des écoles qui l’entourent (telles que l’École Centrale ou l’EM Lyon).

Sur le terrain, les interventions de la communauté urbaine de Lyon dans le domaine du « développement économique » se caractérisent donc, depuis la fin des années 1990, à la fois par une action traditionnelle d’aménagement de l’environnement physique des entreprises, et par un travail de spécialisation des activités économiques locales autour de quelques secteurs spécifiques. Et ceci grâce à un aménagement de leur environnement immatériel qui passe notamment par la médiatisation de cette spécialisation et par la médiatisation des interactions entre « acteurs économiques » qui l’accompagnent. Nous observons finalement un long processus de libéralisation de plus en plus prégnant. Sur le terrain, il induit d’abord une continuité de l’action économique intercommunale. Celle-ci passe toujours en premier lieu par des actions d’aménagement qui intègrent les intérêts des entreprises traduits par des chefs d’entreprise véhiculant les contraintes des marchés dans lesquels ils cherchent à développer leurs activités. Ce processus entraîne également un développement des partenariats entre les instances patronales et la communauté urbaine. Ces institutions intègrent les besoins des entreprises locales qu’elles reformulent et hiérarchisent pour axer avant tout leurs actions sur un nombre réduit de secteurs d’activité innovants. Le domaine économique, tel qu’il est pris en charge par la communauté urbaine de Lyon, est finalement une très bonne illustration de la tendance à faire de la solidarité une « annexe des politiques urbaines » 1139 . La solidarité est même exclue des politiques économiques intercommunales 1140 . Dans ce contexte, il nous reste à définir quelle répartition des capacités d’action des partenaires mobilisés est engendrée par la mise en place de ces dispositifs conventionnels et incitatifs que sont ‘Lyon, Métropole Innovante’ et ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’.

Notes
1122.

Ces actions correspondent, cette fois-ci, davantage aux politiques économiques de la communauté urbaine telles qu’elles sont mises en œuvre depuis les bureaux de la DAEI. Il s’agit alors, conformément à la définition du contenu de l’action économique intercommunale, d’améliorer l’environnement immatériel des entreprises, c’est-à-dire leur accès aux services et aux connaissances dont elles ont besoin pour accroître leur activité (notamment grâce à des interactions nombreuses entre acteurs « innovants »). S’il n’y a pas de rupture nette, de changement profond en termes de contenu de l’action économique intercommunale telle qu’elle est mise en œuvre, les contours des spécificités de cette dernière se dessinent malgré tout progressivement.

1123.

Cf. Infra.

1124.

« Grand Lyon. Pour une Métropole Technopolitaine », Plan d’actions technopole : compte rendu d’activité 1999/2000, pp.41-44. Entre 2001 et 2004, ces conventions sont reconduites. À partir de 2004, elles sont enfin encore plus nombreuses : « Lyon, Métropole Innovante, Programme d’actions 2004 », Document de la communauté urbaine, 17 mai 2004.

1125.

« Document stratégique de référence. Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise », Document de la communauté urbaine, novembre 2005.

1126.

« Cahier des charges : Évaluation du Plan Technopole 2002 », Communauté urbaine (DGDEI), Document non-daté, p.1. Ce budget est en réalité supérieur puisqu’il faut y ajouter la contribution des partenaires de la communauté urbaine (cf. Infra). Ce sont alors avant tout les établissements de recherche et d’enseignement supérieur de l’agglomération qui complètent le solde de ces actions (« Grand Lyon. Pour une Métropole Technopolitaine », Plan d’actions technopole : compte rendu d’activité 1999/2000, p.11).En 2004, après évaluation, ‘Lyon, Métropole Innovante’ est relancée et son budget croît nettement (cf. Infra) : le budget communication n’est pas communiqué, mais 70 000 euros par an sont alloués au seul pilotage de la communauté urbaine, « Lyon, Métropole Innovante, Programme d’actions 2004 », Document de la communauté urbaine, 17 mai 2004.

1127.

Entretiens avec l’enquêté n°2 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise » depuis 2004.

1128.

« Document stratégique de référence. Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise », Document de la communauté urbaine, novembre 2005.

1129.

En ce qui concerne ‘Lyon, Métropole Innovante’, c’est notamment la mise en place du site internet « Grand Lyon Technopole » (http://www.entreprendre.grandlyon.com). En ce qui concerne ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, c’est notamment la mise en place du site internet « Lyonbusiness » encore appelé « portail économique de l’agglomération lyonnaise » ( http://www.lyon-business.org ).

1130.

« Document stratégique de référence. Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise », Document de la communauté urbaine, novembre 2005.

1131.

Et non plus uniquement dans les missions que se fixe la DAEI (voir Chapitre II). Nous sommes donc face à une situation où dire c’est faire et faire c’est dire, cf. LE BART, "Sur l'intervention économique des communes", op. cit., p.106.

1132.

Ces politiques d’image territoriale des collectivités locales sont anciennes et fréquentes. Au point que certains auteurs se demandent, dès la fin des années 1980 : « (…) à partir du moment où ces pratiques deviennent la norme en France comme dans les autres pays d’Europe on peut s’interroger sur la nature des gains. Toutes les métropoles essaient d’attirer des entreprises ; ce que l’une gagne est perdu par les autres. (…) ce qui conduit à se demander quelle peut être l’efficacité d’une action à partir du local », cf. KUKAWKA et LORRAIN, "Quinze municipalités et l'économie", op. cit., p.301.

1133.

Ces politiques s’inscrivent ainsi dans la directe continuité de l’émergence d’une action économique locale stratégique à la fin des années 1980 (cf. notamment BIAREZ et KUKAWKA, "Les grandes villes et l'intervention économique : Saint-Étienne et la communauté urbaine de Lyon", op. cit.).

1134.

Cette caractéristique fait tout particulièrement écho aux études des auteurs de l’école de la régulation et à leur description du modèle actuel de développement des grandes villes basé sur l’amélioration des services utilisés par les couches sociales favorisées (cf notamment David HARVEY, « Social justice, postmodernism and the city », International journal of urban and regional research, n°16, 1992). Cet auteur souligne notamment la construction et/ou le développement de grandes infrastructures telles que les aéroports ou les lignes de trains à grande vitesse.

1135.

Les Novacités sont trois pépinières d’entreprise (dont la plus active est située dans le quartier de Gerland) lancées et pilotées par la CCIL dans les années 1980 (cf. GUÉRANGER et JOUVE, "De l'urbanisme à la maïeutique : permanence et recomposition des politiques urbaines à Lyon", dans ). Conformément aux objectifs de ‘Lyon, Métropole Innovante’, il s’agit, là encore, de mettre en valeur un potentiel existant (Entretien avec l’enquêté n°60 : un contractuel de la politique ‘Lyon, Métropole Innovante’ chargé de mission « site de Gerland »).

1136.

Comme l’ont montré Pierre KUKAWKA et Dominique LORRAIN, il s’agit là d’une manière de rendre publique une partie du coût que représente le lancement d’une entreprise, c’est-à-dire de prendre en charge une partie des risques des créateurs d’entreprise : « On peut considérer que l’intervention croissante des collectivités locales dans le financement des actifs immobiliers d’entreprise témoigne de la recherche de nouvelles articulations entre les capitaux privés et les institutions publiques et par là-même de la quête de nouveaux modes de régulation globaux du rapport capital/travail dans les pays industrialisés. (…) Dans cette dernière solution le face à face patronat/salariat comme la dépendance à l’égard des banques sont ainsi atténués. Le financement des investissements peut se faire d’une manière socialement indolore par développement des budgets publics », cf. KUKAWKA et LORRAIN, "Quinze municipalités et l'économie", op. cit., p.302.

1137.

Pôle de ressources permettant aux entreprises d’améliorer leur performance par les TIC, http://www.ene.fr.

1138.

Structure d’aide au développement de projets de création d’entreprises.

1139.

Cf.PINSON, "Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiques et recomposition d'une capacité d'action collective dans les villes européennes", op. cit., p.631. Une autre thèse menée sur les politiques économiques lyonnaises dans une perspective comparative souligne également l’absence totale de politique économique menée par la communauté urbaine visant l’intégration de populations cibles telles que les populations issues de l’immigration (a contrario de ce qui est observable à Manchester), cf. RANDLES, Cities in evolutionary perspective : diversity, reflexivity, scale and the making of economic society in Manchester and Lyon, op. cit., pp.299 et suiv. Le projet d’agglomération lyonnaise pour la création et la reprise d’entreprises (PACEREL) ainsi que l’organisation d’un Forum Économique et Social (à l’automne 2006) font alors en partie exception. Le programme PACEREL, soutenu par l’État et par l’Europe, entend bien « faciliter le développement d’un véritable avantage compétitif en matière de création et de reprise d’entreprise » à Lyon mais porte également « une attention particulière […] aux femmes et aux personnes en insertion » (Rapport d’activité 2003, DAEI, p.23). Également soutenu par l’Europe, le Forum Économique et Social entend : « être positionné entre Davos et Porto Allegre ». Il suscite néanmoins de vives réticences chez les partenaires désormais privilégiés de la communauté urbaine qui souhaitent avoir des renseignements précis sur cette manifestation (concernant notamment le mode de sélection des partenaires choisis) et craignent que ce forum conduise à des débordements des alter mondialistes et des syndicalistes et serve de tribune à des objectifs politiques (« Compte rendu des délibérations de l’Assemblée Générale du 27 mars 2006 », Document de la CCIL, pp.17 et suivantes). Assez peu de communication est finalement faite autour de cet événement.

1140.

À la fin de l’année 2005, au cours de négociations entre collectivités locales relatives au Schéma régional de développement économique, la communauté urbaine aurait d’ailleurs tout simplement refusé de prendre en charge deux volets de l’action publique locale, à savoir l’insertion professionnelle et l’aide à l’emploi, que ses élus et ses agents considèrent comme peu valorisants (Discussions avec l’enquêté n°4 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA, chargé de mission « INTERACT » de 2001 à 2004 et Entretien et discussion avec l’enquêté n°53 : un agent de la CCIL).