Section II. Trop de « métropoles » tuent le « pouvoir métropolitain » ?

La capacité d’action de la communauté urbaine dans le domaine économique s’est historiquement construite en y associant étroitement des chefs d’entreprise et, surtout leurs représentants. Cette capacité d’action apparaît ainsi d’autant plus grande que cette institution soutient des instances patronales représentant des intérêts partiels. Ce soutien se traduit notamment par la multiplication des interactions entre ces instances et la communauté urbaine. Dans ce contexte, nous allons néanmoins montrer ici que la réforme de « gouvernance économique métropolitaine » entraîne une répartition complexe des capacités d’action entre les partenaires de ces dispositifs. Si la communauté urbaine de Lyon concentre notamment capacités financières et d’expertise, elle délègue la mise en œuvre de nombreuses action. En outre, le territoire de la « métropole » dont les élus et les agents communautaires tentent de favoriser le rayonnement international est défini de différentes manières par les acteurs locaux. Ainsi trop de « métropoles » fragilisent-elles l’emprise croissante de la communauté urbaine de Lyon sur les politiques économiques locales.

‘Lyon, Métropole Innovante’ et ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, en tant que dispositifs conventionnels et incitatifs, participent au développement et affichent des interactions entre acteurs locaux du « développement économique ». Néanmoins, la communauté urbaine cherche à être l’acteur central de ces interactions dans une « logique de direction politique » 1141 . Non seulement les chefs d’entreprise ne sont pas porteurs de l’intérêt général, mais les besoins des entreprises tels qu’ils sont pris en compte dans ‘Lyon, Métropole Innovante’ et dans ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ peuvent servir l’intérêt de la communauté urbaine, ou encore les intérêts des membres de cette structure.

Les deux citations suivantes, dans lesquelles les acteurs interrogés établissent un bilan face à ‘Lyon, Métropole Innovante’, montrent d’abord l’importance accordée au fait que la communauté urbaine soit reconnue comme un acteur central du « développement économique » local. La seconde de ces citations souligne également les difficultés liées au rôle d’animateur que ses élus et agents tentent pour cela de jouer :

‘« Lors de la première réunion [de ‘Lyon, Métropole Innovante’], les personnes présentes étaient très surprises. Elles se demandaient pourquoi la communauté urbaine intervenait dans ce domaine. Aujourd’hui, toutes les personnes qui s’intéressent de près ou de loin au développement économique savent que la communauté urbaine intervient dans ce domaine et se tournent vers elle pour lui demander conseil ou lui demander d’intervenir. C’est certainement le principal résultat obtenu grâce à [‘Lyon, Métropole Innovante’]. Et il est fondamental ! » 1142 .’ ‘« Un fonctionnement par conventions peut être fait si et seulement si le Grand Lyon reste animateur au quotidien. Alors que là, ça a fonctionné par délégation (on a filé du fric au PUL… le PUL étant le PUL…). On peut dire qu’on fonctionne par conventions mais le rôle d’animateur, de go-between, d’impulseur, l’acteur qui réunit les gens, qui fout du poil à gratter dans les tuyaux devrait être maintenu en permanence malgré les conventions » 1143 .’

Ainsi ces deux citations incitent-elles à observer ce qu’est concrètement une instance publique « animatrice » ou, plus précisément, comment sont gérées les conventions de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ 1144 . Cela nous amène à analyser les conséquences de la réforme de la « gouvernance économique métropolitaine » en termes de capacités d’action des partenaires de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’.

Une lecture focalisée sur les ressources financières des partenaires de ces dispositifs, suggère que la communauté urbaine est toute puissante. Deux dynamiques viennent toutefois contrer cette toute-puissance. Tout d’abord, si la communauté urbaine concentre progressivement les capacités d’action en termes financier ainsi qu’en termes d’expertise et si elle exclut ses partenaires de certaines de ses politiques, sa montée en puissance est également fondée sur des délégations nombreuses, notamment via les conventions. Les politiques économiques intercommunales échappent dès lors en partie à une communauté urbaine qui court finalement le risque de ne remplir qu’un rôle de vecteur de ressources financières ou de pourvoyeur de fonds. En outre, la communauté urbaine se présente comme l’institution de la « métropolisation » de l’action publique grâce à une définition de ses territoires d’intervention centrée sur les partenariats qu’elle établit avec certains acteurs locaux. La définition du territoire de cette « métropole » demeure toutefois aussi centrale que problématique. L’emprise que la communauté urbaine acquiert sur les politiques économiques locales est limitée par la coexistence de nombreuses définitions de cette « métropole ». En effet, si la communauté urbaine se structure de manière à ce que ses agents soient toujours plus présents sur les différents territoires sur lesquels ils interviennent, sa montée en puissance demeure, là encore, fragilisée par des tentatives de contournement de cette institution par ses partenaires.

Notes
1141.

C’est-à-dire dans une logique intégrative et non uniquement agrégative (cf. PINSON, "Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiques et recomposition d'une capacité d'action collective dans les villes européennes", op. cit., pp. 641 et 643. Voir Chapitre II et Chapitre III.

1142.

Entretiens avec l’enquêté n°19 : un élu membre de l’UDF, vice-président de la communauté urbaine de Lyon de 1977 à 2001 notamment en charge de la stratégie d’agglomération.

1143.

Entretiens avec l’enquêté n°21 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DPSA, directeur adjoint depuis 2004. Jusqu’en 2004, les relations délicates entre la communauté urbaine et le PUL ont été soulignées de manière récurrentes au cours de nos entretiens. À partir de 2004, cette institution est malgré tout progressivement intégrée à ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et au Conseil de Développement. Le PUL devient donc un partenaire important de la communauté urbaine, aux côtés de la CCIL, de la Chambre de Métiers, du Medef Rhône et de la CGPME, à une période de réforme du financement des universités axée sur l’accroissement de la part des financements privés de ces dernières structures publiques.

1144.

C’est-à-dire comment évolue, au cours de la mise en œuvre des dispositifs que nous étudions, ce type de « contrats de politique publique » qui combine : un accord négocié des objectifs d’action, un engagement sur un calendrier de mise en œuvre et des contributions conjointes des parties prenantes à la réalisation des objectifs (cf. GAUDIN, Gouverner par contrat. L'action publique en question, op. cit., notamment p. 28).